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Live reports / 25.08.2025

Megève Blues Festival 2025

1er et 2 août 2025.

René Huget et sa petite-fille Charline ont une nouvelle fois honoré la mémoire du fils du premier et du père de la seconde. Stéphane Huget avait depuis la première édition en 2014 posé les premières pierres d’un rêve éveillé : proposer aux légendes du blues de se produire dans ce magnifique écrin qu’est Megève, au coeur des Alpes, à quelques encablures du Mont-Blanc, toit de l’Europe. Année après année, ce rêve devenu réalité continue de grandir…

Après le parking du Palais des Sports en 2024, le festival a cette année investi un emplacement idéal devant l’hôtel qui héberge les musiciens. Le Pré Saint-Amour, magnifique petit écrin de verdure à deux pas du centre de Megève, est parfaitement aménagé pour accueillir l’espace-club, la scène, le public (fosse et estrade) et différents stands pour le confort de tous.

Les tremplins

L’édition 2025 n’oublie pas la place de l’église où le festival est né : comme l’an passé, dans l’après-midi, des tremplins sont organisés pour déterminer chaque soir quel groupe régional assurera dès 19 h la première partie des deux artistes américains. Outre l’apport d’une animation au centre-ville, continuer à offrir à tous des concerts gratuits permet de conserver le contact avec d’éventuels futurs festivaliers de dernière minute – présents à Megève pour le tourisme ou y résidant – afin de leur proposer la formule payante du soir.

Le vendredi, ce sont les groupes Riot Pulse, Maple Reed et Kurt Blues Band qui se présentaient au choix du jury. Le premier, à la belle énergie mais trop marqué rock avec des références chez Red Hot Chili Peppers et Lenny Kravitz, et le dernier, dont la prestation blues – contenant tout de même quatre compositions – manquait de liant et de connexion entre la chanteuse et les trois autres musiciens, n’ont pu passer la barre malgré de réelles qualités et leur volonté d’assurer au mieux une prestation de trente minutes chacun. La préférence du jury est allée à Maple Reed, qui a su habilement dérouler son répertoire avec cohésion et de bonnes qualités techniques. La chanteuse Ludivine a une voix franche et une belle assurance inspirée de Beth Hart ; Julien, guitariste talentueux et au son clair, n’abuse pas des effets du pédalier ; une solide rythmique est distillée par Eliott à la basse et Dask à la batterie. Cette formation blues rock à l’unité évidente et à l’énergie bien canalisée aura le plaisir non dissimulé d’ouvrir sur la grande scène pour Toronzo Cannon et Fantastic Negrito. Belle carte de visite pour un groupe originaire de la Drôme à l’aura régionale, qui devrait à présent tenter d’obtenir une plus grande visibilité grâce à d’autres tremplins.

Dans les mêmes conditions, le lendemain, ce sont les formations Dean Wallace, Plooks et Léo Benmass Trio qui pouvaient assurer chacun une demi-heure intense devant un public encore plus nourri que la veille. Là encore, le premier groupe navigue hors de la note bleue, préférant un rock proche du métal et d’inspiration trash. Malgré un bassiste remplaçant – rude tâche au sein d’un power-trio – la musique bien ficelée de Dean Wallace, emmenée par un leader empli d’assurance, n’aura pas convaincu. Les seconds étaient davantage dans l’esprit blues rock que les festivaliers apprécient plus ; humour et décontraction étaient au rendez-vous d’un set rondement mené en power-trio par Plooks, passage rock ’n’ roll inclus, guitare saturée et rythmique percutante à l’unisson. Le jury aura tout de même préféré le Léo Benmass Trio, inspiré par Jimi Hendrix et Stevie Ray Vaughan, mais capable de composer, à l’énergie bouillonnante et bien maîtrisée. Son chanteur Léo Benmass possède l’allant scénique nécessaire, la technique guitaristique et une belle complicité avec ses deux acolytes Pascal Garcia à la basse et Arnaud Liatard à la batterie (qui officiait d’ailleurs dans le groupe Plooks). Les Lyonnais seront aux anges de pouvoir monter à leur tour sur la grande scène, avant D.K. Harrell et Jimmie Vaughan. Léo Benmass Trio pourrait également tenter de se faire remarquer au niveau national dans d’autres challenges…

