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Live reports / 27.03.2023

Marcus King, Élysée Montmartre, Paris

19 mars 2023.

Les grèves, les intempéries et les trottoirs ensevelis sous des tonnes de déchets n’auront pas découragé les fans de venir applaudir en masse Marcus King à l’occasion de l’unique date en France de sa tournée européenne. C’est donc un Élysée Montmartre plein comme un œuf qui accueillit le chanteur-guitariste américain. De mémoire de Soul-Baguiste, on n’avait jamais connu cette salle à ce point remplie, nourrie par une interminable file d’attente qui s’étendait le long du Boulevard Rochechouart, remontait la rue de Steinkerque puis prenait source jusqu’au milieu de la rue d’Orsel !

Après une première partie folk assurée par la diaphane Leah Blevins (jolie voix mais mélodies, tempos et accompagnement acoustique trop monotones), les choses sérieuses commencent quand la tête d’affiche débarque sur scène. Bien qu’il soit venu promouvoir son 5e LP, “Young Blood”, enregistré en power trio (excellent mais plus rêche que les précédents), King est accompagné d’un orchestre au grand complet : section de cuivres (trombone, trompette, sax ténor ou baryton ; plus percussions lorsqu’ils ne soufflent pas), clavier (Mike Runyon : orgue Hammond, Rhodes), basse-batterie (la fantastique paire Stephen Campbell – imperturbable, les cheveux dans le vent – et Jack Ryan – tellurique derrière ses futs, alternant déferlantes de toms à la John Bonham et délicats frisottis de cymbales), plus un guitariste additionnel, l’étourdissant Drew Smithers, qui avait fait parler de lui au sein du combo sudiste Bishop Gunn.

Leah Blevins

C’est la première fois que King incorpore un second guitariste dans son groupe, une décision qui n’allait pas forcément de soi tant son propre jeu occupe une grande partie de l’espace disponible. L’association fonctionne pourtant à merveille, l’astuce consistant à positionner Smithers à la slide, complémentant sans les doublonner les accords (power, enrichis, brisés…) et les luxuriantes arabesques du patron. En résulte des échanges de très haute volée, chacun poussant l’autre dans ses retranchements, réveillant les fantômes de Derek & The Dominos ou des Allman Brothers…

Dès le premier morceau, l’excitation est à son comble et l’on comprend que l’on va assister à un très, très grand concert. Pris sur un tempo accéléré, enluminé d’arrangements de cuivres qui lui confèrent une profondeur insoupçonnée, chauffé à blanc par les rugissements d’une Les Paul Black Beauty passée au filtre d’un stack Orange poussé à fond, It’s too late met tout le monde d’accord. Quelle puissance, quelle énergie, quelle générosité ! Une virtuosité hallucinante branchée sur des émotions à vif exprimées sans filtre… 

Marcus King
Marcus King
Jack Ryan
Mike Runyon

La suite passera comme dans un rêve : splendide hommage à Marvin Gaye (Trouble man – un choix qui ne doit rien au hasard…), les riffs zeppeliniens de The whale appuyés des battements de mains du public, les chorus ébouriffants d’intensité de Dark cloud entonnés sur la fidèle 345 Gibson Big Red, les nombreuses chansons tire-larmes dans lesquelles les vocaux déchirants du patron transpercent le cœur des auditeurs (One day she’s here – serti elle aussi d’un solo de à tomber par terre, cette fois sur Telecaster ; l’extraordinaire Wildflower & wine ; Rita is gone, pas prévue dans la setlist officielle – King s’arroge le droit d’improviser son set à tout moment, en fonction de ses envies et des réactions de la salle). Mais de quels tréfonds émotionnels tire-t-il pareille voix ? 

Le blues n’est pas oublié (magnifique Guess who, avec des volutes de guitare King-Smithers dont on se dit qu’avec un tel niveau d’altitude, elles ont forcément dû monter jusqu’aux oreilles du roi B.B.), le rock ’n’ roll swampy (Rescue me, aux accents fogertiens), les jams sudistes (Good & gone), le jazz (un peu partout, cette liberté folle, ces improvisations sauvages), les fanfares (le New Orleans Danny boy, interprété par les trois cuivres seuls), l’acid jazz (Tuesday night squad, emprunté à Soulive, avec des parties de cuivres en fusion)… 

Un concentré d’americana électrique qui mélange les genres et les époques, dirigé par un Marcus King qui a l’intelligence de laisser beaucoup de place à ses musiciens (pas d’égocentrisme chez lui), n’hésitant pas à se transformer en spectateur, les mains croisées sur sa guitare, lorsque l’un d’entre eux prend son envol…

Après un vibrant hommage à Delaney & Bonnie (Comin’ home), le rappel sera l’occasion de célébrer deux styles additionnels : le gospel (I’ll fly away, avec Leah Blevin au chant lead, appuyée par les chœurs bouleversants des musiciens, dont bien sûr la voix faramineuse de Marcus King, tout sourire) et la country éternelle (Goodbye Carolina), celle qui trouble et transporte, heurte et apaise, déversant du plomb fondu sur les plaies à jamais ouvertes du passé. 

Magnifier sa douleur pour mieux la supporter : peut-on trouver meilleure définition du blues ? Marcus King, porte-voix des cœurs brisés, y parvient mieux que quiconque. 

Texte : Ulrick Parfum
Photos © J-M Rock’n’Blues
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