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Hommages / 09.02.2021

Mary Wilson (1944-2021)

Des HLM de Détroit – les fameux Brewster-Douglass Housing Projects – aux scènes de Las Vegas, Mary Wilson a vécu un parcours digne des plus grands films hollywoodiens. Figure iconique de l’histoire de la soul, membre pendant près de deux décennies des Supremes, l’un des groupes vocaux féminins les plus importants de la musique populaire tous genres confondus, elle est aussi une chanteuse dont rares sont ceux, même parmi les amateurs les plus experts, qui sont capables d’identifier sa voix, tant elle a mené la plus grande partie de sa carrière au second plan.

Née à Greenville dans le Mississippi, Mary Wilson suit sa famille au fil de déménagements successifs, de Saint-Louis à Chicago, avant de se fixer à Détroit. Elle a déjà commencé à chanter, au sein d’un groupe auquel participe Carolyn Franklin, quand elle fait la connaissance à l’école d’une voisine, Florence Ballard. Remarquée par Milton Hopkins, le manager d’un groupe local baptisé The Primes qui comprend notamment les futurs Temptations Paul Williams et Eddie Kendricks, Ballard décide de monter un “groupe sœur”, les Primettes, pour lequel elle recrute Wilson, qui suggère d’intégrer une de ses camarades de classe, Diane Ross. La petite amie de Williams, Betty McGlown, rejoint le line-up, et le quartet commence à se produire localement, Ballard, Ross et Wilson se partageant le chant principal.

Une audition devant Berry Gordy n’aboutit pas, mais le groupe publie un single sur Lu Pine Records, et Wilson est la chanteuse principale de la face B, Pretty baby. Le succès reste limité, et McGlown quitte le groupe, remplacée par Barbara Martin. Déterminées à se faire embaucher chez Motown, les quatre jeunes filles – qui n’ont même pas encore 18 ans – passent la plupart de leur temps dans les studios du label, jusqu’à ce que Gordy finisse par les signer en 1961. Rebaptisé, à sa demande, les Supremes, le groupe, vite réduit à un trio par le départ de Martin, enchaîne les singles sans succès et se rend utile en assurant les chœurs pour les autres artistes du label.

Publié en octobre 1963, When the lovelight starts shining through his eyes est – après plus de deux ans de contrat – le premier tube des Supremes. Ce premier succès, dû à la patte particulière de Lamont Dozier et des frères Holland à l’écriture et à la production, marque le début d’une période d’incroyable succès qui dépasse le cadre du public soul et fait du trio des vedettes internationales majeures, avec des tubes irrésistibles tels que Baby love, Stop! In the name of love, You can’t hurry love, You keep me hangin’ on… Il marque aussi la fin d’une époque pour Ballard et Wilson : même si elles continuent occasionnellement à être mises en avant sur disque et sur scène, c’est désormais Diane Ross – qui se rebaptise Diana en 1965 – qui est la voix soliste du groupe, à l’initiative de Berry Gordy. Ce passage au second plan est renforcé à partir de 1967, quand le trio est rebaptisé Diana Ross & the Supremes. À ce moment-là, Ballard et Wilson sont de plus en plus régulièrement remplacées en studio par les Andantes, choristes habituelles du label. Mécontente de la situation, Ballard décide de s’en aller et est remplacée aux côtés de Wilson par Cindy Birdsong, une ancienne Bluebelle de Patti LaBelle. 

The Supremes : Diana Ross, Mary Wilson, Florence Ballard. © DR
The Supremes à l’aéroport d’Orly en 1965 : Florence Ballard, Diana Ross, Mary Wilson. © DR / Collection Gilles Pétard
The Supremes : Mary Wilson, Diana Ross, Cindy Birdsong, 1968. © DR

Quand Ross part en 1970 pour sa carrière solo – après un dernier single crédité à Diana Ross & the Supremes, Someday we’ll be together, sur lequel ni Wilson ni Birdsong n’apparaissent –, Wilson, seule membre fondatrice encore présente devient leader de fait, même si la remplaçante de Ross, Jean Terrell, assure la plupart des parties solistes. Après avoir décroché quelques tubes non négligeables – Up the ladder to the roof, Stoned love –, la popularité du groupe, qui publie rien moins que onze albums studio entre 1970 et 1976, s’effrite inexorablement, au fil des changements réguliers de line-up. Lorsque Mary Wilson décide de quitter les Supremes en 1977, le trio (avec Scherrie Payne et Susaye Greene) n’a plus grand-chose à voir avec celui des années précédentes, y compris musicalement, même si Wilson est désormais régulièrement la soliste. Son départ marque la fin officielle de l’aventure des Supremes, commencée dix-huit ans plus tôt. Publié en 1979 par Motown, un album solo éponyme passe inaperçu, et le label décide de se séparer d’elle quelques mois plus tard, alors qu’elle a commencé l’enregistrement du disque suivant. Il lui faudra attendre 1992 pour publier un nouveau disque… 

Très discrète au début des années 1980 – en dehors d’une embarrassante tentative de réunion avec Ross et Birdsong à l’occasion de l’anniversaire télévisé de Motown en 1983 –, Wilson refait parler d’elle en 1986 lorsqu’elle publie une autobiographie, Dreamgirl: My Life as a Supreme, dans les pages de laquelle elle n’épargne pas Diana Ross. Le livre est un succès, qui fait l’objet d’une suite, Supreme Faith: Someday We’ll Be Together, et relance la carrière de Wilson qui commence à se produire régulièrement, en particulier à Las Vegas, avec un show mêlant standards et reprises de chansons auxquelles elle est associée – y compris celles où elle ne chantait pas à l’origine… Après avoir été approchée par Atlantic, sans qu’un accord puisse être trouvé, et avoir enregistré quelques titres pour le label Motorcity Records de Ian Levine, elle publie en 1992 un nouvel album personnel, “Walk The Line”, mais la faillite du label en interrompt la diffusion. En 2000, un projet de tournée réunissant les Supremes historiques, soit Ross, Wilson et Birdsong, est un échec, Wilson et Ross s’avérant incapables de trouver un accord financier et artistique. Finalement organisée sans Wilson ni Birdsong, mais avec Scherrie Payne et Lynda Lawrence, la tournée est un four intégral, interrompu après une douzaine de dates… 

Mary Wilson continue à se produire sur scène, avec son propre show ou au sein de comédies musicales. Elle autoproduit un nouvel album, “I Am Changing”, et publie plusieurs singles (dont l’un, Time to move on, lui permet de retrouver le classement dance de Billboard, trente-six ans après sa dernière apparition dans un tel hit-parade) ainsi que des DVD documentant ses spectacles. Elle utilise également sa notoriété pour participer à différents projets caritatifs et pour soutenir le projet de loi “Truth in Music”, qui vise à lutter contre la plaie des groupes bidon. En 2008, elle est à l’initiative d’une exposition dédiée aux costumes de scène des Supremes qui circule aux États-Unis et en Europe, dont elle tire un ouvrage en 2019, Supreme Glamour. Toujours active sur scène, elle avait annoncé il y a quelques semaines sa volonté de fêter en 2021 les soixante ans des débuts discographiques des Supremes, mais aussi la publication prochaine d’enregistrements, parmi lesquels les quelques faces gravées en 1980 pour ce qui devait être son deuxième disque solo Motown. 

Texte : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture : DR / Collection Gilles Pétard

Mary Wilson. © DR
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