;
Live reports / 04.02.2020

Legendary Rhythm & Blues Cruise #33

26 octobre au 2 novembre 2019.

La fiesta aux accents burlesques de la série TV La Croisière s’amuse ou, au contraire, une programmation digne de barnum régie avec la précision et l’efficacité d’un moteur Rolls Royce ? Oubliez les clichés de la première hypothèse et participez à la deuxième où tout est pensé et conçu, depuis la veille de votre embarquement jusqu’à la reprise finale des valises, pour vous libérer de tout souci et vous permettre de vivre une semaine de convivialité chaleureuse semblable à celle que décrivait notre confrère Ulrick Parfum magnifiant le festival soul de Poretta (SB 236).

Dès la veille du départ, une party caritative unit les cruisers dans un grand hôtel de San Diego. Au programme : Chickenbone Slim, (un bar band de reprises dispensables), The 44’s punchés en diable par l’un de leurs co-fondateurs, Kid Ramos (guitare), en duel avec Johnny Main (guitare) ou soutenant Eric Van Herzen (harmonica) et, en vedette, Café R’n’B, le meilleur groupe post Ike & Tina Turner où la blonde Roach (chant) s’associe et à Tina et aux Ikettes. C’est la première fois que je les vois avec un harmoniciste au look sévère de conseiller d’État.

Cafe R’n’B

Le lendemain, à bord et le drill d’évacuation terminé, vous êtes dans le bain ! Qui choisir dans un programme journalier aussi riche, varié et copieux ? Heureusement, tous doivent alterner entre les différentes scènes – dont celle construite spécialement sur le pont arrière – et passer trois fois. Quelques découvertes s’imposent aussi aux dépends de mes favoris.

Southern Avenue : leur jeune chanteuse Tierinii Jackson vibrionne sur leur soul funky par trop mécanique à mon goût.

The Proven Ones : rien que des vétérans qui ont fait leurs preuves. Brian Templeton (vo, hca, ex-Radio Kings), Kid Ramos (g, de James Harman à…), Anthony Geraci (kbd, tout le monde à la Côte Est et plus), Willie J. Campbell (b, idem), Jimi Bott (dm, de Rod Piazza à…) et deux cuivres. Blue eyed soul réussi au goût barbecue. Durant toute la semaine, ils s’inviteront en ordre dispersé au piano-bar pour de juteuses jams à faible volume, tout en finesse où le kid du barrio de Los Angeles, décontracté et en sandales, sait faire sonner sa culture blues.

Jimmy Voegeli (piano) : lui aussi va se retrouver dans les diverses configurations nocturnes du piano-bar : en duo contractuel avec Rob Rio (chant, piano), le plus R&B traditionnel ’50s, d’un dynamisme imbattable – invité de Mitch Woods (chant, piano) en son Club 88, le rendez-vous confraternel et des jammeurs de passage. Keb’ Mo’, par exemple, entendant une de ses compositions interprétées par Voegeli, s’arrête, écoute et la termine en la chantant depuis la batterie.

Tierinii Jackson (Southern Avenue)
Anthony Geraci
Kid Ramos, Willie J. Campbell (The Proven Ones)
Brian Templeton, Kid Ramos
Jimmy Voegeli, Keb’ Mo’
Mitch Woods

Panne de courant à l’aéroport de New Orleans ou froid pluvieux plombant le pont arrière et ses animations ? Qu’importe : l’organisateur Roger Naber reprogramme les artistes prévus (Mr. Sipp, Corey Ledet …) en indoors et dans un autre créneau.

Brother Yusef (chant, guitare) : l’ex-leader du Fatback Blues Band propose du country blues acoustique vigoureux dans des lieux intimistes du navire. Il a ses supporters.

Super Chikan (chant, guitare) & The Fighting Cocks : ses reprises terroir sur guitares faites maison et son groupe 100 % féminin qui ne perd pas une note de ses longs solos country blues campagnards (slide très effective) en font un des bluesmen-entertainers prisés des croisiéristes. Je suis particulièrement emballé par sa pianiste – Laura “La La” Craig – au jeu inimitable parce que non orthodoxe mais drôlement efficace.

Vintage Trouble : curieux groupe où chaque musicien semble sortir d’une BD sur la conquête de l’Ouest. Ty Taylor, leur jeune chanteur acrobatique à la voix sweet soul-Sam Cooke, en fait trop mais, c’est sûr, ils captent l’attention.

Lady Bianca (chant, piano) : elle plait dans ses tenues criardes et par son jeu lounge-gospel. Ses longs talking blues se situent bien dans la tradition descriptive d’une certaine société afro-américaine.

