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Live reports / 21.09.2015

Les Rendez-Vous de l’Erdre

Les Rendez-Vous de l’Erdre, cette année dans leur 29e édition, c’est plus de 80 concerts, des scènes fixes ou éphémères à Nantes et dans les villes de l’Erdre, des créations, des confirmations, un lien constant et solide entre les générations de musiciens, entre les composantes du jazz et avec son parent essentiel, le blues. C’est aussi 200 bateaux rassemblés ou en régate, à voile, à vapeur, à rames, à moteur, ballet nautique unique en Europe, qui souligne la colonne vertébrale que l’Erdre donne à une manifestation qui rassemble plus de 150 000 personnes tous les ans lors du dernier week-end d’août.

Cantonnés à la scène blues, il est des supplices plus difficiles, nous manquerons maints concerts de haut niveau sur les scènes jazz et ne pourrons par exemple saisir que fugitivement des notes d’Armel Dupas ou Costel Nitescu et le quartet de Samson Schmitt.

Vainqueurs du tremplin blues 2014, N’Deye and the Three Generations Blues Band ont déjà la tournée des Batignolles derrière eux lorsqu’ils ouvrent la scène blues le vendredi à 20 h 30. Pendant une semaine, ils ont sillonné les quartiers nord de Nantes et ravi des riverains tout contents de voir la musique venir à eux. La chanteuse N’Deye est lumineuse et ses ondes positives vont agir sur le public aussi bien que sur ses accompagnateurs (François Nicolleau, g, Laurent Marhic, g et chœurs, Laurent Charbonnier, kb, Philippe Bertrand, b, Patrick Broissand, dm), s’ils en avaient besoin, pour donner un set chaleureux, élégant, travaillé, où Ruth Brown et Etta James se côtoient joyeusement, la reprise de cette dernière donnant lieu à une magnifique interprétation soul blues en rythme lent avec une belle partie de piano de Laurent Charbonnier. N’Deye ondule, sourit, dérape vocalement quand il le faut, le groupe swingue joliment et pourrait peut-être se lâcher plus, le public était conquis d’avance, il n’a pas été déçu.

 


N’Deye and the Three Generations Blues Band

 

Vainqueurs, dans une composition différente, de la première édition du tremplin dix ans avant, les Bad Mules leur succèdent en vraies vedettes qu’ils sont devenus. C’était la troisième fois que nous les voyions cet été et ils renouvellent suffisamment leur répertoire à chaque concert pour qu’il y ait toujours quelque chose à découvrir. Denis Agenet (dm, vo), Julien Broissand (g, vo), Freddy Pohardy-Riteau (sax), Philippe Gautier (org), connaissent leurs classiques, Wynonie Harris, Little Walter, Big Joe Turner et consorts, au point de pouvoir composer naturellement dans les mêmes veines. Là encore, le moment fort est venu d’un blues lent, électrique, chanté par Julien Broissand et joué par lui en sourdine, générant une tension qu’il choisira de ne pas libérer par un final en gros son mais il y avait la place !

 


Bad Mules

 

Le samedi est le jour de la première partie du tremplin et le moins qu’on puisse dire est que ça a démarré fort avec le duo Vicious Steel dont la formation (Cyril Maguy, vo, g, perc, Tim Coiffet, b, vo), le look (jeunesse, barbes fournies, crâne de mouton rougeoyant, crocodile empaillé, poussin en fourrure collé à la contrebasse) va emballer le public en un instant. Compositions originales, chant bien placé, en anglais et en français, blues post downhome, folk, country, rythmes variés, belle reprise du Mona de Bo Diddley, atmosphère pesante de Going down to the river, les deux compères connaissent leur affaire et placent la barre très haut pour leurs concurrents.

 


Vicious Steel

 

Max Sugar Blanck, seul à la guitare, à l’harmonica et au chant, n’a pas l’air si impressionné que ça et y va de son blues intimiste, vécu et appris à la dure, sur le terrain, lors d’un voyage initiatique aux États-Unis. Alors que nous l’avons vu assurer des inter-scènes extraverties à Cahors, il est ici posé, appliqué, mais ses émotions sont visibles et palpables et un lien fort se crée petit à petit avec le public, comme lors du beau I’m losing my mind en slide ou du Memphis Jenny en double tempo.

