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Live reports / 25.05.2023

Monty Alexander, La Seine Musicale

16 mai 2023.

Le programme a beau avoir annoncé un concert dédié au répertoire de Thelonious Monk revu et corrigé façon jamaïcaine, comme sur son album “Wareika Hill: Rasta-Monk Vibrations”, Monty Alexander – 79 ans le 6 juin prochain – est bien décidé à jouer ce qu’il a envie.

Et au vu des réactions de ses musiciens (Luke Sellick à la contrebasse, Jason Brown à la batterie) lorsqu’il lance un morceau, il n’est même pas certain qu’il y ait réellement une setlist formalisée, Alexander semblant suivre son inspiration – pour la peine, il faudra attendre plus d’une heure et demie de concert avant d’entendre un titre emprunté à Monk ! Pas de raison de se plaindre cependant, tant l’univers du pianiste né à Kingston est riche et ouvert. 

Sans grande surprise, c’est avec un hommage à son compatriote Harry Belafonte, dont il a croisé la route, que s’ouvre le concert. S’il peine à faire chanter une salle fort sage sur Day-O (The banana boat song), qu’il continue au piano, la version du I wish I knew how it would feel to be free de Billy Taylor – chanté occasionnellement par Belafonte mais popularisé par Nina Simone – qui suit est un premier sommet, tant le jeu constamment original et créatif du d’Alexander transcende une mélodie pourtant déjà bien connue. Un peu plus tard, c’est un salut autant amical qu’artistique qu’il adresse à un autre récent disparu, le pianiste Ahmad Jamal, avec Night mist blues, la composition de celui-ci qui apparaît sur le fameux album “Montreux Alexander – Live! At The Montreux Festival”, mais aussi You can see, un de ses propres morceaux repris par Jamal sur son album de 2003 “In Search Of Momentum”. Sans doute inspiré par l’esprit de Jamal, il donne ensuite une lecture très originale du Concerto de Aranjuez, qui quitte volontiers l’Espagne pour la Caraïbe… 

Si Alexander est surtout réputé pour sa capacité à faire siens les morceaux des autres, il est aussi un compositeur solide et plusieurs de ses propres titres apparaissent au programme : l’amusant Look up!, sa relecture de Love for sale rebaptisée Think twice – il n’aime pas le titre original, explique-t-il et la très belle ballade Oh why? (In memory of M.D. Davis), dédiée à une amie décédée d’une overdose. Quelques moments plus sérieux n’interdisent pas au pianiste de défendre son approche volontiers ludique de la musique, qu’il s’agisse de jouer avec le thème de James Bond – il raconte être allé voir à plusieurs reprises le premier film de la série, qui se passait en Jamaïque, au moment de son arrivée aux États-Unis – ou de donner une lecture originale de No woman, no cry, traitée en ballade. Comme à son habitude, il joue avec les mélodies et n’hésite pas à les parasiter de façon plus ou moins inattendue : Get up, stand up apparaît dans No woman, no cry tout comme quelques mesures de la Marseillaise au milieu du thème de James Bond ! D’autres références sont tellement furtives qu’il est à peine possible de les identifier avant qu’elles ne s’échappent. 

Le tromboniste britannique d’origine jamaïcaine Dennis Rollins rejoint ensuite la scène pour un duo trombone-mélodica qui cite aussi bien Day-O que I got rhythm, puis deux titres de Monk – enfin ! – revisités : un Brillant corners ouvert par un étonnant duo tambourin-batterie, puis par un passage au mélodica avant qu’Alexander ne s’asseye au piano, et un très beau Misterioso. Cela pourrait marquer la fin du concert – qui approche tranquillement des deux heures –, mais le pianiste n’a pas fini. Après avoir raconté avoir vu Nat King Cole en concert à l’âge de 10 ans, il accueille une nouvelle invitée, la chanteuse Caterina Zapponi – qui est également son épouse – pour un duo amusant sur le I’ll never stop loving you de Doris Day et sur son propre Love notes.

Le concert se termine comme il a commencé, par un hommage à Harry Belafonte avec Island in the sun, chanté avec une évidente émotion. Bien qu’il soit déjà resté sur scène plus de deux heures, il ne faut pas longtemps au public qui l’acclame debout pour le convaincre de revenir jouer un dernier titre, en forme d’élégant point final à un concert généreux donné par un artiste dont l’enthousiasme et l’amour de la musique sont évidemment contagieux. 

Texte : Frédéric Adrian

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