Monty Alexander, La Seine Musicale
25.05.2023
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Spencer Wiggins, Percy Wiggins, Harvey Scales, William Bell
Cette 24e édition est placée sous le signe des revenants. En effet, à part Harvey Scales dont c’est le premier voyage en Europe, tous les autres protagonistes se sont produits au moins une fois à Porretta. Voyons comment s’est déroulé l’événement…
Traditionnellement le festival débute le jeudi par une soirée gratuite. Cette année, en plus de l’orchestre italien Bononia Sound Machine qui a produit une bonne prestation, un hommage à King Curtis est proposé par “Sax” Gordon Beadle. On ne peut pas dire que Sax Gordon soit un saxophoniste très fin, pourtant de la finesse il en faut pour jouer du King Curtis… Mais avec sa conviction, son plaisir de jouer et le soutien sans faille du groupe Groove City il emporte facilement l’adhésion du nombreux public.
Sax Gordon
Vendredi 22 juillet
Les choses sérieuses commencent… La première à entrer en scène est Chick Rodgers, accompagnée par l’excellent orchestre italien Foundaction (ex-The Soul Village, Soul Spinners du pianiste-organiste Sergio Cocchi). En 2010, elle avait fait bonne impression et c’était taillé un franc succès, mais un an après, elle nous ressert le même répertoire fait de reprises desquelles émergent principalement Superstition, Natural woman ou encore Spirit in the dark. Set un peu frustrant, d’une artiste talentueuse mais dont la personnalité s’efface derrière un répertoire standard.
Chick Rodgers
Ensuite s'installe la formation d’Austin de Lone, un pianiste-organiste de San Francisco qui a dirigé pendant plusieurs années l’orchestre d’Howard Tate. Le set commence en quartet par une série de titres de Booker T. Jones, puis la formation s’étoffe avec l’arrivée de la section de cuivres conduite par le tromboniste Mike Rinta pour une plongée dans les classiques de la soul… de Memphis de préférence.
Austin de Lone entouré de Shontell et Sharisse Norman
Mike Rinta
Chaque année à Porretta, on récompense quelqu’un qui a œuvré pour la cause de la soul music, et cette année le lauréat est un pionnier de la soul en Italie, Andrea Mingardi. Après les discours d’usage, il chantera trois chansons dont Try a little tenderness et Satisfaction.
Graziano Uliani et Andrea Mingardi
Changement de plateau avec l’installation du Memphis All Star Rhythm & Blues Band dirigé par la pianiste Paul Taylor. Cette formation accompagnera pour commencer Percy Wiggins. Dans un style proche de celui de Sam Cooke, ses interprétations sont prenantes, Wiggins détenant ce supplément d’âme des chanteurs de gospel (il a fait partie avec son frère Spencer et sa sœur Maxine des New Rival Gospel Singers). Temps fort de son set, son unique succès Book of memories. Confirmation d’une bonne surprise de l’édition 2009.
Percy Wiggins
Paul McKinney et Jeffrey Lawrence Huddleston
Paul Martin Taylor
Steven F. Bethany
Son unique passage au festival de Porretta remonte à l’année 1994, alors le MC Rick Hutton redouble de superlatifs pour présenter une légende de la soul : William Bell. D’entrée le bonhomme en impose avec une chouette version de Easy comin’ out. Bell a une présence scénique indéniable, une voix limpide au service d’un répertoire axé sur les balades dont la remarquable A tribute to a king en hommage à Otis Redding. Il chantera aussi en duo (très réussi) avec Toni Green Private number, une chanson qu’il interprétait à l’origine avec la regrettée Judy Clay. Bell égrènera ensuite pour notre plus grand plaisir une série de hits et c’est sur un medley Stand by me-Fa Fa Fa Fa sad song-Having a party-Any day now qu'il terminera son show. Un soulman de grande classe, un seul regret : c’était trop court !
William Bell
William Bell et Toni Green
L’honneur de clôturer cette soirée revient à Toni Green. Habituée du festival, ses passages ne sont plus surprenants mais toujours attrayants et de qualité. Il faut reconnaître que c’est une bonne chanteuse et qu'elle a un répertoire de choix. À remarquer, ses versions de Say little prayer, At last ou encore une bonne interprétation de It’s a man man's world. La soirée se termine sur une bonne note.
