;
Live reports / 16.02.2018

Lee Fields & The Expressions

Une vingtaine de minutes les yeux rivés sur le rideau rouge, quelques sifflets d’impatience et voilà enfin les lumières qui fléchissent. Si vous avez l’habitude de ces colonnes (ou des concerts de Lee Fields), vous devinerez qu’au levé de rideau, la scène est traditionnellement occupée par The Expressions au complet : sax ténor et trompette à gauche, couple basse-guitare à droite, batterie, piano à queue et orgue en retrait au centre.

Les costumes sont ajustés, bleu nuit de rigueur pour cette soirée parisienne, et c’est l’attaque direct par un instrumental de circonstance. Musiciens érudits aux références plurielles, les Expressions optent ce soir pour le swingant Grazzing in the grass. Titre aux accents jazz et au riff percutant signé par Hugh Massekela en 1969. Un hommage évident au maestro sud-africain disparu à l’âge de 78 ans en début de semaine. Il commence pas mal ce samedi soir. Un deuxième instru et le micro du bassiste qui résonne pour annoncer la star du soir. La salle exulte (tout du moins dans la fosse, un peu moins au balcon) et c’est un Lee Fields scintillant qui déboule sur la scène. Chemise blanche à volants froufrous, veste dorée, pantalon de smoking et talonnettes.

 

 

 

 

À l’image des récentes prestations du groupe, c’est sur I’ m coming home que Lee ouvre le bal. Sur cet exercice mid tempo aux phrases de guitares tout en souplesse, le chant parfaitement équilibré de Fields est impeccablement soutenu par la justesse de l’orchestre. Work to do, suite logique avec sa construction digne des meilleures ballades de soul sudiste, lui permet de démarrer ce set avec intensité et amusement. Pour le plus grand plaisir de la salle et celui des photographes, il prend la pose et arpente la scène d’un bout à l’autre. Invitant rapidement le public à frapper dans ces mains, la poursuite de cette offensive soul aux légers accents funk (que porte le couple basse-batterie) continue avec un répertoire pioché majoritairement dans le dernier opus.

 

 

 

 

Entre deux titres, Lee Fields titille ses musiciens sur les capacités du public parisien (un déjà vu à Toulouse relaté par notre confrère Hugues Marly). « Hey guys, do you feel these good looking people got soul? » Réponse du sax ténor et du bassiste : « I don’t know Lee, I’m sure they do! » Un petit rituel théâtralisé qui n’enlève rien à la prestation et au niveau musical de la soirée. La question finit par être posée aux intéressés eux-mêmes qui dans un bruyant rugissement hurlent que oui, they got soul !

 

 

 

 

Et la fosse répondant du tac au tac en chaloupant sur Lover man ou une entraînante version de ce que je crois être How I like it, et son riff d’orgue accrocheur. Depuis le début de la prestation, l’intensité des morceaux comme la chaleur de la salle et la clameur du public se sont accrues. En vieux routier de l’entertainment, Lee Fields semble capter ce moment et décide qu’il est grand temps pour une petite soul train line. Bonne idée puisqu’en deux temps trois mouvements une dizaine de spectateurs et spectatrices ont l’autorisation de grimper sur la scène afin de se prêter à l’exercice. Selfies à gogo, déhanchés risqués et larges sourires. Puis, tout le monde redescend à la fin du titre, un des plus énergiques de la soirée par ailleurs.

 

 

 

Petit pincement au cœur quand Fields évoque la disparition de ses compagnons musiciens aux carrières somme toutes parallèles à la sienne. Les noms de Charles Bradley et de Sharon Jones sont dignement applaudis, puis viendra le moment de jouer Time, nouveau titre déjà dévoilé en ligne à l’automne dernier qui, selon les dires du patron, figurera sur le prochain épisode studio. On approche doucement de l’heure et quart de concert, Lee Fields ruisselle de sueur et n’a toujours pas tombé la veste.

 

 

 

Les premiers accords du déchirant Faithfull man résonnent. La version proposée ce soir, avec ces arrangements simples et direct (pas de chœurs, peu de cuivres) est d’une ferveur qui vous rappelle illico que vous avez fait le bon choix d’être là plutôt qu’ailleurs. Rallongée de quelques minutes par rapport à la version studio, Fields donne tout dans son interprétation : fièvre, vécu et passion qui engloutissent jusqu’aux sièges du balcon où tout le monde s’est finalement levé. La salle et deux gars derrière moi jubilent et finiront, comme beaucoup, par s’époumoner sur l’incandescent refrain. On souffle, on s’essuie le front, les larmes peut-être pour certains, et c’est l’heure fatidique des adieux.

 

 

 

Je prends les paris avec mes nouveaux copains de derrière pour le tubesque Lady en rappel. Ils l’entament à deux voix aussi sec (avec brio, chapeau les gars) mais c’est finalement le fédérateur Make the world (better, if we work together…) qui s’imposera, naturellement j’allais dire. Une heure trente porte à porte (levé de rideau-fin du rappel). On en voulait plus, mais l’Olympia se rallume. Vivement la prochaine fois.

Jules Do Mar
Photos © Wilfried-Antoine Desveaux