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Live reports / 29.11.2021

Nubya Garcia + Sons of Kemet + cktrl, Le Bataclan, Paris

Pitchfork Music Festival, 18 novembre 2021.

Fidèle à sa réputation d’ouverture musicale, la déclinaison parisienne du festival inspiré par le fameux magazine du même nom proposait, au sein d’une programmation foisonnante, une belle soirée avec trois représentants de la très riche scène jazz britannique. 

En ouverture, le saxophoniste et clarinettiste cktrl (Bradley Miller de son vrai nom) proposait une suite contemplative d’une demi-heure. Accompagné de deux claviers et de bandes reproduisant des bruits de la nature ou en solo suivant les instants, il alterne entre clarinette et saxophone mais peine à garder l’attention des spectateurs. Difficile en effet d’apprécier en placement uniquement debout une musique qui demande clairement une écoute plus attentive, et impossible donc de se faire un avis…

Pas de difficulté de ce genre pour Nubya Garcia : précédée sur scène par la rythmique tellurique du bassiste Daniel Casimir et du batteur Sam Jones, deux de ses partenaires habituels, la jeune saxophoniste – bientôt trente ans ! – déboule sur scène avec une folle envie de jouer. Le clavier de James Beckwith ajoute une coloration dub à la pulsation reggae de ses deux collègues, et Garcia souffle comme si sa vie en dépendait. Le public répond sans attendre à la lave incandescente qui sort de son instrument – la musicienne en parlera en suite comme d’« un des meilleurs publics qu’elle ait jamais eu » – et toute la fosse ondule au fil de ses improvisations. Visiblement très émue par l’accueil, elle ne cache pas sa frustration de n’avoir que trois trop courts quarts d’heure pour s’exprimer – un scandale récurrent, les programmateurs parisiens semblant la confiner à des premières parties ! – mais ne laisse pas la tension baisser. 

Qu’importe si le répertoire du dernier album n’était qu’à moitié convaincant : sur scène, Garcia emporte toutes les résistances, et sa présence, qu’elle joue ou danse pendant les solos de ses partenaires, galvanise un public qui semble avoir le souffle coupé tout au long de sa prestation, qui passe notamment par un irrésistible Pace. Même si elle ne cesse de faire l’éloge de Sons of Kemet, qui lui succède – et dont elle suivra la prestation depuis son stand de merchandising –, elle a bien du mal à quitter la scène, mais joue le jeu – quand bien même les spectateurs auraient volontiers accueilli un rappel pour prolonger le moment. Amis programmateurs, il est temps de lui donner sa place en tête d’affiche et le temps dont elle a besoin pour s’exprimer ! 

Nubya Garcia

Conséquence de la performance extraordinaire de Nubya Garcia ou d’un répertoire – celui de l’album “Black To The Future” – plus banal que précédemment, je ne parviendrai pas à entrer dans la prestation des Sons of Kemet. Certes, le saxophone de Shabaka Hutchings n’a rien perdu de sa puissance, ni la formule originale – deux batteurs et un tuba – de sa capacité hypnotique, mais la machine semble tourner à vide, et l’irruption de Joshua Idehen pour un passage spoken word à peu près incompréhensible ne fait que renforcer la difficulté à adhérer à un propos qui semble avoir remplacé la substance par une démonstration de force en termes de rapidité et de niveau sonore. Je finirai par quitter les lieux, un peu interrogatif sur la démarche artistique de Hutchings, au bout d’une quarantaine de minutes de musique… Cette petite déception – qui ne m’empêchera pas de donner une autre chance au groupe, dont l’album précédent et les shows qui l’avaient suivi étaient très réussis – ne gâche cependant pas la réussite d’une soirée dont le seul défaut, au vu de la qualité de son affiche, était un remplissage finalement timide alors que les trois artistes proposés ne s’étaient pas produits récemment à Paris… Comme toujours, les absents ont eu tort ! 

Texte : Frédéric Adrian
Photos © Frédéric Ragot 

Sons Of Kemet