Alain Jacquet
Toni Green
Samedi 23 juillet
Samedi, il fait encore jour quand Harvey Scales ouvre les festivités. Cette année, c'est lui le moins connu : essayer donc de trouver un disque à son nom ! Alors voyons sur scène. En ouverture, Sweet soul music n'aide pas à l'identifier. Même chose avec I'm in love (Womack/Pickett), même s'il s'avère que notre showman a de la voix, catégorie shouter. Mais voilà qu'il se révèle également rieur, danseur et surtout funky sur une poignée des compositions comme la face Stax What's good for you (Don't have to be good to you). Certes, l'homme n'est plus tout jeune, mais il sait s'amuser et cède plus souvent qu'à son tour à l'envie d'inviter des festivaliers sur scène (aïe, les oreilles). Puis, un faux départ, un rappel et une page d'histoire : « Voici la plus grosse chanson que j'ai jamais écrite au cours de ma carrière. J'ai laissé Johnnie Taylor la chanter – et il n'a pas partagé l'argent, mais bon (rires). Cela a été un tube, je le remercie et je vous remercie. En fait, cette chanson a été le premier single de platine de l'histoire ! » Wow, Disco lady, par l'un de ses trois co-auteurs, sans doute pour la première fois en Europe : cela vaut bien un triomphe pour Harvey Scales, ravi de chanter au milieu du public. On est bien loin du Stax de l'époque Redding, mais peu importe, tout le monde passe un bon moment.
Harvey Scales
Steven F. Bethany et Harvey Scales
Pour la deuxième partie, retour à Memphis. Deux ans après avoir créé la surprise en acceptant d'interpréter ses vieux titres soul, Spencer Wiggins enfonce le clou et laisse cette fois totalement de côté son répertoire gospel. À bientôt 70 ans, ce géant de la deep soul continue d'impressionner par sa puissance vocale et par sa maîtrise de paroles écrites il y a quatre décennies. Lonely man, That's how much I love you, Love attack, Upright good woman, I'm at the breaking point : ces faces Goldwax sont aussi bouleversantes ce soir, sur scène, qu'hier, sur disque. Pourtant, ici ou là, on perçoit quelques faiblesses, une raideur dans les gestes, un chevrotement dans les graves, une cassure dans les aigus. Est-ce ce qui arrive à tous les hard singers, à ceux qui chantent à chaque fois que comme si c'était la dernière ? D'ailleurs, son frère qui le rejoint sur scène paraît moins atteint par les années. Certes, c'est lui le plus jeune, mais son style est aussi moins dur, plus fluide. Quand le cadet chante à la Sam Cooke, l'aîné rappelle James Carr. Du coup, leurs versions de When something is wrong with my baby et Hold on, I'm coming prennent vraiment des airs de Sam & Dave … Bravo.
Spencer et Percy Wiggins
Avec Sugar Pie DeSanto, on sait à quoi s'attendre et pourtant, impossible d'être déçu. Certains disent son show grivois ; je le trouve plutôt bon enfant, drôle et participatif mais sans excès (c'est elle la patronne). Je connais mal son répertoire, juste Soulful dress et In the basement. C'est dansant à souhait, parfait quand approche minuit. Ne changez pas, Miss DeSanto.
Sugar Pie DeSanto
Jusque-là, le Memphis All Star R&B Band avait gentiment assuré. Derrière Swamp Doog, on ne se doutait pas que les hommes d'Austin de Lone étaient capables d'autant de cohésion. Aucun doute, l'orchestre a bossé le répertoire de la tête d'affiche : démarrage au quart de tour dès les premiers accords au piano de I'm the other man. Ça pousse, diraient certains. Un seul exemple : les cuivres ne se contentent pas de riffs au refrain, ils interviennent tout au long des morceaux, soulignent et soutiennent leurs inflexions mélodiques. Ce sont de vrais beaux arrangements, avec au centre, devant nos yeux, un petit homme en costume chic et aux fines lunettes. Il est détendu, nous sommes aux anges parce que sa voix, si particulière, si haute et si forte, nous touche immédiatement. Et sa diction est tellement nette que Sam Stone, Mama’s baby, Daddy’s maybe ou encore Synthetic world prennent corps, se révèlent. Le choc se prolonge : son titre de gloire, Total Destruction To Your Mind ; un hommage à Solomon Burke, The more ; une parade dans le public, Got to get a message to you ; et un rappel magnifique, In my resume. Le parc Rufus Thomas est debout, le patron du festival Graziano Uliani félicite notre héros dès sa sortie de scène, je comprends pourquoi tant de soul fans disent tant de bien de ce Swamp Dogg. Me voilà aussi heureux qu'à la fin de mon premier concert de Solomon Burke.
