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Brèves / 23.02.2013

Magic Slim, the sky stopped crying

7 juillet 2007, festival Jazz à Vienne. Sur la scène du théâtre antique sous un ciel plombé, Magic Slim s'avance vers le micro et entame un morceau avec ses mots : "The sky is crying…" Et la pluie commence à tomber… Le bluesman assène ensuite son blues lent comme il est le seul à savoir le faire, puissant, magnétique, et la chanson s'achève… tout comme l'averse ! Cette anecdote parfaitement authentique, je lui ai rappelée en novembre 2012 à Paris en lui demandant si c'était pour ça qu'il était magique : "Oui, je me souviens de ça, mais je n'y pas vraiment fait attention, j'étais dans mon concert…". Une réponse brève, à l'image du personnage, de son jeu de guitare justement si expressif car quelques notes suffisent pour faire mouche. Mais il faut désormais se résoudre à parler de Magic Slim au passé. De récents problèmes récurrents de santé (respiratoires, cardiaques, rénaux, le bulletin est effrayant) ont eu raison le 21 février 2013 du géant qui avait 75 ans.

© Jean-Pierre Arniac

 

Le 7 août 1937, il voit le jour sous le nom de Morris Holt à Torrance, une bourgade du Mississippi aujourd'hui sous les eaux d'un lac artificiel. Avec ses trois frères et sa sœur, il passe son enfance à Grenada où la cueillette du coton est l'essentiel de son quotidien. Ses parents sont métayers et rien ne le prédestine à la musique. Il chante toutefois à l'église où sa mère l'emmène et où il apprend également le piano. Par la radio, il écoute de la musique mais pas du blues, "j'ignorais ce que c'était quand j'étais gosse", plutôt du bluegrass, du country & western, du hillbilly, des styles auxquels ils s'intéressera d'ailleurs toujours. En 1950, un accident dans une machine à égrener le coton lui coûte le petit doigt de la main droite, l'oblige à abandonner le piano et change le cours de sa vie. Il se bricole un diddley bow en dérobant le câble du balai maternel et surtout, il entend pour la première le Boogie chillen de John Lee Hooker, qui agit comme une révélation : "C'est en entendant ça que j'ai décidé que j'allais me mettre au blues."


En 2007 à Cognac avec Billy Branch © Brigitte Charvolin
 

Une autre influence décisive est également exercée par Sam Maghett, qui n'est pas encore Magic Sam, un ami d'enfance avec lequel il va à l'école et auprès duquel il se perfectionne à la guitare. Maghett le précède à Chicago, puis Holt franchit le pas en 1955 et gagne à son tour la Windy City, où vit sa sœur qui lui procure du travail. Il retrouve également Magic Sam qui l'engage un temps dans son groupe comme bassiste. Mais la concurrence est alors très rude et Holt, faute d'engagement et peut-être pas encore prêt, "je n'étais pas assez bon", rentre à Grenada. Suit alors une décennie durant laquelle Morris Holt apprend à jouer à ses frères Nick (basse) et Douglas "Lee Baby" (batterie). Ils forment un groupe et commencent à tourner très régulièrement ensemble dans les clubs locaux. Nul doute qu'il se forge alors son style caractéristique, voix profonde et guitare grondante. Et quand il juge son art suffisamment abouti, il repart pour Chicago. Nous sommes en 1965.

 

En 1981 à Paris avec Alabama Jr. Pettis © Jean-Pierre Arniac

 

Holt se produit alors avec Mr. Pitiful ( le bassiste Robert Perkins) & the Teardrops, un nom que Perkins l'autorisera à garder quand il les quittera peu après. L'année suivante le voit graver ses premières faces pour Ja-Wes (Love my baby et Scuffling), sur lesquelles il tient la guitare, et quelques autres plus anecdotiques avec d'autres formations. Magic Sam, dont la mort en 1969 l'affectera beaucoup, "on devait dîner ensemble à son retour de tournée en Californie, on ne l'a jamais revu, ce fut un choc", l'encourage alors à prendre le pseudonyme de Magic Slim. En 1967, il intègre son frère Nick aux Teardrops (il y restera durant quarante ans !) et la formation imprime sa marque sur le blues de Chicago, devenant une des plus demandées, notamment au Florence's, dont un certain Hound Dog Taylor a également fait les belles heures. Il lui faut toutefois attendre encore dix ans avant de réaliser en 1977 son premier album, "Born On A Bad Sign", et ce grâce à la Française Marcelle Morgantini qui l'enregistre en public au club Ma Bea's.
 

En 2000 à Bayonne © Brigitte Charvolin

 

Il est inutile de s'étendre sur la suite de la carrière de Magic Slim. Durant quarante ans et presque autant de disques, il va imposer un blues parmi les plus énergiques et les plus efficaces qui soient, électrique et moderne mais puisant toujours son essence dans la tradition sudiste, au sein d'un groupe d'exception qui comprendra des musiciens superbes comme les guitaristes Alabama Jr. Pettis et John Primer. Incarnant mieux que quiconque le blues terrien du country boy qu'il est toujours resté, il accédera à une immense popularité, en particulier sur le Vieux Continent et en premier lieu en France, où il aura donc fait ses dernières apparitions européennes en novembre 2012. À la tête d'un répertoire incomparable (six cent chansons, dit-on !), sans jamais rien changer à son approche, jouant son blues à sa manière, issu d'aucune école et sans concession. Installé à Lincoln au Nebraska durant ses vingt dernières années, il tournait encore inlassablement avant d'être hospitalisé en janvier, avec l'issue que l'on connaît. En introduction de l'article que nous lui consacrons dans notre numéro 210 à paraître le 15 mars, j'écris que rien ne pourrait l'arrêter. Je me suis trompé. Et le ciel ne pleure plus.
Daniel Léon