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Live reports / 31.08.2012

LES RENDEZ-VOUS DE L’ERDRE

 L’édition 2012 de la scène blues des Rendez-Vous de l’Erdre à Nantes s’est ouverte le vendredi 31 août sous des auspices météorologiques favorables et dans l’ambiance chaleureuse que les 150 000 visiteurs annuels mettent tous en avant.

 

La programmation de la scène blues commence à 20 heures avec Snake Fuzz Moan, guitariste chanteur en solo, récent vainqueur du tremplin du festival de Cognac, dont le folk blues intimiste et sincère suscitera sans peine l’intérêt du public déjà nombreux.  Il grossira encore jusqu’à l’arrivée de la vedette du jour, Kenny « Blues Boss » Wayne, dans un super ensemble, pantalon bleu vif, chaussures assorties, veste en lamé chatoyant et panama crème, ruban noir. L’homme a le sens de la scène et du spectacle, ce qu’il va prouver pendant deux heures, accompagné par un groupe de cadors, Thibault Chopin à la contrebasse, Fabrice Bessouat à la batterie, Anthony Stelmaszak à la guitare et Drew Davies au saxophone.


Anthony Stelmaszak, Drew Davis et Kenny "Blues Boss" Wayne
 

La tournée a permis de régler la machine qui se lance à pleine vitesse dès les premières minutes. Boogie woogie à tous les étages, un peu moins d’Amos Milburn que sur disque mais une grosse dose de Fats Domino, des solos nombreux qui précèdent et suivent ceux des autres musiciens, le show est entraînant et le public ondule de plus en plus. Drew Davies a le son qui va bien, Thibault Chopin y va de deux solos à la contrebasse, Anthony Stelmaszak est efficace et sobre comme il le faut, et Fabrice Bessouat swingue comme un beau diable.


Kenny tire son répertoire principalement de son disque "An Old Rock On A Roll" mais aussi d’emprunts aux figures du genre, dont un merveilleux titre en solo qui recrée l’univers de Ray Charles jusqu’à la petite dose de raucité dans la voix. Il assure aussi le spectacle en utilisant les ressources de ses claviers pour chanter une séquence en scat à plusieurs voix et un dégainant un ocarina pour ensuite se promener au milieu du public. La température de soirée est fraîche mais plus personne ne s’en soucie.

 

Kenny "Blues Boss" Wayne

Le samedi après-midi est consacré aux trois premiers concurrents du Tremplin Blues. Driftin’ Blues vient de Rezé en quintet basse, batterie, guitare, harmonica et chanteuse. Le groupe a environ un an d’existence et joue un blues moderne dont tout le potentiel se révélera une fois gommés quelques défauts de jeunesse. Amy Fleming est une vraie chanteuse avec une voix puissante et bien placée, Bruno Tedjeu est un harmoniciste volubile et Guillaume Chapeau un guitariste souple doté d’un joli son. De plus, le groupe passe à un horaire difficile, tôt dans l’après-midi, mais sait communiquer suffisamment avec le public pour l’accrocher.


Driftin' Blues
 

Ils sont suivis par Dr Bones and the Blue Roots, en provenance du Mans, mélange d’expérience et de jeunesse, section rythmique très douée, belles guitares métalliques, reprises de classiques, capable d’embarquer le public sans problème. Il faudrait juste que la voix du leader soit plus affirmée.


Dr Bones
 

Troisième et dernier groupe du jour, Charles Després and the Midnight Creepers viennent de Nancy et jouent un jump blues élégant, parfois mêlé de titres plus sombres comme le sudiste et lancinant Don’t want my lovin’. La section rythmique est souple et swingante à souhait, Charles est doué à la guitare et au chant, communique bien avec le public, mais a du mal à sortir de sa gentillesse et de sa retenue pour lâcher les chevaux et apporter la touche d’agressivité et de puissance de son qui ferait passer leur show à l’étage supérieur.
 

 
Charles Després
 

Le soir, Candye Kane est très attendue.  Les médias en ont parlé et on n’a jamais vu autant de photographes au pied de la scène blues. L’histoire de la dame, la présence de l’étonnante Laura Chavez à la guitare… Le programme du festival présente Laura Chavez comme « la prochaine Stevie Ray Vaughan » mais il n’est pas nécessaire d’utiliser cette référence tant elle est une guitariste en tant que telle. Agilité, souplesse, agressivité dosée, son, présence scénique, personnalité, elle a tout pour elle-même, et elle tient la partie musicale du show à bout de bras mais sans déséquilibre car la section rythmique de Fred Rautmann à la basse et Kennan Shaw à la batterie est impeccable. Fortement amaigrie, Candye n’en a pas perdu sa voix et sa faconde pour autant. Puissant, vibrant, chaleureux, son chant donne vie à un répertoire que beaucoup ne connaissent encore que sur disque.


