;
Live reports / 23.03.2022

L’Ouverture de Toussaint, New Morning, Paris

23 février 2022.

Écrit par le rappeur américain installé à Besançon Napoleon Maddox – un habitué des collaborations, entendu notamment avec Archie Shepp et le Burnt Sugar Arkestra – et créé cet été au château de Joux, là où Toussaint L’Ouverture a vécu ses derniers jours, cet hommage à celui-ci a connu sa première parisienne dans un New Morning bien rempli et prêt à s’enflammer pour l’épopée tragique et inspirante du héros de la révolution haïtienne.

Coproduit par deux salles de musiques actuelles de la région bisontine – le discours grossièrement agressif à l’égard du public du directeur d’une de ces deux salles en ouverture est d’ailleurs la seule fausse note de la soirée –, le spectacle associe aux mots de Maddox la guitare et les machines de son partenaire régulier Sorg, la voix, les saxophones et la flûte de Jowee Omicil – décidément dans tous les bons coups en ce moment – et les claviers de Carl-Henri Morisset, qui remplaçait pour l’occasion le vétéran Cheick Tidiane Seck.

En ouverture, Maddox précise ses intentions : il ne s’agit pas d’un spectacle sur l’esclavage, mais sur la liberté. Il passe ensuite la parole à Jowee Omicil, qui, après une introduction à la flûte accompagnée de la guitare blues de Sorg, lit quelques paragraphes de l’ouvrage Les Jacobins Noirs de l’auteur originaire de Trinidad C.L.R. James, qu’il reprendra à nouveau un peu plus tard dans le spectacle. Ce rappel historique et militant est une bonne idée afin d’accompagner le public dans le récit, et aurait presque mérité des développements supplémentaires, tant cette page complexe de l’histoire de France et d’Haïti reste mal connue. 

Napoleon Maddox
Sorg
Carl-Henri Morisset, Jowee Omicil

Le répertoire original créé par Maddox pour l’occasion évoque en effet directement le parcours de Toussaint, jusqu’à sa mort en déportation sur le territoire français (le frissonnant Bones, sur le destin posthume du corps de Toussaint), mais élargit aussi le sujet autour d’Haïti – Omicil peine par moment à cacher son émotion en évoquant son pays d’origine – et de l’esclavage (le très beau Sugar cane, porté par l’orgue inspiré de Morisset). Musicalement, Maddox refuse de choisir entre jazz, influences caribéennes, blues et hip-hop, et c’est la cohérence du discours qui fait lien – au point que Maddox rejette une demande du public pour son “tube” Security, hors sujet ici.

Évidente vedette du projet – il chante, parle, lit, joue des saxophones, de la flûte et de la clarinette basse et échange avec le public –, Jowee Omicil, dont chacune des prestations récentes confirme sa stature, ne laisse cependant pas dans l’ombre les deux autres musiciens, Sorg – qui délaisse volontiers les machines auxquelles il doit sa réputation pour des parties de guitare raciniennes sans cliché – et Carl-Henri Morisset, qui apporte sa touche personnelle aux différents claviers.

Tous très impliqués dans le projet, les quatre participants ont bien du mal à quitter la scène, d’autant que le public manifeste bruyamment son enthousiasme, et Jowee Omicil a bien raison de citer, comme il l’avait fait deux semaines plus tôt avec le Big In Jazz Collective, Toussaint l’Ouverture lui-même : « Nos racines sont nombreuses et profondes. » J’ai cru comprendre qu’une version discographique du spectacle était prévue, et il devrait tourner dans les prochains mois.

Texte : Frédéric Adrian
Photos © Yannis Perrin