Jean Knight (1943-2023)
27.11.2023
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Né à Kenner en Louisiane, Lloyd Price découvre la musique sur le juke-box du Fish ‘n’ Fry, le restaurant appartenant à sa mère. Il chante à l’église, apprend le piano et la trompette et monte un groupe avec son frère Leo, qui fera ensuite une carrière personnelle en tant que chef d’orchestre et auteur-compositeur (Can’t believe you wanna leave et Send me some lovin’, créés par Little Richard, notamment). Toujours attentif à la scène locale, Dave Bartholomew les repère et propose à Art Rupe, le patron des disques Specialty en repérage à La Nouvelle-Orléans, de l’enregistrer.
C’est l’orchestre de Bartholomew, avec Fats Domino au piano, qui accompagne Price pour cette première séance qui se tient aux studios J&M de Cosimo Matassa. Publié en 45-tours, Lawdy miss clawdy, une composition de Price inspirée par un gimmick du DJ local James “Okey Dokey” Smith, est un succès immédiat, qui s’envole jusqu’au sommet du classement R&B de Billboard, où il reste six semaines, et lance la carrière du jeune chanteur, qui enchaîne avec quelques autres singles à succès sur le même modèle. Ce beau début de parcours s’interrompt brutalement en 1954, quand Price est mobilisé et que l’armée l’envoie se battre en Corée. Si Specialty continue à publier des 45-tours pendant cette période, son absence en interdit la promotion, et la concurrence, incarnée notamment par Little Richard – à qui Price avait conseillé d’envoyer sa démo à Specialty – et Larry Williams, l’ancien chauffeur de Price, en profite pour s’installer. Pendant cette même période, Elvis Presley enregistre sa version de Lawdy miss clawdy.
Dépourvu de contrat discographique à son retour de Corée, Price ne manque pas d’esprit d’initiative et décide de monter son propre label – sans doute une première dans le milieu du R&B, quatre ans avant le lancement de SAR par Sam Cooke – avec William Boskent et Harold Logan. Baptisé KRC (pour Kent Records Corporation), le label publie plusieurs 45-tours de Price, ainsi que quelques disques d’autres artistes. Quand Just because commence à recueillir un certain succès, ABC le reprend en distribution et permet à Price de retrouver les hit-parades, avec la troisième place côté R&B mais surtout la 29e du classement général. Désormais en contrat avec ABC, Price enchaîne à partir de 1957 les tubes : sa reprise du standard folk Stagger Lee lui vaut d’atteindre la première place aussi bien dans les charts R&B que dans le Hot 100, mais aussi de se classer dans le Top 10 britannique ! Invité à interpréter la chanson dans l’émission American Bandstand, il est obligé d’en réenregistrer une version censurée, l’original étant considéré comme trop violent.
Personnality et I’m gonna get married, en 1959, viennent confirmer la popularité de Price, qui publie son premier album, “The Exciting Lloyd Price”, suivi la même année de “Mr. Personality”. Le succès de Price dépasse désormais les États-Unis, et ses chansons commencent à être reprises dans le monde entier. En France, plusieurs artistes s’emparent de Personality, en version instrumentale (Eddie Barclay, le Paris Jazz Trio de Guy Lafitte, Franck Pourcel…) et dans une adaptation intitulée Personnalités (Elle a le…, Elle a la…, Elle a les…) qu’enregistrent entre autres – et rien qu’en 1959 ! – Sacha Distel, Annie Cordy et Richard Anthony ! Le succès s’atténue cependant à partir du début des années 1960, peut-être parce que ABC cherche à le vendre comme un artiste plus adulte, qui enregistre des albums de standards sans grande personnalité à partir de “The Fantastic Lloyd Price”.
Attaché à son indépendance, Price quitte ABC en 1962 et lance à nouveau son propre label, Double L, toujours avec Harold Logan. Il y publie ses propres disques, dont une version live du standard Misty qui lui permet de décrocher son dernier grand succès commercial (11e place R&B, 21e pop) en 1963, mais aussi ceux des autres : l’ancien chanteur des Spaniels Pookie Hudson, l’ancien Coaster Billy Guy, la chanteuse Gerri Granger – qui tourne alors avec l’orchestre de Price, qui publie aussi son album – et, surtout, Wilson Pickett. C’est en effet sur Double L que l’ancien membre des Falcons publie son premier album, “It’s Too Late”, sur lequel il est accompagné des Ohio Untouchables (futurs Ohio Players) du guitariste Robert Ward. Pendant cette période, Price publie également un album de standards pour Monument, “Lloyd Swings For Sammy”, dédié à Sammy Davis Jr.