Laura Chavez et Candye Kane

Elle parle beaucoup entre les morceaux, de sa maladie, de la vie, de l’amour qui doit exister entre les êtres, de l’estime de soi, caressant le public dans le sens du poil en vantant le romantisme de la langue française et la qualité de la nourriture et du vin. Nous voulions l’interviewer, ce qui n’a pas pu se faire mais nul doute que ses réponses à nos questions auraient fortement correspondu à ses prêches sur scène. Certains trouveront ça très « américain » mais la sincérité de Candye ne fait guère de doute, Laura Chavez en pleurera même sur scène, et le public, particulièrement nombreux et serré, répond solidairement, donnant une dimension supplémentaire au concert dont la tension ira crescendo jusqu’au seul et unique rappel. Candye était-elle fatiguée ? Peut-être, mais elle n’en passera pas moins un long moment à signer des autographes sur les CD en vente et à discuter avec tous les acheteurs. On en pense ce qu’on veut mais c’est justement grâce à ce sens du spectacle « américain » que Candye, et aussi Kenny le soir précédent avec son costume éblouissant et son passage dans la foule, pratiquent si bien, que le public repart avec du rêve plein les yeux et les oreilles.

 
Candye Kane
 

Réveil en douceur le dimanche matin avec la conférence donnée par vos serviteurs Jacques Périn et Christophe Mourot et intitulée « Jazz et blues, chemins croisés et décroisés » dans une salle dont les murs étaient décorés par la collection de pochettes de disques « Blue Note » d’Armand Meignan, directeur artistique du festival.

 

Le réveil se poursuit avec Kevin Doublé, Eric C et Miguel Hamoun au blues brunch du bar Le Canotier avant que les affaires reprennent en début d’après-midi du côté du tremplin blues. Les briscards des Old Bluesters viennent des environs de Vannes et lancent le show avec un concert solide, fait majoritairement de reprises choisies (Bo Diddley, Robert Johnson, Rufus Thomas), unifiées dans un rythme sympathique, qui pourrait être plus varié, animé par les solos de guitare modernes de Christophe Lodéac et l’entrain du leader Jean-Claude Durand qui, à l’instar de Dr Bones la veille, exhibera de belles guitares à résonateur et jouera de l’harmonica. Ils sont immédiatement suivis de ceux qui  vont décrocher le jackpot.


The Old Bluesters
 

Les Nantais de The Lazy Bones sont jeunes, ont de l’allure, le sens du public, et pratiquent un blues élégant, très « rhythm », occasionnellement « rock and roll », dont la qualité du son et la souplesse servent très bien le répertoire érudit (Bobby Blue Bland, Wynonie Harris, Magic Sam et consorts). François Nicolleau  (vo, g) et Thomas Pichot (vo, g, hca) se partagent le devant de la scène et chantent très correctement en anglais. Arnaud Mi est un batteur adapté au genre choisi et le chevronné contrebassiste Miguel Hamoun apporte solidité et son délicieusement slappé ici et là. La réponse du public est forte et enthousiaste.


The Lazy Bones
 

En conclusion, Robert Lenoir and The Goodbye Joe font aisément sentir leur grande expérience et leur cohésion. Auteurs d’un bel été avec une victoire au tremplin du festival de Cahors, ils déroulent un répertoire rodé, dont une bonne part est orientée folk et country rock. Robert est crédible au chant et alterne entre guitare et piano, soutenu par les deux autres guitaristes et la section rythmique très carrée. C’est du costaud.

 
Robert Lenoir & The Goodbye Joe
 

Le jury, composé de directeurs de festival de jazz et de blues, d’amateurs éclairés, d’écrivains spécialisés et de collaborateurs de Soul Bag, rend ensuite son verdict, douloureux à établir en raison du niveau général élevé des groupes. The Lazy Bones remportent le premier prix, un contrat pour un concert aux Rendez-Vous de l’Erdre 2013. Les Old Bluesters prennent la deuxième place et gagnent un soutien financier pour un enregistrement en studio. Driftin’ Blues complètent le podium et décrochent le prix France Blues, présenté par Fred Delforge, et joueront donc en showcase à l’European Blues Challenge à Toulouse en mars prochain. Outre ce classement officiel, des prix spéciaux sont attribués par les membres du jury. Les Old Bluesters se produiront ainsi au So Blues Festival du Mans début novembre prochain et, nous parlions de jackpot, The Lazy Bones joueront au Blues Fest de Nantes, au Léon’s Blues Festival dans le Finistère, au Montfort Blues en Ile et Vilaine, et reçoivent le prix Soul Bag.

 

Vainqueurs du tremplin 2011, Le Blues Bound de Mathieu Pesqué et Roll Pignault, accompagné d’un guitariste cubain, vont joliment clore le programme de cette scène blues face à un public conquis d’avance par leur répertoire folk, blues, country, gospel et rock. Mathieu joue de ses guitares et chante comme jamais, Roll prend le contact avec le public à son compte qui le lui rend bien en reprenant spontanément et a cappella le Hallelujah de Leonard Cohen.
 

 
Blues Hound
 

Nous n’avons malheureusement pas pu aller voir, pour cause d’horaires en parallèle, Keith B Brown et Nico Wayne Toussaint, programmés sur la scène de Sucé-sur-Erdre.

 

Au long du weekend, on aura pu croiser dans le public Philippe Ménard, Thomas Troussier, des membres des Lazy Buddies, des Bad Mules, de Gaby Blues Band, le groupe Colfax. La scène de l’Ouest est riche, venez l’écouter sur place !

 

Texte et photos Christophe Mourot