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Live reports / 23.02.2020

Nérija, New Morning, Paris

14 février 2020.

Joli coup pour le New Morning qui s’offre, dans une salle comble et devant un public particulièrement jeune, une des rares dates de concert, dans la foulée de son excellent album paru l’an passé, du collectif all stars britannique Nérija : Sheila Maurice-Grey à la trompette, Cassie Kinoshi au saxophone alto, Rosie Turton au trombone, Nubya Garcia au saxophone ténor, Shirley Tetteh à la guitare, Rio Kai à la basse et Liz Exell à la batterie. L’événement est exceptionnel, car les emplois du temps chargés des membres – parties prenantes, dans différentes configurations, de quelques-uns des projets les plus séduisants de la scène jazz britannique d’aujourd’hui, de Maïsha à Kokoroko en passant par Ezra Collective, en plus de la carrière personnelle de Nubya Garcia – interdisent les rencontres régulières, que le succès croissant de certains groupes (Kokoroko, le groupe de Sheila Maurice-Grey auquel participe également Cassie Kinoshi, a rempli la semaine précédente la Cigale) risque de rendre encore plus compliquées… 

Pas de caprices de stars cependant ce soir : l’ensemble du groupe – six femmes, un homme – s’installe en demi-cercle et les interventions parlées sont réparties entre chacun. Peut-être échaudée par quelques prestations festivalières raccourcies lors de ses précédents passages parisiens, Nubya Garcia se réjouit d’avoir le temps de jouer ce soir et, de fait, les deux sets permettent au groupe d’interpréter la quasi-totalité de l’album “Blume”, à l’exception du morceau titre, dans des versions allongées – souvent jusqu’au quart d’heure – qui permettent aux solistes de s’exprimer pleinement. Chaque morceau met en valeur deux ou trois instrumentistes qui dispose de longues plages pour dérouler un discours original et construit, combinant puissantes individualités – le solo intense de Cassie Kinoshi sur Where it ends and begins en ouverture, l’incroyable puissance de Sheila Maurice-Grey sur Last straw… – et son de groupe cohérent. Pas d’électronique (en dehors de quelques effets sur la guitare de Shirley Tetteh sur EU (Emotionally unavailable)) ou d’influences hip-hop ou afrobeat ici : le registre est explicitement jazz et acoustique, et bénéficie d’un répertoire accrocheur sur mesure écrit par le groupe ou certains de ses membres.

Du jeu profond de Shirley Tetteh – entre Jimmy Nolen et Wes Montgomery – aux invraisemblables polyrythmie de Liz Exell dont le jeu foisonnant très physique et les grimaces évoquent Ginger Baker, de l’intériorité de Nubya Garcia, dont chaque note semble pesée avec précision, à l’autorité naturelle de Sheila Maurice-Grey – qui dirige occasionnellement du geste ses collègues –, de l’intensité habitée de Cassie Kinoshi au jeu direct et sans fioriture de Rosie Turton, sans oublier l’impeccable précision de Rio Kai, en lien permanent avec ses partenaires rythmiques, difficile de savoir ce qu’il faut le plus admirer. 

La foule se presse dès l’entracte au merchandising – qui ne propose que le disque, en LP ou en CD –, et le second set ne fait que confirmer et prolonger le plaisir de la première partie, Liz Exell s’offrant en particulier un solo mémorable sur Swift. Totalement conquis, le public n’a pas besoin de l’invitation de Sheila Maurice-Grey à danser pour le rappel sur River fest. Le très sentencieux Frank Zappa expliquait il y a quelques années que, si le jazz n’était pas mort, il commençait à sentir bizarre. En 2020, c’est Zappa qui est mort, et le jazz de Nérija sent vraiment très bon ! 

Texte : Frédéric Adrian
Photo © Clare Shilland

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