Dylan Triplett & The Simi Brothers, Blues sur Seine 2023
05.12.2023
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Les liens entre la soul et le funk, d’une part, et les musiques africaines, d’autre part, ont rarement été aussi forts qu’au cœur des années 1970. Souvent caché par l’ombre portée de son compatriote Fela, le saxophoniste nigérian Orlando Julius a été un des pionniers de ce lien avec son album de 1966, “Super Afro Soul”. Son dernier album, paru l’an passé, est une collaboration avec les Heliocentrics, un groupe anglais habitué des confins les moins habituels des musiques afro-américaines, déjà responsables de projets partagés avec des figures aussi idiosyncratiques que Mulatu Astatke et Melvin Van Peebles, et c’est avec une version réduite du groupe, renforcée d’une choriste-danseuse-percussionniste qu’il se présente sur la scène d’une Bellevilloise bien remplie et enthousiaste.
Après une courte introduction instrumentale assurée par les Heliocentrics, Julius les rejoint sur scène, le saxophone déjà la bouche, pour une intervention digne des meilleurs “honkers” historiques, avant de se lancer dans une version à rallonge de son classique Ride on James Brown, permettant aux deux cuivres des Heliocentrics de faire la preuve de leurs qualités de solistes. Le reste du show se partagera entre classiques de Julius et morceaux du dernier album. Présenté un peu abusivement par la publicité autour du concert comme « le parrain de l’afrobeat », Julius se rattache bien plus au highlife dans sa version moderne, influencée par le jazz, le rhythm and blues et les sons latins. Contrairement à son collègue Fela et à ses longues divagations, Julius reste attaché au format chanson, et ses morceaux, même quand ils intègrent plusieurs solos, restent d’une durée classique. Par contre, on retrouve dans ses textes, comme dans ceux de Fela, un souci constant du message politique, plusieurs de ses chansons faisant référence à Malcolm X et à Marcus Garvey. Dans un milieu musical souvent machiste, il a un positionnement plutôt féministe, évoquant le souvenir d’un groupe de percussions uniquement féminin auquel appartenait sa mère, tandis que sa choriste évoque longuement les questions liées à l’éducation des filles et rend hommage à Malala Yousafzai.
Mais le message politique ne prend jamais le pas sur la musique et sur la danse. Sur scène, Orlando Julius ne ménage pas sa peine : il chante, danse (seul ou dans des chorégraphies partagées avec sa choriste), joue du saxophone (quel souffle !), donne quelques chorus au clavier, encourage du geste ses musiciens, harangue le public dans un “broken english” pas toujours évident à suivre… Et le résultat est à la hauteur, avec une ambiance de feu au sein de la salle, qui refuse de laisser le groupe quitter les lieux avant un rappel incendiaire qui met un terme à une prestation de deux bonnes heures sans temps faible.
Frédéric Adrian