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Brèves / 15.02.2016

L. C. Ulmer, 1928-2016

Ce 31 janvier 2015, l’heure est venue de se quitter après une ultime séance de photos à l’hôtel du Palais. Nous sommes à Angoulême, en plein festival de la bande dessinée. La veille, grâce en particulier à l’initiative de Jean-Michel Dupont, auteur avec Mezzo de la superbe BD Love in Vain aux éditions Glénat, Christone « Kingfish » Ingram et L. C. Ulmer, le temps d’une date unique en Europe – et d’une première venue sous nos cieux –, ont donné deux concerts inoubliables. Assis à l’avant du minibus qui va l’emmener à l’aéroport, L. C. Ulmer, son visage émacié barré d’un sourire qui ne l’a pas quitté durant son séjour, me prend le bras et me glisse : « Il y aura une prochaine fois. » Compte tenu de ce qu’il a démontré la veille, de sa verve, de sa fougue et de sa fraîcheur de jeune homme, on a aucune raison de ne pas croire le vieux bluesman qui ne fait pas ses quatre-vingt-six ans bien sonnés. Pourtant, il n’y aura pas de prochaine fois. L. C. Ulmer ne reverra pas cette France qu’il qualifiait de « très beau pays, un très beau pays où il fait bon se trouver… » Car à peine plus d’un an après cette rencontre, L. C. Ulmer s’est donc éteint hier 14 février 2016 à l’âge de quatre-vingt-sept ans.


© : Sandra Ruchat G.

Né Lee Chester Ulmer le 28 août 1928 à Stringer au Mississippi, il est issu d’une famille de quatorze enfants. Au début des années 1930, la fratrie Ulmer vit sur une plantation près de Moss Hill, et le jeune Lee Chester se trouve vite au contact de musiciens, apprenant la guitare à l’âge de neuf ans. L’adolescent écoute d’abord les disques d’illustres pionniers du blues incarnant divers horizons (Blind Lemon Jefferson au Texas, Blind Boy Fuller sur la côte Est, Tampa Red à Chicago, Peetie Wheatstraw à Saint-Louis), autant de registres qu’il saura assimiler pour se forger un style hautement personnel directement inspiré du blues originel. Mais sa première grande influence est le chanteur et guitariste de gospel et de blues Blind Roosevelt Graves, qu’il verra en allant rendre visite à l’une des sœurs à Laurel. Il s’en inspirera grandement pour son propre jeu de slide. Après avoir joué localement dans les rues ou lors de soirées, Ulmer entame ensuite une longue vie d’itinérances qui vont le conduire dans de nombreuses régions des États-Unis.


© : bdangouleme.com

Travaillant en Louisiane puis au Mississippi sur des chantiers de construction de voies ferrées, il s’installe en 1949 à Kansas City et se consacre de plus en plus à la musique. Dans la première moitié des années 1950, il joue de la guitare dans des formations de gospel et apparaît ponctuellement dans le groupe de J. B. Lenoir lorsque celui-se produit loin de Chicago. Mais il ne parvient pas à vivre de la seule musique, et entre petits boulots et concerts en soirée, son parcours difficile à suivre le mène successivement en Floride, à Cuba (si, le temps d’un voyage au service du capitaine d’un bateau !), en Arizona, enfin en Californie où il semble se stabiliser chez une de ses sœurs en 1957. Il n’en est rien et Ulmer, qui n’a évidemment pas le temps d’enregistrer quoi que ce soit, reprend la route pour cette fois le Canada et l’Alaska…

Mais vers le milieu des années 1960, après un bref retour au Mississippi, il arrive à Joliet, une lointaine banlieue de Chicago située à quarante kilomètres du centre de la plus grande ville de l’Illinois, où il va cette fois résider durant… trente-sept ans ! Il travaille essentiellement dans le bâtiment mais décide aussi de prendre sa carrière musicale à bras-le-corps, n’hésitant pas à se transformer en one man band. Une expérience qui lui donne aussi l’occasion de rencontrer les meilleurs bluesmen de Chicago, et qu’il évoquait ainsi l’an dernier dans l’interview qu’il m’a accordée dans le numéro 218 de Soul Bag : « Je me suis vraiment mis à la musique, en one man band pendant quarante ans, je jouais de tous les instruments, tous m’appartenaient, je n’avais besoin de personne… J’ai pu jouer avec de très nombreux bluesmen dont Muddy Waters, Howlin’ Wolf, Jimmy Reed, et d’autres encore dont j’ai oublié les noms… ah oui, Elmore James et Little Walter aussi ! »


Ultime photo à Angoulême le 31 janvier 2015. © : Véronique Dupont-Moreau

Après avoir retrouvé son Mississippi natal en 2001, alors qu’il a désormais soixante-treize ans, L. C. Ulmer se dédie pleinement à la musique, trimballant sa guitare, son harmonica et sa bonne humeur dans les principaux festivals du pays, et ce jusqu’à Chicago. Il entreprend même une tournée européenne en 2007 mais ne vient pas en France. Grâce aux producteurs Roger Stolle et Jeff Konkel – ce dernier qui était du voyage à Angoulême lui permet également d’enregistrer quelques titres pour son label Broke & Hungry –, L. C. Ulmer apparaît dans leur remarquable documentaire M for Mississippi (2010), notamment récompensé par un Blues Music Award et un Living Blues Award. Deux ans plus tard, les Néerlandais Maarten Schmidt et Thomas Doebele lui permettent de s’exprimer le temps d’un témoignage poignant dans un film également très réussi, Times Like Deese. Entre-temps, en 2011, il avait enregistré un album, « Blues Come Yonder ». Peu connu du grand, public, totalement désintéressé – « Je ne chante pas du blues pour quoi ou qui que ce soit, même si c’est Dieu qui me l’a appris. J’ai mis mes mots sur ce que j’ai entendu, ajouté mon propre langage quand je me produis. » –, L. C. Ulmer était pourtant un bluesmen original et talentueux, mais surtout un témoin et l’un des derniers acteurs du blues originel. Et pour conclure en musique, ci-dessous une une vidéo extraite du fameux concert d’Angoulême le 30 janvier 2015.
Daniel Léon