Jazz Celebration 2024, Théâtre du Châtelet, Paris
09.10.2024
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15 novembre 2022.
Prévu de longue date, le concert de Leyla McCalla était doublement surligné dans notre agenda, comme toujours lors de ses venues sur le vieux continent.
Un sympathique duo voix-guitare en guise de première partie par la chanteuse Sarah Lenka qui, plaçant au centre de sa démarche de vocalises quelques “grandes dames” du siècle dernier (Vera Hall, Bessie Smith…), nous a offert une belle mise en bouche acoustique.
Lors du changement de plateau, avant l’entrée en piste de la chanteuse et de ses musiciens, une question nous vient soudainement : comment allait donc être présenté sur scène “Breaking The Thermometer”, paru au printemps dernier. Car ce dernier album qui chemine entre blues, folk, jazz et musiques des caraïbes (récompensé d’un Pied Soul Bag et adoubé par la presse en général) fait également appel à une série d’interludes hybrides (montage d’archives, témoignages parlés et autres effets de “studio”).
À l’image de la talentueuse multi-instrumentiste, c’est de manière très simple et spontanée que cette transposition live s’est jouée. Dès l’introduction, sans mise en scène particulière, résonne un préenregistrement sur lequel elle jouera ses premières notes au violoncelle. Ce même thème du compositeur Franz Casseus qui ouvre le bal de son dernier album. Enveloppement immédiat de l’auditoire, ce New Morning encore une fois bien compact réagit bruyamment après seulement deux ou trois titres tirés du dernier opus et interprétés à l’aide de différents instruments (violoncelle, banjo, guitare demi-caisse électrique) qui entourent la New-Yorkaise exilée à La Nouvelle-Orléans. Même système D pour d’autres titres tirés de son quatrième album, une voix, un jingle radio ou une mise en onde qui résonne et la musique jouée en direct qui prend le relai.
Difficile de rendre compte par écrit cette chose impalpable que McCalla dégage sur scène avec ses musiciens qui, tout aussi discrets qu’ils soient, apportent chacun à leur manière beaucoup aux titres joués ce soir. Si les regards convergent naturellement vers celle qui parle et chante dans le micro, il faut souligner l’importance et la finesse de jeu du guitariste Nahum Johnson Zdybel dans ses arpèges complexes ou ses solos inspirés. On notera également le passage sans embuche de la contrebasse ronflante à une basse électrique par Peter Olynciw dont l’attaque est plus marquée. Et pour ceux qui auront la chance de voir ces quatre compères une prochaine fois, le travail du batteur-percussionniste Shaun Myers est somme toute terriblement bluffant. Polyrythmies ou jeu libre pas si éloigné de certains jazzmen, il est aussi à l’aise dans les syncopes du compas haïtien que la progression créolisée en mode bossa rock de cette succulente adaptation de Caetano Veloso (You don’t know me) que Leyla nous a offert.
Une grosse heure et demie de show rappel compris, et cette artiste intègre et entière qui semble comme à chaque fois être aussi touchée que l’est son public. Une grâce naturelle (ce violoncelle joué en accord sans archet est d’un effet !), une légèreté sans calcul, des mots doux qui réchauffent (ce français un peu bancal qui chez nous prend un charme fou) et, enfin, des vérités qui se doivent d’être dénoncées et montrées du doigt. Artiste polyglotte, poétique et définitivement politique, Leyla McCalla fait ce soir aussi réfléchir à l’état du monde avec son lot de démocraties chahutées et ses crises à répétions.
Sans donner de leçon, McCalla à sa manière nous pose finalement une question essentielle : dans quel monde voudrions-nous vivre ? Une histoire de choix, comme souvent, comme toujours, comme celui qu’on fait ces quelques centaines de personnes venues soutenir une artiste pas comme les autres. Et cette irrépressible envie d’aller la saluer au stand de “merch” ou elle prendra le temps de parler, signer des disques ou faire des photos avec un public qu’on reverra surement lors de son prochain passage.
Texte : Julien D.
Photos © Wilfried-Antoine Desveaux