Brother Yusef
Super Chikan, Laura “La La” Craig
Vintage Trouble
Lady Bianca

Mindi Abair & The Boneshakers : LA découverte, le choc total ! Taille mannequin, une sacrée présence, voix et blondeur nashvillienne, elle époustoufle à l’alto dans une sorte de fusion mélodieuse blues rock jazzy (formation académique et long parcours artistique), grâce au soutien sans faille du groupe de Randy Jacobs. Ce sont les Larkin Poe du saxophone ! De plus, leurs compos serrées font sens (That’s pretty good, for a girl) et leurs reprises assez peu courantes (Get it on, de Ike & Tina) ou le superbe Voodoo Chile d’Hendrix, en version acoustique appalachienne, cigar box et jew-harp compris. Ils feraient un malheur dans nos festivals. Autre activité de Mindi Abair : son mari est viticulteur et au cours d’une masterclass sur les vins californiens, elle accompagne en solo les différentes saveurs.

Willie K. & The Warehouse Blues Band (chant, guitare, mandoline) : bluesman de Hawaï, il est stylistiquement touche-à-tout mais ne me touche pas dans ses titres passe-partout.

Ronnie Baker Brooks (chant, guitare) : c’est le chouchou des croisiéristes, soit dans son propre set blues incisif et très dynamique, soit comme accompagnateur complémentaire qui, incontestablement, apporte alors un plus à la vedette, même chez Latimore.

Keb Mo’ (chant, guitare harmonica) : son folk blues avec harmonica en rack ne m’émeut pas.

Tommy Castro & The Painkillers : autre favori (chant, guitare) réclamé à chaque édition. Et pour cause : il est tellement populaire que ses trois sets sont pratiquement constitués d’envies du public, qu’il satisfait avec bonne humeur et un solide sens de l’efficacité. Jamais de dérives sonores ou de maniérismes superflus. C’est droit au but et sans bavure.

Mindi Abair
Mindi Abair & the Boneshakers
Willie K. & The Warehouse Blues Band
Tommy Castro
Tommy Castro, Ronnie Baker Brooks

Mr. Sipp (chant, guitare) : soul blues de style Malaco en plus rock. Longues envolées crescendo, sens de l’action- détente à la Buddy Guy. Un autre favori des festivaliers.

John Primer (chant, guitare) & Steve Bell (harmonica) : l’évolution positive du fils de Carey à l’harmonica me ravit à chaque prestation. En duo complice semi acoustique avec le vétéran de Chicago, qui a la bonne idée de marquer le tempo sur un support amplifié, les bonnes vieilles scies retrouvent fraîcheur et leurs racines.

Dawn Tyler Watson (chant) : À la tête d’un orchestre cuivré, la chanteuse canadienne vise les succès R&B d’Etta James. Elle y est crédible.

Corey Ledet Zydeco Band (chant, accordéon) : orchestre type de la famille Ledet, plus cajun que zydeco, Sax complémentaire mélodieux dans les longs solos d’accordéon, guitare et frottoir, parfaits pour les danseurs, un peu monotone à l’écoute seule.

Antony Paule’s Soul Orchestra : au fil des ans, ce guitariste swing blues de San Francisco s’est spécialisé dans la soul memphisienne (cf. ses participations successives au festival de Poretta) et soutient admirablement un Wee Willie Walker (chant) qu’il a relancé et Terrie Odabi (chant). Impeccables.

Dawn Tyler Watson
Corey Ledet Zydeco Band
Anthony Paule
Anthony Paule, Terrie Odabi
Anthony Paule, Wee Willie Walker, Terrie Odabi

D’Mar & Gill : leur CD est passé inaperçu, pas leurs prestations. Le spectaculaire batteur Derrick “D-Mar” Martin – il saute au-dessus de ses fûts – allié à Chris Gill (chant, guitare) sont parfaits pour créer une ambiance chaleureuse et festive, rejoints, bien sûr, par d’autres musiciens jammeurs.

Christone “Kingfish” Ingram (chant, guitare) : en quelques années seulement, ce tout jeune prodige mississippien est devenu une vedette qui fait vibrer à chaque envolée. Malgré sa corpulence, il n’hésitera pas à parcourir le public serré ou à monter dans les coursives. Il a réellement touché le public de Stevie Ray Vaughan.