Vendredi 1er août

Toronzo Cannon a signé trois albums chez Alligator, et ça va continuer… Les influences “gros son de guitare” sont à chercher chez Luther Allison, Son Seals et Lonnie Brooks, même si ses premières amours allaient vers des musiques plus mainstream à ses débuts. De nombreux titres sont mis à contribution pour que le message passe ; faits de société, dénonciation d’injustices sont certaines de ses inspirations les plus marquantes. Il aborde aussi des sujets plus légers, comme les relations homme-femme dans Somethin’ to do man tiré du dernier album “Shut Up And Play!”, ou encore Midlife crisis qui pourrait s’avérer tragique mais réserve une chute comique… Les autres compositions sont à l’avenant : inventives, réfléchies, vraies. Peu de place pour les reprises, avec seulement Let me love you baby de l’un de ses héros Buddy Guy, afin de souligner son 89e anniversaire. 

Toronzo Cannon ne ménage pas ses efforts pour communiquer en toute sincérité avec des spectateurs enthousiastes et au nombre grandissant au fil de sa prestation. Chanteur puissant et passionné, doué d’une belle faconde, guitariste épique et enivrant sans pour autant sombrer dans une distorsion indigeste, il sait tirer parti de tout son groupe incluant le très groovy Mike Rodbard (batterie) et le solide David Forte (basse), surplombés par l’excellent claviériste Adam Pryor. Cannon maîtrise parfaitement l’art de la tension-détente, sachant également dérouler son set en variant les ambiances en fonction de la réponse immédiate du public. Un band impeccable qui connaît son Chicago shuffle sur le bout des doigts, un leader doté d’un sérieux abattage, une culture de chaque instant qui permet de rebondir habilement à tout moment : tout cela au service d’un excellent concert, généreux, enthousiasmant, totalement Chicago blues et qui met tout le monde d’accord. La barre est haute !

Toronzo Cannon

Artiste fantasque, captivant, étonnant, inclassable, Fantastic Negrito a un passé des plus tumultueux et il en fait part à son public, entre les titres… et pendant ses compositions livrées sans retenue. Chanteur envoûté, guitariste et claviériste par petites touches, il confie surtout à son band impeccable, impliqué et attentif, le soin de régler tous les détails d’une chorégraphie-performance entre réminiscences résolument seventies de Parliament, Prince et Sly Stone. Beaucoup de mise en scène et un maniérisme assumé, des confidences parfois crues, un énorme son funk groove soul avec de gros morceaux de guitare dedans, une rythmique débridée au service d’un concert détonant… qui ne fit pas l’unanimité, malgré la participation de Toronzo Cannon à un titre final plein de rebondissements. Une certaine rigueur aurait davantage servi le show dans le sens d’une cohérence plus marquée, notamment sur les harangues un peu longues et peu comprises du grand public, ainsi que la durée de certains titres. Un décloisonnement musical total et une liberté qui enfoncent tous les codes du spectacle : de quoi réjouir la grosse partie du public qui sera véritablement “entrée dans le concert” et l’aura suivi jusqu’au bout du show.

Fantastic Negrito

Samedi 2 août 

D.K. Harrell est un jeune artiste de 27 ans qui a déjà tout compris ! Déjà un second album et une carrière extraordinaire à suivre pour ce tout jeune Louisianais né en 1998, grand fan de B.B. King et de nombre de géants du blues qui ont pu l’inspirer, mais dont il se détache naturellement dès qu’il s’agit de composer. Car l’homme agit en contemporain et utilise comme terreau sa propre vie et ce qui l’entoure pour créer sa musique. Vêtu d’un superbe costume rouge vif, D.K. Harrell nous a offert avec bonhomie et détermination un concert absolument dantesque. Un chant puissant et précis, un jeu de guitare à la fois délicieux, dénué d’effets inutiles, aux notes chantournées tantôt délicates, tantôt assenées…

