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Live reports / 24.08.2014

Porretta Soul Festival

Jeudi 17 juillet
Troisième week-end de juillet, direction la capitale européenne de la soul music… Le jeudi soir, l’honneur d’ouvrir le festival revient à un orchestre universitaire de Denver.  Fort d’une vingtaine de membres, le Quincy Avenue Rhythm Band joue une soul classique made in Memphis. Les musiciens et les vocalistes sont bons. Le tout donne un résultat fort sympathique.



Quincy Avenue Rhythm Band. © : Alain Jacquet

Suit un très bon groupe, Sam Paglia Trio. Cet orchestre minimaliste (orgue, guitare, batterie) joue dans un style qui n’est pas sans évoquer (toutes proportions gardées) les Jimmy Smith et Billy Hawks d’antan. En plus, le répertoire n’est pas pour déplaire ; on va « taper » entre autres chez Muddy Waters, Bill  Whithers, James Brown. Sam Paglia se montre excellent à l’orgue avec des  interventions toujours groovy, et  Checco  Minotti se révèle excellent tant au chant qu’à la guitare. Il serait injuste de ne pas citer la second frère Paglia, Simo, qui assure un tempo d’enfer sans jouer les enclumeurs. Un set funky à souhait.


Sam Paglia. © : Alain Jacquet

J’avoue avoir un peu décroché avec le groupe suivant, Blues Therapy  Band, dont le Chicago Blues ne m’a pas convaincu. Dernière formation à œuvrer pour ce premier soir, Groove City. Cet ensemble italien est très régulièrement l’hôte  du festival pour accompagner différents artistes.



Groove City. © : Alain Jacquet

Ce soir ils soutiennent l’inamovible MC Rick Hutton qui s’est découvert une vocation de chanteur. Il chante pas mal le bougre,  d’une voix bien rocailleuse qui va très bien dans  les rythmes enlevés, mais qui n’est pas top pour les bluettes. Son abattage scénique lui permet de s’en tirer avec les honneurs.


Denise LaSalle, Rick Hutton, Jonathan Ellison. © : Brigitte Charvolin

Le dernier à se présenter sur scène est Theo Huff. Ce jeune chanteur  de Chicago est un féru de soul music. Parmi  ses maîtres revendiqués, Johnny Taylor dont il nous donne une bonne version de Who’s making love. Autre titre bien chanté, Last two dollars. Un artiste sympa qui croit en ce qu’il fait. Bonne soirée inaugurale avec un public toujours prodigue en applaudissements.


Theo Huff. © : Brigitte Charvolin

Vendredi 18 juillet
La soirée s’ouvre par un hommage à James Govan dont on a appris la mort ce jour à Memphis, l’un des héros du festival  où il était venu se produire quatre fois (1993-1995-1996-1997). Premier groupe en scène, Capital Strokes, très cuivré et emmené par le révérend Randy Roberts. Ce garçon  est le fils du  chanteur Rocky Roberts qui a fait les beaux jours de la scène soul en France dans les années 1960 à la tête des Airdales. Si Randy Roberts et ses musiciens ne manquent  pas de talent, le funk c’est varié, c’est vivant, mais ce n’est pas toujours le même tempo. Bref, prestation trop morne et linéaire.


Capital Strokes. © : Brigitte Charvolin

Cette vingt-septième édition était placée sous le signe de ce haut lieu de la soul music qu’est  Muscle Shoals, et du studio de Rick Hall, génial initiateur du label FAME. Pour l’occasion,  le Muscle Shoals All Star Band accompagnera la quasi-totalité des artistes (sauf Frank Bey). Beaucoup de musiciens composant l’orchestre ont enregistré avec les plus grands noms de la soul et du rock. Il me paraît important de tous les nommer : Jimmy Johnson (guitare), Will McFarlane (guitare), David Hood (basse), NC Thurman (claviers), Kevin McKendree (claviers), Lynn Williams (batterie), Mickey Buckins (percussions), Kenny Anderson (saxo ténor), Doug Moffet (saxo baryton), Steve Herman (trompette), Billy Huber (trombone), Carla Russell, Marie Lewey et Sandy Wallcot (chœurs).