Rick Estrin & The Nightcats feat. Fillmore Slim : la virtuosité instrumentale, le bagout nasillard, les gags et ses vignettes ironiques ravissent à tous les coups. Son groupe est de la dynamite, avec un imbattable Kid Andersen (guitare), maître en guitare roots électrique (Freddie King, T-Bone, Tiny Grimes ou les spécialistes surf n’ont aucun secret pour lui). En invité, l’ancien mentor-taulier-souteneur ami d’Estrin, Fillmore Slim, redevenu chanteur de soul blues à la voix limitée (84 ans, tout de même). Heureusement, des cuivres et un bassiste musclent le répertoire convenu (B.B. King et James Brown ne sont pas à sa portée) et leurs costumes rétros chatoyants font le reste. Son harmonica occasionnel est sympa.

Non prévue ni annoncée, une sorte de “basement session” s’installe un soir derrière un rideau. Signalée par de brefs réglages d’harmonica, la balance concerne Estrin, la plupart des Nightcats et le claviériste de Castro. Le concert improvisé commence, la tenture est tirée, les quelques sièges rapidement occupés et Alabama Mike (chant, harmonica) tient le haut de la mini scène. Keeshea Pratt (chant), hilare, se fera draguer à la Bobby Rush par le bluesman entreprenant. Que du bonheur musical pendant un set complet !

D’Mar & Gill
Fillmore Slim, D’Mar, Rick Estrin
Corey Ledet, Christone “Kingfish” Ingram
Kid Andersen, Rick Estrin, Alabama Mike
Kid Andersen, Brian Templeton
Keeshea Pratt, Kid Andersen, Alabama Mike


Mike Zito Big Band
: je ne suis pas très fan du guitariste texan mais là, avec des anciens de “Gatemouth” Brown et des arrangements swing, je craque. En revanche, son invitée ponctuelle, Diana Rein (chant, guitare,) ne fait pas le poids du tout, même en jams.

Taryn Donath Duo : autre découverte ! Cette jeune pianiste-chanteuse tatouée au look rétro ‘50s déménage son clavier avec une inventivité étonnante puisée dans le boogie, le rock’n’roll et… le jazz soul de Ramsey Lewis-Mose Allison ! Je suis resté scotché à toutes les prestations du duo, son batteur Matt Taylor la suivant note à note dans une sorte de style free.

Kelly Finnigan & The Atonements : de la soul urbaine crédible, avec cuivres et choristes ! Pas trop mon genre – ici, il vise Delbert McClinton – mais quelle voix soul mature !

Taj Mahal (chant, guitare, banjo, claviers) : trônant comme une sorte de patriarche, de figure tutélaire, le vétéran multi-instrumentiste propose d’une voix chaude, un peu éraillée, un blues traditionnel dont il revisite les structures grâce à des arrangements doux et ensoleillés de Caraïbes. Qui d’autre fait jouer un lap steel hawaïen – il sera de toutes les jams – ou donne du champs instrumental à un sax soprano doublant au vibraphone ? Et l’assise basse du batteur arrondit la rythmique. Cette approche chaloupée en fait le favori des cruisers.

Tab Benoit (chant, guitare) : je le trouve toujours trop rock sauf quand il explore ses racines Sud Louisiane : alors il fait preuve d’originalité.

Latimore (chant, claviers) : son style soul blues chaleureux et laidback incite à la tendresse et plus si affinités. Quand il déclare son amour des bluesmen comme Muddy ou Albert King, son clavier branché guitare en reprend les sonorités. L’ajout roboratif de Ronnie Baker Brooks (guitare) rehausse encore ses succès. Le groupe d’Anthony Paule, Lady Bianca et quelques autres l’entoureront pour fêter ses 60 ans de carrière.

Taryn Donath
kelly finnigan and the Atonements
Taj Mahal
Tab Benoit
Latimore
Latimore, Ronnie Baker Brooks
Tommy Castro
Kid Andersen, Rick Estrin
Rick Estrin, D’Mar, Fillmore Slim
Mindi Abair & the Boneshakers
Bernard Purdie
Taryn Donath
Steve Bell, John Primer

Si les jams des amateurs à même le sol du Crow’s Nest sont souvent décevantes, leurs chanteuses-animatrices méritent davantage le détour : Michele Lundeen et Barbara Blue, gouaille Memphis en prime, capables d’entraîner le premier impétrant venu. Et quand un Chris Gill (guitare) ou un Bernard “Pretty” Purdie (batterie) officie et porte le candidat, celui-ci peut s’y croire…

N’espérez pas vous inscrire aux deux prochaines éditions de 2020 : elles sont déjà complètes. Les réservations sont ouvertes pour 2021 ! Retour à San Diego et fin du rêve éveillé. Non ? Il me reste la plage du prestigieux hôtel historique Del Coronado où furent tournées les séquences les plus hilarantes du film Certains l’aiment chaud. Je vais donc fouler le sable de Marilyn…

Texte et photos : André Hobus

André HobusbluescruiseLegendary Rhythm & Blues Cruise