Jazz Celebration 2024, Théâtre du Châtelet, Paris
09.10.2024
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20 mai 2024.
En ce lundi de Pentecôte orageux, je plonge juste à temps dans la marmite de la Maroquinerie pour entendre quelques minutes du set de Brainstory. Le batteur Eric Hagstrom se lance dans un solo, appuyé par Tony Martin à la basse, pendant que son frère Kevin (Martin) change une corde de sa Gretsch. Le public répond bien à cette improvisation et salue le retour du guitariste-chanteur qui impressionne par sa précision dans un registre jazz, alors qu’il applique au micro des couches de sweet soul ensoleillée et psychédélique. Le public semble en vouloir plus, mais ça tombe bien, les trois musiciens de Brainstory composent une fraction non négligeable du groupe de Lady Wray.
Mme Nicole Wray se présente donc au public parisien coiffée d’un beau béret rose à la Emily in Paris, sur un arrière-plan d’éclairages en dentelle. Elle invite le public à prendre sa place dans son set et à s’installer. Quand elle chante Come on in, l’hospitalité semble sincère. Sur Piece of me, elle tend le micro au public, qui semble bien connaître les deux albums de la dame, parus sur Big Crown. Les chœurs de JT (qui est aussi aux claviers) et de Lola Adana se font remarquer. Quelques instants après, Lady Wray redevient Nicole en nous « ramenant en 98 », introduisant son morceau par une litanie de noms de la scène hip-hop de l’époque, dont bon nombre ont malheureusement passé l’arme à gauche. Au moment de “Make It Hot”, Nicole avait 17 ans et était accompagnée de Missy Elliott et de Mocha. Les frérots de Brainstory s’éclatent. Il n’y a pas grand-chose de plus fun qu’un morceau de hip-hop bien pensé joué en live avec des instrumentistes compétents.
Lady Wray introduit le prochain titre, Guilty, en expliquant qu’elle l’a écrit pour son frère Kenny : « J’allais pas l’aider à s’enfuir de la prison, je me serais retrouvée moi-même en prison, et il y a pas moyen que j’aille en prison. Alors j’ai écrit cette chanson. » Cette petite plaisanterie lancée avant l’interprétation d’un morceau particulièrement touchant est à l’image de la performance de Lady Wray ce soir-là : elle joue sur son caractère sympathique, son humour, son autodérision, plus que sur l’émotion de l’interprétation – par ailleurs impeccable – pour tisser le lien avec son public. En performeuse chevronnée, elle demande au public si une personne fête son anniversaire ce soir, et se met à servir un « Haaapyy beuuueuaahrthdayayayayaayay tooo youHOUou-ouwouhou! » bien dégoulinant de crème à une bienheureuse Alice, visiblement ravie. Il faut dire que c’est carrément plus agréable que quand trois loufiats vous apportent un fondant au chocolat surmonté d’une bougie sur fond de Stevie Wonder à l’Hippopotamus.
Sur Beauty in the fire, elle donne des coups de bâton avec son micro pendant que Kevin Martin se la joue Fenton Robinson sur sa Gretsch. Elle donne de la place à Lola Adana, dont les interventions sont toujours impressionnantes et appréciées par le public. Le choriste-claviériste JT ne sera pas en reste, prenant le public par surprise avec une intervention vocale angélique. Nicole Wray fait participer son public, sautille comme un lutin, donne le mouvement, lance des « HEeey… HOoo ». Les musiciens s’enflamment et la Lady retire ses pompes avant de se lancer dans un Make me over tout à fait réussi, enchaîné avec Underneath my feet, qui a pris une saveur presque garage rock et marquera la fin du set, enfin presque, puisque les plus perspicaces auront remarqué que les chaussures de la dame étaient restées sur scène.
Le concert se terminera sur le morceau Melody dédié à sa fille, ballade accompagnée par Kevin Martin qui y démontre sa compétence en fingerpicking, sur fond de chœurs et de claquements de doigts. On s’extirpe de la marmite parfaitement repu, heureux d’avoir passé un moment de pure détente en compagnie d’une artiste aussi sympathique en live que ses albums sont brillants.
Texte : Benoit Gautier
Photos © Fouadoulicious