Marie Lewey, Jimmy Johnson et Mickey Buckins (Muscle Shoals All Star Band). © : Brigitte Charvolin

Après un morceau instrumental pour se chauffer (Rufus Thomas is back in town, hymne de Porretta), c’est au tour de Carla « Kosmic Mama » Russell  d’entrer en scène avec un titre d’Aretha, et surtout une version intéressante du tube d’Etta James  Tell mama où elle se montre une chanteuse de caractère. Notre ami Theo Huff revient, et nous rechante les deux mêmes titres que la veille avec la même fougue. L’orchestre n’est pas le même, mais au moins aussi bon.


Carla « Kosmic Mama » Russell. © : Brigitte Charvolin

Pour son retour à Porretta, Vaneese Thomas est venue avec un nouveau CD, « Blues For My Father », dédié à son père Rufus. Malheureusement elle n’en chante qu‘un titre, 10 X the man you are, pour le reste nous avons droit à trois chansons créées par Aretha  (dont elle est la choriste), Chain of foolsRespect, et, clin d’œil à papa, Walking the dog. Bon set de cette très bonne vocaliste, mais c’est frustrant d’entendre cette artiste qui sait composer reprendre principalement les titres des autres.


Vaneese Thomas. © : Brigitte Charvolin

Lui succède Jimmy Hall. Adoubé par Steve Cropper, Gregg Allman…, il est considéré par certains comme le meilleur chanteur blanc de rhythm ‘n’ blues. Il est un illustre inconnu pour la majeure partie des spectateurs de Porretta.  Sur scène il est très dynamique, sa gestuelle fait penser à Mick Jagger, et en plus il s’accompagne à l’harmonica. Il joue une musique tonique qui est plus proche de ce que fait Gregg Allman que de pure soul sudiste. À noter un duo avec Carla Russell sur The night time is the right time. Ni grand chanteur ni grand harmoniciste, mais son set est agréable et on passe un bon moment.


Jimmy Hall. © : Brigitte Charvolin

Le nom de Denise LaSalle fait toujours saliver l’amateur de soul, même si elle est maintenant une dame d’un âge très respectable. De son show on retiendra son manque d’assurance vocale au début, et qu’elle bouge un minimum. Au fil des minutes on la sent mise en confiance, par l’orchestre qui fait un boulot formidable, et par la présence de son guitariste Jonathan Ellison qui assure le lien avec la rythmique David Hood/Lynn Williams. Et pour le répertoire rien de nouveau,  un Down home blues de bonne facture, une chouette version de Drop that zero et un remarquable My toot toot avec une bonne participation des danseurs locaux. C’était l’artiste idéale pour terminer cette soirée.


Denise LaSalle et Jonathan Ellison. © : Brigitte Charvolin

Samedi 19 juillet
Frank Bey & Anthony Paule Band. Invités surprise, ils vont vraiment casser la baraque avec un set de toute beauté. Un très bon  little big band (guitare, basse, batterie, claviers, saxophone, trompette, trombone), et surtout Frank Bey, un chanteur comme on n’en voit plus très souvent… Son association avec le guitariste Antony Paule fait tout de suite penser à celle du guitariste Steve Edmonson avec le chanteur Jackie Payne. Pour le répertoire, pas de souci, beaucoup de compositions du couple C. Vitale/A. Paule, et aussi des classiques incontournables comme Ain’t that loving you (Bobby Bland) et Hard times (Ray Charles). Ce qui frappe surtout, c’est la joie de jouer de l’ensemble. La complicité des deux leaders n’est pas feinte, et ils ne sont pas chiens pour laisser s’exprimer les musiciens (à ce jeu c’est Nancy Wright la saxophoniste qui se taille la part du lion avec des chorus toujours bien inspirés). Une belle version de I don’t know why tout en retenue montre tout le talent de Frank, il a une voix pour chanter la soul et  le blues. À ses côtés, Anthony Paule se montre un guitariste très fin, inventif, qui n’en rajoute pas et ça donne des titres très réussis comme Don’t mess with the monkey et Still called the blues. Et pour la bonne bouche, on ne peut oublier la version du tube de Lennon Imagine, revisité flower power avec des petits cartons jaunes distribués au public avec un côté marqué peace et l’autre love… au fait ces artistes viennent de San Francisco !