 


Max Sugar Blanck

 

Les Pneumatic Serenaders sont les troisièmes concurrents du jour dans une formation intéressante avec Gaëlle Houze, vo, Prele Abelanet, dm, perc, Sylvian Tichadou, b, tub, Jeff Quevy, g, bj, Valentin Estel, g. Leur blues est ancien (Victoria Spivey, Memphis Minnie, Rosetta Howard, Tampa Red) ou néo-ancien (C.W. Stoneking), joliment chanté par Gaëlle et joué studieusement par le reste du groupe, alors que leur nombre et leurs choix instrumentaux (ceux déjà cités mais aussi xylophone, kazoo, frottoir) leur permettraient de délivrer plus de puissance et tirer le gain potentiel de leur formule.

 


Pneumatic Serenaders

 

 

Le public de la scène blues ne le sait pas encore mais il va vivre un des plus grands concerts qui y ait jamais eu lieu. Sugaray Rayford va en effet prendre Nantes d’assaut et ne plus rien lâcher de la soirée. En costume bleu sombre rayé et T-shirt blanc, il en impose mais son visage souriant montre que c’est le partage qu’il recherche, pas l’affrontement. Après quelques notes, il présente Gino Matteo à la guitare, Ralph Carter à la basse, Lavell Jones à la batterie et Cédric Le Goff à l’orgue, puis met son corps en mouvement, métronome d’un show en forme de tornade qui emporte le public dans le répertoire de ses disques, notamment “Dangerous” et “Southside”, agrémenté de reprises choisies comme ce Crosscut saw qui le fait descendre dans la foule où il reste dix minutes ou ce I’ll play the blues for you, une proposition que le public accepte avec plaisir, tout comme il tend les mains pour attraper les colliers que Sugaray lui lance en cadeau. Le traditionnel intermède de milieu de show voit Gino Matteo rester en électrique plutôt que passer en acoustique et voit aussi Guillaume Robin, harmoniciste du groupe Mister Joss monter sur scène. La reprise se fait avec Call me to sleep et un énorme solo de batterie de Lavell Jones. L’introduction de Gino Matteo sur le Worry, worry qui suit est à grimper aux arbres. Tout a une fin et le rappel Driving wheel nous laisse sur orbite, sans aucune envie de redescendre sur terre.

 


Cédric Le Goff, Gino Matteo, Sugaray Rayford

 


Lavell Jones et Ralph Carter

 

Le dimanche est lancé par Al Foul, nouvelle signature du label nantais Kizmiaz Records, qui anime le blues brunch du Canotier. Accompagné par Miguel Hamoum à la contrebasse et Laurent Alliger aux platines et diverses percussions, Al chante, joue de la guitare et de la batterie aux pieds, et remet délicieusement au goût du jour les répertoires des grands du country blues et du rockabilly des années 50, Johnny Cash, Johnny Burnette et leurs pairs, dans une approche qui rappelle celle de Billy Riley il y a quelques années, enrichie des effets son de Laurent Alliger. Ça swingue gentiment, le son est grassouillet et sexy, Al a une façon bien à lui de chanter, le temps passe vite.

 


Al Foul

 

Le tremplin reprend à 14 h avec Nasser Ben Dadoo et Hatman Session au complet (Marko Balland, hca, Matthieu Tomi, b et Alexis Voisin, dm). Allure classieuse et voix rocailleuse du leader, répertoire original, harmonica étincelant de Marko, rythmique souple de Matthieu et Alexis, le set coule agréablement. Nasser se repose beaucoup sur Marko pour les solos au détriment de sa propre guitare qui laisse pourtant entendre de belles promesses.