Julien Crué
Swamp Dogg
Dimanche 24 juillet
Que fait un festivalier le dimanche à Porretta ? S’il est dans une forme acceptable, il peut comme le veut la tradition se retrouver à l’église pour un intermède gospel donné cette année par les frères Wiggins. Ces derniers sont accompagnés par le pianiste Paul Taylor et la chanteuse Shontelle Denise Norman. Concert sympathique qui se terminera par une version de Oh happy days saluée debout par tous les paroissiens.
Après, quartier libre jusqu’à 20 heures, l’heure de la revue générale de tous les artistes qui se sont produits durant le week-end. C’est Harvey Scales qui ouvre, il a trois titres pour confirmer sa bonne prestation de la veille. C’est chose faite avec une entraînante version de Sweet soul music. Je suis un peu plus réservé quant à son interprétation de I’ve been loving you too long quelques fois à la limite de la justesse. Mais le clou de son passage, c’est le chaud Disco lady avec des danseuses choisies parmi le public.
Harvey Scales
Lui succède la chanteuse Chick Rodgers pour un remake de sa prestation du vendredi, à savoir des reprises de Superstition de Stevie Wonder et de Dr. Feelgood d’Aretha Franklin.
Chick Rodgers
Il y a deux ans les frères Wiggins semblaient peu sûrs d’eux : ce n'est plus du tout le cas, et en plus de leurs répertoires personnels ils nous l’ont joué façon Sam & Dave avec un Hold on, I'm coming qui a bien réchauffé la nuit frisquette de Porretta.
Spencer et Percy Wiggins
La diva de Memphis Toni Green nous a gratifié d’un set d’au revoir de très bonne facture avec des interprétations pleines de feeling et un long bain de foule en final. Succès assuré et mérité.
Toni Green
La deuxième vedette de cette édition, William Bell, ne puisera pas trop dans son répertoire, et lui aussi nous resservira un show à peu près identique à celui du vendredi. Même si on ne se lasse pas de ses belles mélodies, on aurait aimé entendre par exemple Born under a bad sign dont il est le coauteur avec Booker T. Jones. Mais ne faisons pas la fine bouche, ce n’est pas tous les jours que l’on peut entendre des chanteurs de ce calibre. Après un hommage à Amy Winehouse chanté par Caroline de Lone, place à la coqueluche de Porretta, la pétillante Sugar Pie DeSanto, pour un moment à la fois joyeux avec ses facéties habituelles, et grave avec une très belle interprétation de I don’t care. Sacrée bonne femme !
Sugar Pie DeSanto
Austin de Lone
Swamp Dogg annoncé comme la vedette de cette édition a vraiment tenu son rang* avec deux shows de très haute tenue tant vocalement que musicalement. On vibrera à un dévastateur Total destruction to your mind, et une longue version de How long, qui verra revenir pour un ultime salut tous les artistes de cette belle édition 2011. Pour être complet il faut louer le talent de tous les groupes qui ont assuré un accompagnement de grande qualité à tous les artistes.
Alain Jacquet
* Pendant le festival, l’épouse de Swamp Dogg a été victime d’un sérieux malaise qui a nécessité son hospitalisation à Bologne. Swamp Dogg a passé chaque journée auprès d’elle. Malgré cela, il a assuré ses concerts avec un professionnalisme remarquable.
Photos © Brigitte Charvolin
Spencer Wiggins, Percy Wiggins, William Bell, Swamp Dogg
William Bell, Toni Green, Chick Rodgers
Spencer Wiggins, Percy Wiggins, William Bell, Gary Vogensen, Harvey Scales, Toni Green, Chick Rodgers
Sax Gordon
Darryl Spencer Pruitt (b) et Harvey Scales
Sugar Pie DeSanto
Spencer Wiggins et Swamp Dogg