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Hommages / 27.07.2020

Peter Green (1946-2020)

Dans l’aristocratie des musiciens issus du “blues boom” britannique des années 1960, Peter Green était le plus doué. Guitariste à la sonorité unique – B.B. King disait de lui qu’il était le seul à le faire frissonner –, chanteur expressif et auteur-compositeur proprement original, seuls ses graves problèmes personnels, au premier rang desquels sa maladie psychiatrique, l’ont empêché de contribuer à l’égal de ses contemporains – parmi lesquels Fleetwood Mac, le groupe dont, bien plus que le cofondateur évoqué par la presse généraliste, il était l’inventeur – aux succès pop et rock des décennies suivantes. 

Né Peter Allen Greenbaum à Bethnal Green, dans la périphérie de Londres, Peter Green fait partie de la génération des adolescents envoûtés par les performances d’Hank Marvin et des Shadows, et c’est sous leur influence qu’il apprend la guitare, largement en autodidacte, avant de rejoindre différents ensembles amateurs, parmi lesquels celui du clavier Peter Bardens, Peter B’s Looners, dont le batteur est un certain Mick Fleetwood, et avec lequel il fait ses débuts discographiques, le temps d’une reprise instrumentale du standard If you wanna be happy. Limité à la rythmique sur ce titre, il s’offre déjà un beau solo sur la face B, Jodrell blues. Avec l’addition de voix – dont celle de Rod Stewart –, le groupe, rebaptisé Shotgun Express, s’oriente vers un son plus soul, mais le séjour de Green y est bref.

À l’été 1966, il est en effet sollicité par John Mayall – qui l’a déjà employé ponctuellement par le passé – pour remplacer Eric Clapton au sein des Bluesbreakers, dont le bassiste est alors John McVie. Il fait ses débuts avec le groupe sur l’album “A Hard Road”, enregistré en novembre 1966 et publié début 1967. Si sa reprise de The stumble de Freddie King vient faire le lien avec son honorable prédécesseur (qui avait donné sa version de Hideaway sur l’album précédent), l’instrumental The supernatural, signé de sa plume, est une indication de la personnalité musicale de Green qui, s’il maîtrise les codes du blues classique, comme il le montre la même année avec ses collègues Bluesbreakers sur l’album “Eddie Boyd And His Blues Band”, a sa vision personnelle du genre et ses ambitions propres.

C’est dans cette logique qu’il décide de lancer son propre ensemble avec le guitariste Jeremy Spencer, un émule d’Elmore James qui s’est fait remarquer par le producteur Mike Vernon au sein du Levi Set Blues Band et Mick Fleetwood. Bien que John McVie ne souhaite pas rejoindre le projet, préférant alors le confort rémunérateur des Bluesbreakers (c’est Bob Brunning qui assure l’intérim), Green baptise son groupe Fleetwood Mac, et c’est sous ce nom qu’il publie son premier single, sans grand succès, et commence à se produire, notamment au National Jazz and Blues Festival d’août 1967 où il croise la route aussi bien des Bluesbeakers de Mayall (au sein desquels il est remplacé par Mick Taylor) que du Cream de Clapton. Quelques semaines à peine plus tard, John McVie, mécontent de l’évolution musicale de son patron, abandonne Mayall et rejoint enfin le groupe qui porte son nom. C’est cette configuration qui enregistre le premier album éponyme, qui sort début 1968, mêlant reprises (Elmore James, Howlin’ Wolf, Robert Johnson) et originaux signés par Green ou Spencer. Malgré l’absence de tube en 45-tours, l’album lui-même est un succès commercial. La publications quelques semaines plus tard en single d’un titre absent de l’album, Black magic woman, une composition de Green très influencée par le All your love d’Otis Rush, vient confirmer la popularité du groupe, qui sort à l’été un deuxième album, “Mr. Wonderful”, dans une formule proche de son prédécesseur, même si le son s’enrichit de musiciens additionnels. 

Mais c’est encore un morceau paru exclusivement en 45-tours qui va donner à Green et à son groupe leur premier succès grand public, avec l’instrumental Albatross, essentiellement porté par le duo de guitares entre Green et Danny Kirwan, un jeune musicien qui a rejoint l’ensemble récemment – Jeremy Spencer, peu enthousiasmé par l’évolution musicale de Green est aux abonnés absents. Le disque est un tube majeur dans toute l’Europe – les États-Unis restent réticents – et inspire même aux Beatles un des titres de l’album “Abbey Road”, Sun king. L’évolution musicale du groupe vers un son plus pop ne l’amène pas à renier ses racines blues : Fleetwood Mac, dans différentes configurations, accompagne sur disque Eddie Boyd (“7936 South Rhodes”) et Otis Spann (“The Biggest Thing Since Colossus”), tandis que Green prête sa guitare à Duster Bennett. À l’occasion d’une tournée américaine début 1969, le groupe s’offre quelques séances aux studios Chess avec des invités de goût – Otis Spann, Willie Dixon, Big Walter Horton, J.T. Brown, Honeyboy Edwards, S.P. Leary et Buddy Guy, mal dissimulé sous le pseudonyme Guitar Buddy –, mais le résultat, faute de préparation, peine à dépasser le stade de la jam session (il est d’ailleurs publié en deux volumes sous le titre “Blues Jam In Chicago”). 

