Ludovic Louis, La Maroquinerie, Paris, 2024
15.10.2024
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17 septembre 2022.
Comme un parfum de revanche. La dernière fois que Mamas Gun s’était produit en France, c’était il y a un an devant une salle presque vide de Bobigny. Cruel souvenir pour le chanteur-leader Andy Platts : « Sixteen. Seize… Ce nombre et sa prononciation en français me resteront toujours en mémoire… » On comprend mieux dès lors son soulagement lorsqu’à 20h30 précises, lui et ses comparses s’emparèrent de la scène du club de la Rue des Petites Écuries et virent qu’ils avaient fait salle comble.
Brûlant, leur double set (deux fois 45 min entrecoupées d’un break de 20 min) le fut à plus d’un titre. Par la grâce d’un répertoire qui, déjà très convaincant sur disque, prend une ampleur encore supérieure en live. Par l’énergie d’un combo ultrasoudé dont les liens d’amitié sont évidents et dont la maîtrise technique, jamais démonstrative (peu de chorus ou d’improvisations collectives) laisse béant d’admiration. Par la chaleur d’un public venu nombreux enfin, bien au fait des chansons et des codes du groupe britannique. Lequel puisa ce soir-là l’essentiel de ses chansons dans son dernier disque, le fantastique “Cure The Jones”, ainsi que dans le précédent, le non moins merveilleux “Golden Days”.
La capacité des cinq musiciens à recréer (voire réinterpréter) les orchestrations complexes de leurs productions studio repose avant tout sur leur remarquable complémentarité. Sur un tapis de batterie tout en nuances concocté par Chris Boot, le bassiste Cam Dawson apparaît comme le véritable moteur du groupe. Le groove de ses lignes rythmiques conjugué à la fluidité de ses échappées mélodiques (élaborées sur une simple Aria Pro II Precise Bass ; tout dans les doigts…) drivent toute la dynamique de l’orchestre.
Sous sa gâpette à la Gavroche, un impressionnant pedal-board aux pieds (wah-wah, distorsion, tremolo, reverb…), Terry Lewis tricote des dentelles rythmiques d’une classe folle. Tout y passe : triades, octaves, accords enrichis, contrechants enrobés de fuzz… Du grand art. Et comment ne pas aimer un guitariste qui joue sur une Epiphone Riviera ? Sous ses éternelles chemises hawaïennes et son improbable coupe mulet bouclée, le claviériste Dave Oliver huile l’ensemble à grand renfort d’orgue Hammond. Un sourire béat constamment vissé aux lèvres, encourageant ses collègues à la moindre occasion, cet homme est un soleil. Son chorus d’orgue sur On the wire a fait rugir l’audience (1er set), ses cavalcades modales complètement folles sur Strangers on a street (2e set) démontrent que l’on peut déchaîner l’enthousiasme d’un public sans céder à la facilité (les compositions de Mamas Gun, à la fois soul et pop, s’appuient sur des harmonies jazz très élaborées).
Survolant l’ensemble avec grâce, le chanteur-compositeur Andy Platts transperce les cœurs avec son falsetto ravageur, allant taquiner jusqu’au fantôme de Curtis Mayfield. Émotion, souplesse, pureté, puissance, engagement total : il se met les spectateurs dans la poche dès le premier titre (Friends to lovers) pour ne plus la lâcher jusqu’à la fin, s’improvisant prof de chant sur Let’s find a way (bon courage pour le suivre…), faisant preuve de franchise et d’humour (avant de lancer Cure the jones : « C’est la deuxième fois que nous interprétons celle-là sur scène, alors je vous dis merci et pardon ») ou expliquant avec émotion qu’il composa Looking for Moses « le soir de la mort d’un géant, Bill Withers ». Secondée par des chœurs d’une précision et d’une intensité diaboliques (ils chantent tous, à l’exception du batteur), sa voix cristalline charrie énormément d’émotions.
Rencontré à la fin d’un show tellement bon qu’il aurait mérité un troisième set, juché derrière un étal merchandising pris d’assaut, Platts résuma la soirée d’un mot : « Électrique. » On n’aurait su mieux dire…
Texte : Ulrick Parfum
Photos © Fouadoulicious