Anthony Paule et Frank Bey. © : Brigitte Charvolin


Nancy Wright (Frank Bey & Anthony Paule Band). © : Brigitte Charvolin

Malheureusement, après ce moment d’exception, vient la supercherie Guitar Shorty. Beau-frère de Jimi Hendrix, il serait dit-on son inspirateur. Il dit retrouver certains de ses plans dans Purple haze et Hey Joe. Moi (et je ne suis pas le seul), j’ai entendu un trop long solo de guitare très ennuyeux. La fin du set avec  Hey Joe a un peu relevé le niveau mais ça ne suffit pas ! Franchement, une erreur de casting.


Guitar Shorty. © : Brigitte Charvolin

Lui succède la chanteuse de Memphis, mais Chicagoan d’adoption, Chick Rodgers. Elle interprétera de manière convaincante trois titres d’Aretha (que feraient les chanteuses de soul sans le répertoire de miss Franklin ?) Respect, Ain’t no way et Dr. Feelgood. Intermède sympathique. Chilly Bill Rankin est originaire de Memphis, et il joue sur du velours en nous proposant deux succès d’Otis Redding, I’ve been lovin’ you too long et Try a little tenderness. Après lui, Jerry Jones, autre natif de Memphis, est plutôt tendance Solomon Burke, nous avons donc droit à deux bonnes interprétations de Got to get you off my mind/Amen et Cry to me. À défaut d’originalité, il y a de la qualité.


Chick Rodgers. © : Brigitte Charvolin


Chilly Bill Rankin et Jerry Jones. © Brigitte Charvolin

Nous continuons avec Toni Green qui commence son set par des mots émouvants pour James Govan. Pour le reste, Toni ne  déroge pas à ses bonnes habitudes, un répertoire solide fait de quelques originaux, et de bonnes reprises (dont Tell mama, I never loved a man, Do right woman do right man), une présence scénique incontestable avec toujours ce jeu de séduction envers le public. Ça marche et comme d’habitude elle fait  un triomphe. La fin de soirée fut joyeuse,  Jerry Jones et Chilly Bill Rankin reviennent pour jouer  « Sam and Dave le retour »  avec des interprétations débridées de Hold on I’m comin’, Something is wrong with my baby et Soulman. Soirée très copieuse avec des artistes qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes, et où le meilleur a côtoyé le moins bon.


Toni Green, Vaneese Thomas, Theo Huff et Jerry Jones. © : Brigitte Charvolin

Dimanche 20 juillet
Première sortie à midi dans l’Helvetia Garden où se déroule une rencontre « Muscle Shoals petite ville grande musique » avec les musiciens. Ce petit raout est  animé par un groupe local Wondersoul auquel se joindra le guitariste Will McFarlane. Retour au parc Rufus Thomas pour la dernière soirée de cette édition. Par tradition tous les artistes présents sur le festival viennent pour un mini set. Sauf Frank Bey & Anthony Paule qui font un show complet  aussi bon que celui de la veille. Vraiment une révélation ces deux-là… Parmi les bonnes surprises, un Guitar Shorty très bluesy dans un long échange avec le guitariste Will McFarlane. Dommage que ce ne fut pas dans la même veine la veille. Toni Green avec Vaneese Thomas duettisant sur Do right woman, ça vaut le coup. Tous les autres, Denise LaSalle, Jimmy Hall, Theo Huff, Chick Rodgers, Jerry Jones, Chilly Bill Rankin, furent au diapason. Pour clore le festival, quoi de mieux que Sweet soul music repris par tous ? En conclusion, cette édition fut un bon cru avec une mention spéciale pour les musiciens du Muscle Shoals All Star Band, irréprochables dans leur accompagnement. Une rythmique d’enfer avec David Hood, Jimmy Johnson  et Lynn Williams, sans oublier le guitariste soliste Will McFarlane, et de l’autre côté de la scène les quatre cuivres emmenés par le saxo ténor Kenny Anderson claquaient comme dix !

Alain Jacquet


David Hood et Jimmy Johnson (Muscle Shoals All Star Band). © : Brigitte Charvolin