Entre stupéfiants et problèmes de santé mentale sans doute accrus par la pression de la célébrité, l’état de Peter Green se détériore rapidement. Parue début 1969 en 45-tours, la chanson Man of the world témoigne crûment de la situation : Green y chante « je voudrais simplement ne pas être né ». Lorsqu’il reprendra ce titre lors de son come-back des années 2000, ce sera uniquement de façon instrumentale… En fin d’année, le groupe, qui a quitté le label spécialisé Blue Horizon pour une major, publie un nouvel album, “Then Play On”, plus orienté rock et pop. Comme à son habitude, c’est avec un titre publié uniquement en 45-tours, Oh well, qu’il décroche un nouveau tube, suivi début 1970 par The Green Manalishi (With the two prong crown). Ce dernier titre marque la fin du séjour de Green au sein du groupe qu’il a créé, même s’il le retrouvera ponctuellement en studio, souvent de façon anonyme, dans les années suivantes. 

Quelques mois à peine après son départ de Fleetwood Mac, il publie un premier album personnel, “The End of the Game”, composé de longues plages instrumentales peu structurées, qui passe à peu près inaperçu. S’il participe ponctuellement à quelques séances – pour Memphis Slim et B.B. King, notamment –, ses problèmes personnels l’amènent à disparaître quasi-complètement de la scène musicale jusqu’à la fin de la décennie. Il fait son retour discographique en 1979 avec l’album “In the Skies”, suivi jusqu’au milieu des années 1980 par une série de disques plutôt orientés pop et dépourvus d’enjeux. S’il disparaît à nouveau des radars ensuite, sa réputation est entretenue pendant le “blues boom” de la fin de la décennie et des années suivantes par la parution – à la légalité parfois douteuse – d’une série d’inédits vintage de Fleetwood Mac, dont un fantastique double “Live At The BBC”, ainsi que par les hommages réguliers de ses pairs, de Carlos Santana qui fait un tube de Black magic woman à Gary Moore, qui a acquis une de ses guitares et lui dédie un album complet, “Blues For Greeny”. 

Comme un clin d’œil à ses années de formation, c’est avec un titre sur une anthologie hommage à Hank Marvin qu’il annonce son retour en 1996, matérialisé par la formation du Peter Green Splinter Group avec différentes pointures de la scène britannique et le guitariste Nigel Watson, avec qui il avait déjà collaboré au début des années 1970. Si la nature même de ce retour et le rôle joué part Nigel Watson, qui assure également le management du groupe, suscitent quelques interrogations – un reportage de l’époque montre une scène cruelle pendant laquelle Green s’endort alors que Watson discute business avec un partenaire potentiel –, la musique est là et bien là, largement ancrée dans le blues, au fil d’une série d’albums, parmi lesquels un hommage inspiré à Robert Johnson, parus entre 1997 et 2003 et généralement bien accueillis par la critique.

Le groupe tourne régulièrement dans toute l’Europe mais, hélas, peu en France, même si les admirateurs de Green peuvent l’applaudir pour quelques dates en 2001, notamment à Paris au Trabendo. Sur scène, il revisite, en plus des titres de ses albums récents, les classiques de l’époque Fleetwood Mac, et retrouve par moments la brillance de ces meilleures années, même si Nigel Watson, qui imite parfaitement le son original de Green, doit compenser quelques moments d’absence. Dans les coulisses du Trabendo, il ne cache pas sa surprise en se découvrant des admirateurs qui n’étaient pas nés lorsqu’il dominait la scène blues britannique…

L’aventure du Splinter Group prend fin en 2004, les traitements suivis par Green nuisant à sa concentration. Une nouvelle tentative de retour, sous le nom Peter Green and Friends, aboutit à quelques concerts en 2009 et 2010, mais s’avère sans suite, Green restant silencieux jusqu’à son récent décès. Il y a quelques mois à peine, une certaine élite du rock – Billy Gibbons de ZZ Top, David Gilmour, Pete Townshend, Noel Gallagher d’Oasis et quelques autres, dont le revenant Jeremy Spencer, se réunissait à l’invitation de Mick Fleetwood pour lui rendre un hommage spectaculaire, qui fera office de dernier salut à une des figures les plus attachantes de la scène blues britannique des années 1960. 

Texte : Frédéric Adrian
Photos © X/DR

Frédéric AdrianPeter Green