Jazz Celebration 2024, Théâtre du Châtelet, Paris
09.10.2024
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9 au 17 novembre 2019.
Qui veut un panorama assez complet du blues américain d’aujourd’hui va à Lucerne. C’est en Suisse alémanique, au bord d’un lac et, au temps des premières neiges sur les hauteurs environnantes, le bruit des machines à sous du Grand Casino laisse place aux notes bleues. Cela fait vingt-cinq ans que ça dure, c’est grand confort et fréquenté : aux heures de pointe, pas facile de se frayer un chemin vers le devant de la scène ; en revanche, passé minuit, la salle est à nous. Moments choisis.
jeudi 14 novembre
Avec Gumbo, Grits & Gravy le jeudi dès 19 heures, cela ne pouvait pas mieux commencer. Au milieu, un griot, Guy Davis ; à sa droite, une fée virevoltante, Anne Harris ; à sa gauche, la joie de jouer incarnée, Marcella Simien. C’est un nouveau projet, dans la lignée des Carolina Chocolate Drops ; à la fois terrien, spirituel, mémoriel, grave et joyeux. La grosse voix et l’approche de Guy Davis rappellent celles de son camarade Eric Bibb et Marcella Simien est très touchante quand, aux claviers, elle chante l’une de ses compositions et apporte une touche plus contemporaine. À suivre, évidemment.
Billy Price s’exprime dans un registre bien différent. Le chanteur de Pittsburgh apporte la principale touche soul blues du festival. Son répertoire, qui ne court pas les rues, me plaît beaucoup : It ain’t a juke joint without the blues, en forme de plaidoyer ; Synthetic world de Swamp Dogg ; des compos mordantes comme Lose my number ou Toxicity. Regrets : l’absence de son comparse français Fred Chapellier et une voix qui se perd parfois dans des envolées peu utiles. Pas sûr que la prestation de l’ami Billy ait convaincu le plus grand nombre.
En revanche, difficile de résister à l’énergie et à la générosité du révérend John Wilkins. Je m’attendais à assister à un show brut de décoffrage, à entendre une succession de Hill Country blues. Certes, le révérend reprend Prodigal son, l’une des fameuses chansons de son père, enregistrée par les Rolling Stones en 1968 (“Beggars Banquet”). Mais sa guitare, de marque japonaise, est plus claire qu’épaisse. Et, surtout, il s’appuie merveilleusement sur ses trois filles choristes. Ce sont les joies du call and response, comme sur ce Night time is the right “gospélisé” en God is able. Et, divine surprise : sur les deux CD que John Wilkins dédicace à la fin de son show, il y en a un tout nouveau, “Trouble”, enregistré aux Royal Studios de Memphis. Excellent.
À partir d’une heure du matin, place à la Chicago Blues Reunion : Nick Gravenites, Barry Goldberg, Harvey Mandel/Dave Melton et autre Gary Mallaber (ancien batteur de Van Morrison en Californie), c’est toute une histoire, racontée dans l’ouvrage d’Éric Doidy, Buried Alive In The Blues. L’histoire du blues rock américain (Le Mot Et Le Reste, 2018). Cette nuit, Nick Gravenites ne joue pas de guitare, il chante assis d’une voix qui me prend aux tripes, notamment sur Goodnight Irene de Leadbelly. Permanence du blues, par-delà les décennies, et plaisir de voir ces hommes qui n’ont plus vingt ans poursuivre la route.
vendredi 15 novembre
Vendredi soir, nouvelle Chicago Blues Reunion, puis réjouissant European Blues Summit. Où l’on retrouve le camarade français Nico Duportal, à la guitare, au milieu d’un aréopage de musiciens venus des quatre coins du Vieux Continent. Belle énergie qui devrait à nouveau faire des étincelles en clôture de la nuit suivante.
On est épaté par la constante progression de Shemekia Copeland. Cela fait plus de vingt ans que la jeune femme chante avec le même guitariste, Arthur Neilson, encore plus qu’elle est accompagnée par le même manager (et aussi songwriter), John Hahn. Si son style ne change guère, sa voix me semble ne cesser de gagner en ampleur. C’est très touchant. En revanche, la reprise a cappella et sans micro de Ghetto child composé par son père peut commencer à lasser les habitués.
Chacun sait l’importance de l’aide apportée par la Music Maker Foundation aux artistes du sud des États-Unis. Ancien accompagnateur de Percy Sledge et ancien membre des JBs, Robert Lee Coleman ne joue plus de la guitare derrière la tête et, ce soir, il apparaît bien fébrile sur scène. Pourtant, au milieu d’un public clairsemé, comment ne pas être fasciné par ces espaces temps laissés entre les notes, hésitantes mais choisies, importantes ? Le répertoire est éclectique, je me délecte d’un beau Real mother for ya (Johnny Guitar Watson) et, au terme du concert, je demande une signature à l’artiste. Je l’aide à porter ses affaires. Nous sommes nos obligés.
samedi 16 novembre
Billy Branch n’aime rien tant que jouer pour les autres et, à 68 ans, l’harmoniciste de Chicago n’a plus rien à prouver. Que dire de celui qui l’invite ce soir, le bassiste Benny Turner, 80 ans, frère du plus célèbre Freddie King ? Les voilà pourtant qui bougent et jouent avec fougue et décontraction. La scène est ouverte, je ne suis pas un spécialiste mais Brigitte Charvolin, notre photographe, elle qui sait, m’assure que c’était un show de très haut niveau. Le meilleur moment de la soirée ? Je ne sais pas. Personnellement, je n’irai pas cette fois jusqu’au bout de la nuit : demain midi, il y a brunch, dans la grande salle de restaurant de l’hôtel Schweizerhof. Avec Shemekia, brillante cette fois encore.
Texte : Julien Crué
Photos © Brigitte Charvolin