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Live reports / 13.08.2010

MNOP – Musiques Nouvelle-Orléans Périgueux

 

La dixième édition de MNOP était une sorte de "best of" des neuf précédentes puisque c’est à partir des programmes antérieurs qu’a été constitué celui de cette année. Et son niveau en dit long sur la pertinence des choix opérés depuis 2001.

 

Jour de chance, le vendredi 13 août, nous sommes arrivés à temps pour le concert de 16 heures qui réunissait dans la belle cour renaissance du Logis Saint-Front le guitariste-banjoïste Don Vappie (héros du cru 2008) et le trompettiste Wendell Brunious (pierre angulaire de l’édition 2009). Même s’ils se croisent souvent chez eux, à La Nouvelle-Orléans, ils n’avaient guère eu l’occasion de se rencontrer dans un tel contexte, relax et informel. L’expérience s’avéra pourtant tout à fait passionnante et stimulante, source d’un plaisir partagé entre eux et avec l’auditoire. Aussi naturels l’un que l’autre au chant, aussi brillants que décontractés sur leurs instruments, ils abordèrent avec bonheur des thèmes comme L.O.V.E. (King Cole), Cornet shop suey (Louis Armstrong), Buddy Bolden blues (Jelly Roll Morton) ou Salée dame (Danny Barker).


Don Vappie et Wendell Brunious


Le logis Saint-Front

 

Dès 19 heures, Benoit Blue Boy et ses Tortilleurs retrouvaient un parc Gamenson bien rempli. En grande forme, le "Godfather" du blues à la française égrena ses classiques (Descendre au café, Le blues assis au bout d’mon lit, Idiot ou bien crétin) avec son humour décalé, une fausse indolence et une véritable implication qui se confirma une demi-heure plus tard avec Lazy Lester. Puisque le survivant des légendaires sessions de Jay Miller préfère aujourd’hui s’accompagner à la guitare, il laissa de belles occasions à Benoit et aussi à Stan Noubard Pacha qui surent en profiter avec leur mesure coutumière dans un répertoire alternant blues bien sentis (Nothing but the devil, Blues stop knocking, You don’t have to go…), pièces country (dont le Your cheating heart d’Hank Williams) et même un "tortillage", Ya ya.


Lazy Lester, Benoit Blue Boy et les Tortilleurs

 

Déjà présent en 2002 et en 2006, Evan Christopher revenait à MNOP avec son nouveau programme "Django à la créole", belle occasion d’associer en cette année de centenaire de Django Reinhardt le jazz manouche et la clarinette créole. Soutenu par un trio de cordes (contrebasse et deux guitares), le digne héritier de Johnny Dodds et Bechet évoquait avec classe l’association du Gitan avec Hubert Rostaing, d’abord par un discours très pédagogue puis, surtout, à travers de belles interprétations de Douce ambiance, Féerie ou Manoir de mes rêves, parfaitement épaulé dans l’entreprise par la guitare de Dave Blankhorme et la pompe de Dave Kellis. Mais, nul doute que la prestation connût un véritable sommet d’intensité avec l’arrivée, en invité, de Don Vappie pour des versions irrésistibles de Solid old man et I know that you know.
Charmaine Neville revenait aussi pour la troisième fois à Périgueux. Si sa voix semble de prime abord moins souple, elle ne tarde pas à retrouver ses marques avec son exubérance et sa joie de vivre la musique communicatives. Il faut dire que la fille de Charles a toujours pris soin de s’entourer des plus fines lames néo-orléanaises. A côté de son éternel complice, le pianiste (et occasionnellement accordéoniste) Amasa Miller, on trouvait le contrebassiste Jessie Boyd, le guitariste Detroits Brooks (frère de Juanita) et l’immense (dans tous les sens du terme) batteur Gerald French (ces deux derniers vus l’an dernier à Banlieues Bleues avec Bo Dollis et Donald Harrison). Wendell Brunious, toujours suprêmement élégant, ne s’était pas fait prier pour joindre sa trompette au groupe. Un renfort très opportun pour Charmaine dans ses imitations de Louis Armstrong ou ses reprises de morceaux typiquement Mardi Gras.

Le lendemain, jour de marché, un brass band assemblé par Jean-Marie Hurel, avec quasiment tous les musiciens du festival, sillonnait les rues du vieux Périgueux avec Charmaine dans le rôle du grand marshal ouvrant la parade.