 


Nasser Ben Dadoo

 

C’est ensuite Alexis Evans qui apparaît en sextet avec les fidèles Olivier Perez à la basse et Eric Boréave à la batterie, augmentés de Damien Daigneau aux claviers, Alexandre Galinie au saxophone et Maxime Lescure à la trompette. Y a-t-il une limite à la progression d’Alexis ? A chaque concert, il franchit une étape et c’est un excellent set de soul bluesy auquel nous assistons, rythmé, sans temps mort, les “anciens” Eric et Olivier couvant du regard et du sourire les “nouveaux”, tous visiblement heureux d’être ensemble et généreux dans leurs efforts, récompensés par l’accueil enthousiaste du public. Alexis devient petit à petit un grand chanteur avec un placement, des envolées dans les aigus, des vibratos tendus, qui donnent beaucoup de crédibilité à son répertoire, de surcroît entièrement original.

 


Alexis Evans

 

Driftin’ Blues ayant malheureusement dû se désister, c’est Al Foul et ses deux compères qui occupent au pied levé le créneau dévolu au troisième groupe de l’après-midi.

Pendant ce temps le jury délibère…

Résultats :

1er prix : Alexis Evans, gagne un engagement dans le programme des Rendez-Vous de l’Erdre 2016.

2e prix (France Blues) : Vicious Steel, gagne un an de soutien par France Blues.

3e prix : Max Sugar Blanck, gagne un soutien financier pour enregistrer un CD.

Prix Mojo, Leon's Blues, Le Sonograf de Thor, France Bleu : Alexis Evans.

Prix Vache de Blues, Bain de Blues : Vicious Steel.

Prix Montfort Blues, Collectif des Radios Blues, Soul Bag : Max Sugar Blanck.

Prix So Blues : Hatman Session.

Il y a toujours un peu de tension à la remise des prix, impatience du public qui défend joyeusement ses choix, attente des groupes, angoisse de ne pouvoir récompenser tout le monde, les Flyin’ Saucers Gumbo Special vont s’occuper de nous de la meilleure des façons : festive ! On le sait, Fabio Izquierdo (vo, hca), Cédric Le Goff (vo, kb), Fabrice Joussot (vo, g), Charlie Duchein (b), Stéphane Stanger (dm), avec Denis Agenet invité au frottoir, sont des bêtes de scène mais on reste estomaqué. Superbes instrumentistes, merveilleux chanteurs (Cédric est régulièrement stratosphérique), excellents entertainers, le public adhère pleinement à leur show fait de R&B, blues, zydeco, rock and roll, solide de bout en bout grâce à un répertoire qui ne l’est pas moins. Les chansons de leurs différents disques dont le dernier “Swamp It Up” passent sans couture et font mouche. Les gars ont de l’allure, savent établir le contact avec le public, qui ne bougera pas d’un pouce lorsque la pluie s’invitera le temps d’une forte averse, c’est l’Erdre transformée en bayou louisianais. Après avoir invité Alexis Evans à croiser le fer avec Fabrice Joussot, le groupe se prépare à sortir de scène en fin de concert, et le miracle attendu se produit : Sugaray Rayford et Gino Matteo réapparaissent et tout le monde remonte sur scène pour un final de feu. Superbe cadeau de Sugaray qui avait pourtant très mal à un genou après tant d’heures sur scène et qui rentrait juste du concert de l’après-midi à Sucé sur Erdre. Nous ne sommes plus sur orbite mais dans la quatrième dimension. Impossible de se séparer après ça et les poignées de main, accolades, photos, vont aller bon train derrière la scène, au point de manquer le concert de Malted Milk et Toni Green sur la scène nautique !

 


Cédric Le Goff, Fabio Izquierdo

 


Fabrice Joussot

 


Cédric Le Goff, Sugaray Rayford, Fabio Izquierdo

 

Voilà pour la scène blues de Nantes mais le blues était aussi sur la péniche France Bleu / Crédit Mutuel avec un showcase de Sugaray Rayford et un concert de N’Deye and the Three Generations, à Sucé Sur Erdre avec The Big Shot, Lil’Red and the Roosters, Thomas Ford et donc Sugaray Rayford (dont une partie du public était composée de gens qui en voulaient encore après le concert de la veille à Nantes), et à Carquefou avec Buzztown.

Les Rendez-Vous de l’Erdre se vivent encore mieux qu’ils ne se racontent, vous êtes donc tous attendus en 2016 pour la 30e édition.

Texte et photos : Christophe Mourot