L’aventure Double L se termine à la fin de la décennie quand son partenaire Harold Logan est assassiné. Price lance alors avec le businessman Danny Sims un nouveau label, Lloyd Price’s Turntable, ainsi qu’un restaurant- discothèque du même nom installé à Manhattan sur le site de l’ancien club de jazz Birdland. Il est évidemment le principal artiste du label, pour lequel il publie l’album “Now!” – qu’il va enregistre en Jamaïque – et plusieurs singles, dont Bad conditions qui lui permet de retrouver le classement R&B (21e place). Si la durée de vie du label est brève – moins de deux ans –, il a aussi l’opportunité de publier le deuxième album d’Howard Tate, “Howard Tate’s Reaction”. En 1972, l’album “To The Roots And Back” lui permet de revisiter ses vieux classiques, mais aussi de proposer un son plus contemporain : dans un registre funk, They get down parvient même à atteindre la 32e place du classement R&B.
Mais sa carrière musicale n’est plus, dans la décennie 1970, la priorité de Price. S’il continue à publier relativement régulièrement des albums et des singles pour différents labels (dont son nième label personnel, LPG) et visite une dernière fois le classement R&B en 1976 (à la 99e place avec What did you do with my love), il s’installe en Afrique et s’investit dans différents projets sans lien avec la musique. Il est ainsi, aux côtés du controversé Don King, de l’aventure du légendaire match Ali-Foreman qui se tient en 1974 au Zaïre (The Rumble in the Jungle) ainsi que du festival musical Zaïre 1974 qui devait l’accompagner et auquel participent, entre autres, James Brown, Bill Withers, B.B. King, les Spinners, Miriam Makeba, et Celia Cruz… Il apparaît d’ailleurs à plusieurs reprises dans le film documentaire Soul Power, qui en retrace le déroulement, le temps en particulier d’une engueulade magistrale avec James Brown au sujet de la nature du Black Power.
Price continue ensuite dans une certaine discrétion, jusqu’à ce qu’il se laisse convaincre, au début des années 1990, de commencer à se produire sur le circuit de la nostalgie. Pendant son absence, en effet, sa musique n’a rien perdu de sa popularité, grâce en particulier aux reprises de ses compositions par Joe Cocker, John Lennon, Paul McCartney et quelques autres. Avec sa voix intacte, son charisme naturel et son solide répertoire de classiques, il n’a aucun mal à s’imposer sur le circuit oldies, dont il devient rapidement une vedette. Il continue à se produire au moins jusqu’au début 2019, apparaissant même en France en 2015 au festival American Tours (à Tours) pour un concert mémorable hélas passé inaperçu d’une bonne partie des amateurs de blues et de R&B.
Si ce retour ne se traduit pas par une importante activité discographique (“I’m Feeling Good!: Standards In Swing!” paraît cependant en 2012 sur LPM Records, encore un de ses labels !), il publie en 2011 son autobiographie, The True King of the Fifties: The Lloyd Price Story, suivie en 2015 d’une collection d’essais sur l’expérience afro-américaine intitulée Sumdumhonky qui rappelle que, derrière l’entertainer, se tenait un militant qui, par sa farouche volonté d’indépendance par rapport à l’industrie musicale, a mis en œuvre à son échelle sa vision du Black Power. Témoin apprécié de son époque, il apparaît régulièrement dans des documentaires, mais joue aussi son propre rôle dans le dernier épisode de la première saison de la série Treme en 2010. Largement reconnu par ses pairs – il appartient depuis 1998 au Rock and Roll Hall of Fame –, il dispose même depuis 1995 d’une rue à son nom dans sa ville natale. Installé de longue date à New York, il n’avait en effet jamais perdu le lien avec sa Louisiane natale.
Texte : Frédéric Adrian