 

Le concert "unplugged" de l’après-midi au logis Saint-Front réunissait à nouveau Benoit et Lazy Lester. Plus encore que la veille, ce duo acoustique et quasiment impromptu (pas de répertoire pré-établi) révéla la véritable connivence qui unit les deux hommes, une complicité qui va bien au-delà de la musique. C’était donc un privilège rare que d’entendre le chant si simple et évident de Lester, accompagné par sa propre guitare tout en accords et l’harmonica de Benoit toujours pertinent grâce à sa connaissance intime du swamp blues. Ce n’est que lors du rappel – une version instrumentale de Jambalaya – que Lester nous gratifia de quelques traits d’harmonica.


Lazy Lester et Benoit Blue Boy


Lazy Lester


Benoit Blue Boy

 

On ne peut plus réduire les Talk That Talk au rôle de "régionaux de l’étape". Le groupe (Hervé Fernandez, guitare ; Julien Dubois, basse ; Philippe Eliez, drums) a même tourné aux Etats-Unis avec 19th Street Red suite à leur rencontre l’an dernier à MNOP. Cette année, ils ont été associés à Spencer Bohren pour une série de concerts en Périgord et en ouverture de la soirée du 14 août. Bohren, que l’on avait vu seul sur cette scène en 2008, fit passer les mêmes émotions avec sa lap steel guitar frémissante de feeling, tandis que sa Strato Fender invitait à se lever. Une belle prestation tout en nuances avec un sensible Hallelujah en solo, de très beaux Tomorrow is mine et Your home is my heart et des reprises personnalisées de Who do you love, Sky is crying et, en rappel, Papa and mama d’Earl King.


Spencer Bohren (lors d'une jam)

 

Le MNOP All Stars méritait bien son nom, puisqu’il ne comptait que des "pointures" réunies pour l’occasion : Wendell Brunious (tp), Evan Christopher (cl), Francis Guéro (tb), Don Vappie (bjo), Thierry Ollé (p), Guillaume Nouaux (dm) et un contrebassiste dont le nom m’a échappé. Le meilleur jazz new orleans fut le fil conducteur d’un set ouvert avec Back home again in Indiana d’Armstrong, suivi de Basin Street blues et Mama don’t allow no music playing here. Don Vappie se distingua encore par ses prouesses instrumentales, mais aussi son chant enthousiasmant sur Buddy Bolden blues ou un Careless love superbement souligné par Thierry Ollé. Evan Christopher reçut une ovation méritée pour un Petite fleur d’une grande sensibilité. Avec l’arrivée des trompettistes Jean-Marie Hurel et François Biensan, le concert prit des allures de parade et se termina gaillardement avec le Don’t mess with my toot toot de Rockin’ Sidney.


Don Vappie (lors d'une jam)

 

Avant d’entamer le dernier concert du festival, Chris Jones, le leader des 101 Runners réclama l’attention du public afin de lire une proclamation du maire de La Nouvelle-Orléans saluant le travail effectué depuis 10 ans par Jean-Michel Colin, président de MNOP, en faveur de la musique néo-orléanaise. Très ému, Jean-Michel associa naturellement son fils Stéphane et toute son équipe à l’hommage.
 


Stéphane et Jean-Michel Colin


La proclamation du maire de New Orleans

 

Seuls à n’être jamais venus à Périgueux, les 101 Runners se présentent comme un "Mardi Gras funk band". Un batteur (Ajay Mallery) et deux percussionnistes (Chris Jones, Lionel Batiste Jr) tissent leurs polyrythmies syncopées, tandis que claviers (Tom Worrell), sax baryton (Jimmy Carpenter) et guitare (June Yamagishi) rivalisent d’énergie et d’implication. Ils sont vite rejoints par Big Chief Monk Boudreaux, le légendaire leader des Golden Eagles, dans son superbe costume tout de perles et de plumes. Si nous l’avions trouvé un peu fatigué à Banlieues Bleues en 2009, il a recouvré toute sa vitalité et, même seul au chant (Old  black Johnny, Hey pocky way, Shotgun Joe, Lil’ Liza Jane…), il a donné à MNOP le plus bel exemple de cette spécialité endémique à New Orleans, celle des Indiens de Mardi Gras !
 


101 Runners (lors d'une jam)


Big Chief Monk Boudreaux (backstage "en civil")

 

Ainsi s’achevait cette 10e édition d’un niveau particulièrement relevé et qui, une nouvelle fois, avait montré la profonde fraternité qui unit les musiciens de New Orleans, au-delà des styles et des générations. Puisse ce festival unique, qui a su imposer sa différence au milieu de manifestations formatées et interchangeables, continuer encore longtemps.

Jacques Périn
Avec le concours d’Alain Tomas

Photos © Jacques Périn (pas équipé pour les photos de concert !)