D.K. Harrell

Si l’ombre de B.B. King a volontiers plané sur les premiers titres, et de façon plus feutrée par la suite, on a aussi pu penser parfois à Freddie King. Le jeune leader entretient une connivence évidente avec tous ses musiciens : Ruffin “Ruff and Ready” Jackson à la batterie, Andrew “Fingers” Moss à la basse, Russ “Blue Note” Bryant au ténor sax, John “Jumpin John” Dupré à la trompette et Orlando “Berghausen” Henry à l’orgue et au piano. Un large entretien nous révèle un homme mature, apte à prendre la hauteur nécessaire pour considérer sa carrière à l’aune de l’histoire du blues qu’il ne juge pas terminée, loin de là, livrant une liste pléthorique d’autres jeunes artistes aptes à poursuivre le chemin ouvert par les pionniers. Autant d’ingrédients pour un concert parfait de maîtrise et de plaisir, mâtiné de blues transis et de gospels irrésistibles, à la fois empli de références et tourné vers le public le plus large, vite rendu avide – par un D.K. Harrell souriant et loquace – de déguster toutes ses savoureuses tranches musicales. Quelle belle générosité et quelle leçon pour la jeunesse ! Avec D.K. Harrell, on entrevoit l’avenir du blues avec assurance et optimisme.

Un concert de Jimmie Vaughan, c’est un rendez-vous avec une légende. Je crois connaître son existence depuis que je m’intéresse au blues, il y a plus de 45 ans… Ses débuts à la guitare en 1963 – il n’avait que 12 ans – ne sont pas si loin car la fidélité aux origines du rock ’n’ roll en son clair reste la marque de fabrique du Texan, bien entouré de solides musiciens : Billy Pitman à la guitare rythmique, les jeunes Billy Horton à la contrebasse et Jason Corbière à la batterie, et une très belle section de cuivres qui est une référence à elle seule : The Texas Horns comprenant Mark “Kaz” Kazanov (saxophone ténor), John Mills (saxophone baryton) et Al Gomez (trompette). Le chant est intact : grave, subtil ou véhément, il sert un répertoire varié entre titres mid-tempo, slow blues, rock ’n’ roll, jump, shuffle… La guitare toujours alerte, Jimmie Vaughan s’amuse de son propre anachronisme assumé et perpétue avec détermination et fougue les styles qui ont fait les Fabulous Thunderbirds ou sa carrière solo.

Si No one to talk to, Hold it et Just a game figurent dans le récent “Baby Please Come Home” de 2019, le Texan puise parfois loin dans le passé pour bâtir un répertoire équilibré et intelligemment mené. Boom papa boom et Tilt-a-whirl sont tirés de “Strange Pleasure” (1994), Dirty work, chanté avec foi et remarquable de retenue, remonte au deuxième album des Thunderbirds (1980), tandis que Scratch my back est emprunté à Slim Harpo, Just a little bit à Rosco Gordon et Motor head baby à Johnny Guitar Watson… Des influences parfois jugées annexes chez lui, mais assumées et bien réelles. Jimmie Vaughan évoque et dénombre les héros du blues, incluant son frère Stevie Ray disparu voici déjà presque 35 ans… Texas flood emprunté à Larry Davis, popularisé par SRV, est interprété avec une belle délicatesse. White boots de l’album “Family Style” avec son frère, Six strings down qui lui est dédié, figurent également dans ce set dense et intense, propre au recueillement… ou à la danse. 

Jimmie Vaughan

Pour deux titres, le leader invite D.K. Harrell à partager la scène et lui laisse la vedette pour de beaux solos, partageant des parties de grilles sur le second titre dans une belle complicité intergénérationnelle : ils ont 47 ans d’écart ! Après l’Italie, l’Espagne, l’Angleterre (qui vit son ami Eric Clapton partager la scène avec lui) ou la Norvège cette semaine, Jimmie Vaughan, 74 ans, entretient sa légende avec ce type de concerts à la fois ahurissants de force contenue et de travail acharné, et tellement jouissifs pour l’âme… Une leçon de groove, de constance et de fidélité, au service d’un blues magique, unique et sans concession.

Après cette fabuleuse 10e édition, l’équipe du Megève Blues Festival est déjà sur le pont pour nous concocter la suivante qui pourrait encore étonner, séduire et ravir le public qui soutient fidèlement l’aventure. Merci à René et Charline Huget ainsi qu’à toute leur belle équipe pour permettre au public de découvrir ou redécouvrir de tels artistes. À l’année prochaine !

Texte : Marc Loison
Photos © Frédéric Ragot

Charline, René et Audrey Huget