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Interviews / 09.04.2020

Lisa Spada, le cœur en confiance

Maternité, relance des soirées “Let’s Get Together”, collaborations en tout genre (Lisa Simone, Le Sacre du Tympan…), Lisa Spada n’a pas chômé depuis la sortie de son premier album, “Family Tree”, début 2015, prétexte d’une rencontre avec Soul Bag (cf. SB 217). Cinq ans plus tard, alors que paraît “I Rise”, il est temps de faire le point.

Cinq ans séparent les deux disques…

Qu’est ce qui s’est passé entre les deux disques ? Il y a eu pleins de projets ! “Family Tree”, je l’ai surtout développé toute seule puisqu’il devait y avoir un label et il n’y a plus eu de label ! Sans label, pas de tourneur et sans tourneur, pas de festivals. Ensuite, j’ai relancé [les concerts] Let’s get together et j’ai suivi pas mal de formations de théâtre et d’acting pour de nouveaux projets. J’ai écrit ces nouvelles chansons, il y a eu une nouvelle direction pour ces chansons qui a été développée sur scène… Et puis il y a des réalités économiques : il faut avoir le statut d’intermittent, donc travailler avec d’autres artistes.

Comment ont été écrites les chansons du nouvel album ?

En fait, il y a eu deux périodes différentes. Toute une partie a été écrite en 2017 et développée sur scène. Avant ces chansons-là, il y avait un projet de réadaptation de chansons de jazz de manière personnelle qu’on avait fait au Sunset [Paris, 1er] plusieurs fois. Et finalement c’était tellement personnel qu’on a décidé d’aller directement sur de nouvelles compositions. Entre temps, j’ai eu ma petite fille en 2018, et tout cela prend beaucoup de temps ! Mais je me suis tout de suite mise à écrire et à réarranger ces premiers morceaux. J’ai écrit tous les arrangements pour un quartet de jazz avec batterie, piano, contrebasse et guitare.

À l’origine, avant la rencontre avec Sandra Nkaké et Jî Drû, le projet était complètement jazz. J’avais très envie d’être entourée d’une petite formation et que ce soit très acoustique, à l’opposé de “Family Tree” qui était très produit. Là-dessus est arrivé quelque chose qui n’était pas prévu à l’avance et qui était magique : j’ai fait écouter les maquettes à Sandra Nkaké, qui est quelqu’un de très important pour moi et qui est une amie, et à Jî Drû, puis de fil en aiguille, on a discuté de façon très naturelle de comment on pourrait développer ce projet. Tous deux sont des musiciens, et leur façon de m’aider a été de me proposer : « Tiens, nous on a pensé à cette direction. » Ça a commencé par une chanson, deux chansons, trois chansons et puis au final on avait un album ! En plus, au fur et à mesure de nos rencontres autour de ce projet, sans que ce soit prémédité, il y a eu aussi l’écriture en commun de nouvelles chansons. Sandra a écrit les textes de plusieurs titres dont deux très importants, I rise et Letter to my daughter

Ce sont pourtant des chansons très personnelles…

Elle a tout simplement traduit ce qu’elle a ressenti de nos échanges. C’est un très beau cadeau de se voir écrire un texte magnifique. Il y a de la pudeur quand on écrit, ce qui explique aussi que je chante en anglais. Écrire une ode à cette aventure incroyable qu’est le fait d’avoir un enfant, je n’aurais pas osé le faire moi-même. C’est aussi une référence à un livre de Maya Angelou que nous aimons toutes les deux qui s’appelle Letter to my Daughter. J’ai fait confiance à deux autres artistes à qui j’ai confié mes chansons mais aussi mon histoire. L’album parle de cela : baisser les armes et faire confiance à l’autre. 

New Morning, Paris, décembre 2019. © Cindy Voitus

“Sandra Nkaké a tout simplement traduit ce qu’elle a ressenti de nos échanges. C’est un très beau cadeau de se voir écrire un texte magnifique.”

Lisa Spada

Pour l’instant, l’album ne sort qu’en format numérique, sans support physique…

Il sort uniquement en digital parce que ça correspond à une réalité économique, à une réalité de production. Il y a un côté rêve qui fait partie de l’album que l’on présente au public, mais il y a une réalité économique, qui est la situation des artistes indépendants. Pendant des années, on fait comme si on était un label, comme si on avait une équipe autour de soi et des échéances, mais ça n’est pas la réalité, et en faisant ça on se détourne du public. Dans cette logique, on ne parle qu’aux professionnels. J’avais envie que cet album sorte directement pour les gens.

Musicalement, le disque s’est fait très vite. La diffusion a pris plus de temps car il fallait prendre des décisions : comment l’album sort-il ? Il a été écouté par des labels. Je ne sais s’il faut le dire, mais la réalité c’est que le projet peut être de qualité  – et c’est le retour que j’ai eu  – sans qu’il soit développé par un label ou un tourneur, parce qu’aujourd’hui, il faut faire dix milles vues, avoir un certain nombre d’abonnés, un certain nombre de personnes qui viennent au concert… À un moment, je me suis mis dans cette logique : « Il faut que je monte une boîte de production, il faut que je demande des subventions, il faut que je fasse un clip… » J’ai aussi réfléchi au crowdfunding, mais ça implique la même chose. Pour avoir une somme qui correspond à l’enregistrement et à la diffusion d’un album on ne peut pas juste sortir un album comme ça, il faut qu’il y ait des contreparties… J’ai tout monté, c’était en attente de validation, mais je sentais que ça coinçait. La seule chose qui ne coinçait pas dans ma temporalité et dans mon positionnement, c’était que l’album existe !

Avec toutes ces stratégies, c’est comme si on imposait des choses plutôt que de faire venir le désir. Je voulais juste que les gens l’écoutent, qu’ils l’aient directement sans attendre qu’il y ait une production. J’avais envie que ce soit immédiat parce que ça correspondait à une réalité artistique actuelle. Les artistes sortent parfois des albums qui ne leur correspondent plus, parce qu’ils ont envie de faire autre chose. Ce n’est pas mon cas. J’avais envie que ce soit au plus près de ce que je ressentais. Je suis quelqu’un qui a des idées rapidement, j’ai déjà d’autres projets de disque. 

New Morning, Paris, décembre 2019. © Cindy Voitus

“Avec toutes ces stratégies [marketing], c’est comme si on imposait des choses plutôt que de faire venir le désir.”

Lisa Spada

Quelles sont les suites à venir pour le disque ?

Il n’y a pas d’économie possible pour l’instant pour monter une tournée, donc cet album existe comme des morceaux offerts au public pour qu’il les entende, et j’espère qu’il les appréciera. C’est un voyage sonore, c’est comme ça que je le présente aujourd’hui… J’aimerais le développer sur scène. Je sais qu’on ne va pas venir me chercher, qu’il faudra que j’aille chercher les choses, mais j’aimerais que ça se fasse naturellement aussi. Pour moi c’est une nouveauté de sortir un projet comme ça, sans stratégie particulière. J’ai juste envie de voir si les gens l’aiment. S’ils sont séduits, bien sûr que j’aurai envie d’aller à leur rencontre et de partager ce moment avec eux…

Propos recueillis le 7 février 2020 par Frédéric Adrian
Photo d’ouverture © Lu

lisaspada.com

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