Megève Blues Festival 2025
25.08.2025
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15 juillet 2025.
Le 14 juillet, Leon Bridges a donc fêté ses 36 ans dans le très sélect club Silencio. La soirée était annoncée comme un moment de mix par plusieurs de ses proches. Des Sudistes dans ce temple arty aux lumières tamisées, plus parisien-que-moi-tu-meurs ? Surprenant. Les deux frères de Hermanos Gutierrez, dont le nouveau titre en collaboration avec Leon Bridges a été annoncé deux jours plus tard, ont un long moment joué à un ping-pong musical fait de leurs influences, entre cumbia et salsa des ‘80s. C’est ensuite Dashiel, acolyte (collègue ? Meilleur ami ?) de Leon Bridges qui monte derrière la table. Il passe plusieurs sons de R&B classique et de rap américain, opérant un virage à 180° qui en surprend plus d’un. L’heure tourne, on traîne un peu pour espérer voir le birthday boy aux platines, mais il danse discrètement à l’arrière et ne compte pas reprendre la direction musicale de la nuit. Une version remixée – et tardive ! – de Bet ain’t worth the hand, titre introductif de son LP “Good Thing” est finalement la seule référence directe à son travail. Ce qui ne semble pas déranger les danseurs, dont il est difficile de deviner s’ils seront présents le lendemain tant l’ambiance générale du club fait avant tout la part belle aux postures et aux sapes design. Avec sa combinaison d’une matière improbable qu’il doit bien être le seul à pouvoir porter avec prestance et son afro travaillé, Leon Bridges ne détonne pas, bien au contraire. S’il est toujours intéressant de voir qu’il semble apprécier le R&B des années 2000 autant que la soul qu’on lui connaît, il faut être honnête : on a surtout hâte de le voir s’exprimer sur scène le lendemain.
Avance rapide de quelques heures. Sur la scène de Pleyel, la première partie, Peter Cat Recording Co., peine à convaincre un public quelque peu dissipé. Le quintet auteur d’une musique qu’ils qualifient eux-mêmes d’indian indie – sorte de mélange entre une pop indé un peu groovy et de synthés psychédéliques – fait un set efficace, mais pâtit d’être face à un public qui n’est visiblement pas sa cible. Leur dernier morceau, plus funk, ne suffit pas à faire véritablement frémir un parterre confortablement assis. Pouvait-il en être autrement dans une salle comme celle-ci, où l’élan collectif est toujours long au démarrage ? Le choix d’y faire jouer des artistes dont la musique appelle clairement la danse se pose, en tout cas.
Mais le groupe qui s’installe ensuite a bien prévu de faire bouger l’ensemble du public de cette salle imposante. Dès When a man cries, la direction est claire : pas de show-off, pas d’artifice, mais juste ce qu’il faut pour monter progressivement en puissance. Leon Bridges chante de sa voix souple et précise, immédiatement reconnaissable, et s’autorise quelque pas de danse – histoire de donner le ton. Sur scène, il est accompagné de sept musiciens : une formation illuminée par un bassiste remarquable (Corbin Jones), mais surtout par la brillante guitariste Emily Elbert sur sa gauche et Dave Mackay aux claviers. Le groupe est bien rempli, ce qui permet d’enrichir avec finesse chacun des titres sans jamais trahir l’essence de la soul de Bridges.
La setlist s’enchaîne avec fluidité : la douceur contemplative de Panther city est suivie par les groovy Flowers et Laredo, comme pour réveiller tout le monde avant le hit Coming home. L’occasion de constater les multiples talents d’Emily Elbert, dont les harmonies se distinguent au milieu des chœurs formés par le reste des musiciens.
C’est la tournée de “Leon”, mais la setlist, judicieusement pensée, fait aussi la part belle aux chansons de “Coming Home” (2015) et “Good Thing” (2018). On se dirige en douceur vers Never satisfied, dans une version retravaillée pour la riche formation musicale. Personne ne surjoue, mais tous présentent une forme de nonchalance qui laisse deviner un groupe qui se complète parfaitement. À l’image de l’espace qui est donné au solo de guitare final, salué chaleureusement, et à juste titre.
Le choix du vaporeux Mariella, issu de “Texas Moon” (2022) surprend un peu le public, sans doute plus en attente de l’autre EP réalisé en collaboration avec les compatriotes de Khruangbin. La transition vers Steam, seul titre rescapé de “Gold-Diggers Sound” (2021) dans la setlist, fonctionne pourtant très bien. Et encore plus lorsqu’il est logiquement suivi de la chanson-titre de “Texas Sun” (2020), reçu avec les applaudissements les plus nourris de toute la soirée. Ça y est, les têtes se balancent, les pieds sont pris d’une ferveur qui tardait à venir, et les premiers téméraires se lèvent enfin. Le disco funk rétro de You don’t know et If it feels good (Then it must be) les encourage, et donne à la section rythmique l’occasion de vraiment s’amuser.
Une dernière partie faite d’une soul veloutée et introspective démarre avec Hold on, écrit il y a dix ans et sorti sur l’album anniversaire de “Coming Home”. Arrangé comme une synthèse de sa discographie, à la fois énergique et méditatif, le son témoigne de l’évolution d’un artiste qui n’a jamais renié ses origines et inspirations. Sa version dépouillée de River, alliant guitare sèche et pedal steel, illustre parfaitement cela et offre un moment presque hors du temps.
Une variante électrisée de Smooth sailing clôt le concert, avant un rappel tout en contraste : Leon Bridges revient seul avec sa guitare pour Lisa Sawyer, ballade intime retraçant la vie de sa mère, qui résonne dans un silence solennel. Il est ensuite rejoint par tout le groupe, et même par l’audience qui, après s’être tue sagement sur le titre précédent, donne de la voix sur un Beyond fédérateur.
Naïvement – et avec quelques préjugés au vu du public, peut-être – on craignait de voir la salle Pleyel rester assise tout du long. Ou de recroiser les poseurs de la nuit précédente, plus prompts à dégainer leurs caméras pour filmer les titres phares qu’à se laisser aller à la danse. Bien sûr, Leon Bridges pourrait happer son audience en jouant sur les apparences, son style mi-crooner mi-cowboy élégant, ou sur ses titres les plus entendus. Il ne veut pas de cette facilité-là : « soul music is not something of nostalgia », a-t-il d’ailleurs affirmé pendant le concert. Après quatre albums solo, le Texan est en pleine maîtrise : en transformant crescendo la retenue de la salle en enthousiasme sincère, il est parvenu à faire lever tous les sièges. Et, sans jamais forcer, à rappeler pourquoi on peut toujours faire de la soul une musique actuelle.
Texte : Kiessée Domart-N’Sondé
Photos © Fouadoulicious
Setlist
When a man cries
Panther city
Better man
Flowers
Laredo
Coming home
That’s what I love
Never satisfied
Mariella (titre de Khruangbin & Leon Bridges)
Steam
Ain’t got nothing on you
Texas sun (titre de Khruangbin & Leon Bridges)
You don’t know
If it feels good (Then it must be)
Hold on
Can’t have it all
River
Peaceful place
Smooth sailin’
Lisa Sawyer
Beyond