Nice Jazz Fest 2024
05.09.2024
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Il y a, paraît-il, environ 6 600 kilomètres entre Chicago et Champigny-sur-Marne, mais il a suffi de quelques minutes à Matthew Skoller pour réduire la distance ce samedi après-midi sur la scène minuscule du Belvédère, le seul et unique juke-joint recensé dans le Val-de-Marne.
Pour l’occasion de cette mini-tournée française – tout juste deux dates – étonnamment discrète, l’habitué du club de Buddy Guy était accompagné d’un trio de pointures de la scène blues française : Jérémy Tepper à la guitare, Christophe Garreau à la basse et Marty Vickers à la batterie. Malgré le manque évident de répétitions, qui impose par moments à Matthew Skoller de se muer en chef d’orchestre, le résultat est totalement réussi. S’il ouvre chaque set par un instrumental, histoire de rappeler qu’il est un des meilleurs harmonicistes en activité aujourd’hui, pas la peine de s’attendre à des démonstrations de virtuosité de sa part : qu’il chante ou joue, tous les effets sont mis au service de l’expressivité, avec une maîtrise rare de la logique de tension-détente qui est inhérente au blues.
Loin de se contenter de ressasser les standards, comme le font trop de ses collègues lors de leurs prestations européennes, Skoller consacre l’essentiel de son répertoire à ses propres chansons originales, qui abordent des thèmes contemporains (Get paid) ou intemporels (Ghosts in your closet). Preuve de la capacité du blues à sortir de la dimension muséale et folklorique à laquelle certains semblent vouloir le confiner, Skoller raccroche son propre Handful of people à l’actualité par des références très naturelles aux évènements récents de Ferguson et à Charlie Hebdo. Côté reprises, pas de Mojo qui marchent plus ou moins ou de Hoochie coochie mou, mais des titres rarement joués, comme le Snatch it back and hold it de Junior Wells, ou peu connus comme le formidable You don’t even know de Jim Liban (enregistré par Skoller sur son album “Shoulder To The Wind”) et même un titre emprunté au répertoire de Youssef Remadna. Et quand il décide de rendre hommage à Muddy Waters, c’est via le peu courant Mopper’s blues emprunté par celui-ci à Big Bill Broonzy !
Le résultat est un concert en deux sets sans temps morts, Skoller présentant – en français ! – les morceaux et encourageant la salle – qui ne demande pas mieux – à participer. Et lorsque Benoit Blue Boy, présent dès le début du concert, finit par rejoindre la scène pour quelques titres en duo, dont un réjouissant Blues au bout d'mon lit, c’est le bonus idéal pour finir en beauté un après-midi totalement réussi. On ne peut que féliciter Matthew Skoller de nous avoir rappelé que le blues pouvait encore, sans artifice ni maquillage, être une musique pleinement vivante et remercier les patrons du Belvédère de nous avoir offert un tel cadeau. Les amateurs de blues de région parisienne feraient bien de prêter attention à la programmation de ce formidable lieu hors des sentiers battus…
Texte et photo : Frédéric Adrian