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Hommages / 27.09.2021

Pee Wee Ellis (1941-2021)

L’annonce de la disparition du saxophoniste et arrangeur Alfred “Pee Wee” Ellis s’est faite en toute discrétion, à l’image de sa personnalité et de sa carrière. Pee Wee n’était pas aussi flamboyant que ses frères d’armes, le saxophoniste Maceo Parker et le tromboniste Fred Wesley, deux formidables soufflants avec qui il s’était réuni sous la bannière J.B. Horns durant les années 1990. Ces Trois Mousquetaires du funk se connaissent bien puisque vingt ans plus tôt ils formaient le pupitre de cuivres dans l’orchestre de James Brown. Et c’est durant son séjour chez le Godfather que Pee Wee a posé une empreinte indélébile sur l’histoire de la musique en général et du funk en particulier. 

Né le 21 avril 1941 à Bradenton (Floride), il est le fils d’Elizabeth et Garfield Devoe Rogers, Jr. Sa mère se remarie en 1949 avec Ezell Ellis, un promoteur de concerts, qui emmène la famille à Lubbock (Texas). Le jeune Pee Wee apprend à jouer de la clarinette et du saxophone. Un soir son beau-père Ezell se fait poignarder pour avoir dansé avec une femme blanche, un crime qui marque la conscience politique de Pee Wee. Après ce drame, Elizabeth emmène ses enfants vivre à Rochester (New York). La chance sourit à Pee Wee le jour où, dans un magasin de réparations de saxophone, il rencontre Sonny Rollins et ose lui demander de lui donner des cours. Il se forme avec lui au jazz moderne et parlera souvent de l’influence de son mentor. Au même moment, il fréquente la Manhattan School of Music et débute le métier de musicien professionnel aux côtés du contrebassiste Ron Carter ou du trompettiste Chuck Mangione. 

En 1966, il est engagé par James Brown en remplacement de Al Brisco Clark, présent depuis 1962 au poste de saxophone ténor. À cette époque, l’arrangeur est Nat Jones, un saxophoniste alto qui amène déjà une touche jazz et les bases de l’imminente révolution funk. Sous la direction de Jones, Pee Wee enregistre les hits Money won’t change you, Don’t be a dropout et Bring it up (Hipster’s Avenue). Peu de temps après, Jones quitte le Godfather pour des problèmes de santé mentale. Pee Wee est désigné pour le remplacer comme arrangeur et saxophoniste alto. Durant trois ans, il va traduire et mettre en musique les concepts imaginés par James Brown. D’une mélodie fredonnée à la hâte par son patron, Pee Wee organise le groove, harmonise les cuivres et donne naissance à une série de hits qui posent les bases du funk : Cold sweat (1967), Licking stick, licking stick (1968), Get it together (1968), l’hymne de la fierté noire Say it loud, I’m black and I’m proud, Mother popcorn (1969) et de nombreux instrumentaux jazzy et cuivrés dont The chicken popularisé par le bassiste de jazz Jaco Pastorius. En parallèle, Pee Wee collabore avec The Dapps, un groupe de musiciens blancs menés par le batteur William “Beau Dollar” Bowman et affiliés au Godfather. Bien que ce soit Maceo Parker le soliste principal, Pee Wee est parfois sollicité par James pour exécuter un solo. Son vocabulaire complexe et marqué par le be-bop tranche avec le jeu plus incisif et bluesy de Maceo. À cette époque, il a un son fluet et doux mais au fil du temps, en adoptant à nouveau le ténor, il se rapproche du son gras et râpeux des honkers du rhythm & blues. 

En 1969, lassé par le caractère irascible de son patron et le manque de reconnaissance, il quitte l’orchestre et laisse sa place à Fred Wesley. Installé à New York, il devient arrangeur et saxophoniste freelance et travaille pour le producteur Esmond Edwards sur le label Cadet (Jack Mc Duff, Shirley Scott), pour le chanteur de jazz Leon Thomas sur le label Flying Dutchman et pour différents projets plus rock (Blues Magoos, P.J. Colt). Le prestigieux label de jazz funk CTI (et sa filiale Kudu) l’engage dans l’équipe d’arrangeurs aux côtés de David Matthews ou Eumir Deodato. Esther Phillips, Hank Crawford, George Benson ou Johnny Hammond Smith bénéficieront de ses services. 

Porretta 2019 © Brigitte Charvolin

En 1977, Pee Wee sort enfin un premier album à son nom, “Home In The Country”, et collabore avec le saxophoniste coltranien David Liebman sur l’album “Light’n Up, Please!” Deux ans plus tard, il devient directeur musical de Van Morrison, l’ancien chanteur du groupe de rock irlandais Them reconverti en soulman, poste qu’il occupe pendant de longues années.

En 1988, le chanteur et compagnon de route de James Brown, Bobby Byrd, engage Maceo Parker, Fred Wesley et Pee Wee Ellis pour l’accompagner sur scène. Durant cette tournée, ils décident de travailler ensemble à nouveau et ce sera le début d’une collaboration magique qui durera près de dix ans. C’est d’abord sous le nom de The J.B. Horns qu’ils sortent leurs albums, notamment un live avec la section rythmique des Meters, et ensuite sous le nom de Maceo Parker’s Roots Revisited sur le label de jazz allemand Minor Music. Ils font le tour du monde avec un show explosif où ils célèbrent la musique de James Brown, Ray Charles, Lionel Hampton ou Marvin Gaye. Pee Wee sort aussi de son côté quelques albums solo chez Minor (“Sepia Tonality”, “Yellin Blue”, “A New Shift”, “What You Like”). En 1996, ils jouent de moins en moins souvent à trois et Pee Wee monte son propre groupe pour jouer sa musique. Durant les années 2000, il continue de tourner en Europe et participe à de nombreux projets avec des artistes aussi différents que le chanteur-guitariste Ali Farka Touré, la chanteuse Oumou Sangaré, le rappeur Ty ou le batteur Ginger Baker. Il était un habitué des scènes françaises et particulièrement celle du New Morning à Paris.

Pee Wee Ellis est décédé à l’âge de 80 ans de problèmes cardiaques. Le monde du funk avait à peine fait le deuil de Dennis “D.T.” Thomas, le saxophoniste de Kool & The Gang décédé en août dernier, qu’il perd l’un des artisans originels du genre. 

Belkacem Meziane
Photo d’ouverture : Paris, 2015 © Fouadoulicious

Avec Ginger Baker, New Morning, Paris, 2015 © Fouadoulicious
Paris, 2015 © Fouadoulicious
Belkacem MezianePee Wee Ellis