Dylan Triplett & The Simi Brothers, Blues sur Seine 2023
05.12.2023
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C’est le début du printemps mais la soirée est encore bien fraîche : pas de problème, Lucky Peterson et ses musiciens sont là pour faire monter la température. Il vient tranquillement s’installer devant son Hammond B3, cabine Lesly dans le dos, le temps d’enlever ses chaussures et de déclencher le groove en solo avant de participer à une synergie solide avec ses musiciens pour un shuffle musclé. Après quoi le trompettiste Nicolas Folmer propose un chorus aux attaques percutantes et le guitariste Kelyn Crapp nous séduit quant à lui avec des riffs aux accents bluesy.
Nicolas Folmer
Kelyn Crapp
On enchaîne peu de temps après sur Night train (version Jimmy Smith) et Crapp fait ressortir tout son sens du swing. La trompette wah-wah apporte un peu plus de couleur à la performance, en revanche le solo de batterie (un peu longuet) d’Ahmad Compaoré sonne hélas comme en rupture avec la séquence musicale qui le précède. Si on apprécie les démonstrations de talent de chacun, la force du quartet se déploie tout entière quand les musiciens jouent à l’unisson. À plusieurs reprises, Lucky Peterson, peu vigoureux dans ses harangues, sollicite le public mais les réactions sont pour l’instant éparses et timides. Il faut dire que la barrière de la langue n’aide pas. Après encore quelques plans de trompettes avec effet wah-wah, on frôle l’indigestion et on apprécie que Folmer revienne à un son sans fioriture. De son côté, le guitariste se fait tantôt détendu ou plus volontaire mais toujours précis.
Ahmad Compaoré
Surgit ensuite une reprise furtive de Sunny, mais aussi de la célèbre chanson pour enfants Old MacDonald had a farm dans laquelle Peterson semble dérailler sous le regard à la fois gêné et rieur de son guitariste. On apprécie d’enchaîner sur un titre vocal plutôt churchy “à la Ray Charles” avec le chant sous reverb tantôt discret ou percutant ; Peterson est suivit de près par son guitariste qui place quelques accords soulful bienvenus. La partie trompette lancinante et douce-amère qui s’ensuit trouve parfaitement sa place mais nous avons aussi droit à un solo de guitare qui digresse trop longuement.
Sens du contraste : il faut maintenant augmenter le tempo, la formation se lance dans une reprise de Got my mojo working où le jeu martelé de Lucky ressort avec efficacité, là encore le musicien tente d’engager un call and response avec le public mais le résultat est timide. S’ensuit ce qui restera sûrement un des plus beaux moments de la soirée, une version de I pity the fool épaisse et engageante, avec une savoureuse alchimie entre le guitariste, le batteur et le trompettiste.
Les trois musiciens s’éclipsent et Peterson change de siège pour se placer au centre de la scène, il empoigne sa guitare slide électrique et part dans une sorte de medley blues quelque peu erratique mais habité à l’atmosphère hookerienne où s’enchaîne aussi bien Dust my broom que Death don’t have no mercy in this land. Lucky annonce une invitée surprise et son épouse Tamara arrive sur scène. « Can we do a little Prince? », le public n’est pas très réactif, pas grave, le tandem entame une version de Kiss légèrement bancale, mais ne faisons pas trop la fine bouche, la chanteuse assure et cette reprise (pas si) étonnante fonctionne bien ! Mieux encore, Peterson retourne à son orgue et, toujours accompagné de sa compagne au chant, célèbre maintenant le répertoire de Nina Simone avec I wish I know how it feel to be free, Lucky invite le public à un soulclap et fait comprendre qu’il n’ira pas au bout de ce morceau s’il ne fédère que trois personnes… Il faut parfois être exigent avec son public pour l’emmener au-delà de sa zone de confort !
Le couple est rapidement rejoint par le reste de la formation et personne n’est de trop pour reprendre ce classique chargé d’émotion. La soirée se referme sur le cuivré et funky One of a kind sur lequel Tamara démontre tout son attrait derrière le micro. Il est déjà l’heure de s’engouffrer dans le dernier métro, mais on aimerait rester suspendu à la voix de la chanteuse !
Hugues Marly
Photos © Sébastien Souris-Thibert