;
Brèves / 28.01.2014

Pete Seeger, mort d’un saint

Bob Dylan qualifiait effectivement Pete Seeger de saint. Mais les saints meurent aussi car Seeger nous a quittés hier lundi 27 janvier 2014, à l’âge de quatre-vingt-quatorze ans, mettant fin à une incroyable carrière qui aura duré quelque trois quarts de siècle… Né le 3 mai 1919 à New York, il est le fils de Charles Louis Seeger, Jr., un des pères de l’ethnomusicologie aux États-Unis dont certains travaux peuvent être rapprochés de ceux d’Alan Lomax pour le blues. Mais c’est bien la folk music qui va accompagner l’enfance et l’adolescence du jeune Pete, d’autant que son père se remarie en 1932 avec Ruth Crawford Seeger, spécialiste de ce genre musical. Il ne s’intéresse toutefois vraiment à la musique populaire que vers le milieu des années 1930, quand il découvre le banjo et le chant. Mais il apprend très vite, au point de se produire en 1939 avec un groupe nommé les Vagabond Puppeteers.

Cette même année 1939 dessine un tournant et le début de sa carrière professionnelle, son père l’introduisant auprès d’Alan Lomax, qui l’engage dans le cadre de ses travaux pour la Bibliothèque du Congrès, notamment pour le tri des enregistrements de terrain. Mais Lomax relève également le potentiel artistique de Seeger. Il lui permet de se produire régulièrement à partir de 1940 dans son émission de radio hebdomadaire pour Columbia Back Where I Come From, aux côtés de bluesmen comme Josh White et Lead Belly, du Golden Gate Quartet et de Woody Guthrie. À l’époque, présenter des émissions réunissant des Noirs et des Blancs est totalement nouveau. Mais nous sommes en pleine Seconde Guerre mondiale, et les États-Unis, qui ont besoin de toutes leurs forces vives, sont aussi en quête d’une bonne conscience… Et en février 1941, la first lady Eleanor Roosevelt invite à la Maison-Blanche les participants de l’émission pour son opération An Evening of Songs for American Soldiers


Toshi et Pete en 2009. © : Bennett Raglin/Getty Images

Mais Pete Seeger ne sera pas le « premier bluesman blanc notoire », et s’orientera comme nous le savons vers la folk music qui le consacrera parmi ses icônes, au sein des Almanac Singers, des Weavers et bien sûr sous son nom propre. Il restera également comme un ardent défenseur de la cause afro-américaine. Ainsi, quand il ressuscite et popularise à la fin des années 1950 un vieux spiritual, We shall overcome, la chanson devient l’hymne de la lutte pour les droits civiques. L’influence d’un artiste de cette stature dépasse de toute façon les frontières des styles, mais il a tout particulièrement inspiré des bluesmen traditionnels nés dans les années 1950 à New York, et qui ont fait leurs armes à Greenwich Village,  comme Eric Bibb et Guy Davis. En avril dernier, lors de l’entretien en vue d’un article paru dans notre numéro 210, Davis m’avait longuement parlé avec émotion et respect de l’influence de Seeger, ainsi que du couple qu’il formait avec Toshi, son épouse depuis 1943… Mais Toshi l’avait précédé au paradis le 9 juillet 2013. Il lui aura donc survécu six mois.
Daniel Léon