Les temps changent… L’époque n’est plus aux paillettes ni aux déballages d’ego mais plutôt aux disques sombres, introspectifs, des albums de crise où l’essentiel l’emporte sur le superflu. Une conjoncture propice à la soul donc – ce pansement de l’âme – et à l’émergence de personnalités atypiques. Après dix ans passés au sein des Monophonics, Kelly Finnigan n’en est certes pas à son coup d’essai mais son premier album solo lui permet de franchir une nouvelle étape. C’est évident dès le titre d’ouverture (I don’t wanna wait), petit bijou de soul torturée, nimbée de chœurs doo-wop et déchirée par une ligne vocale spectaculaire.

Stylistiquement, Kelly évolue dans les mêmes eaux que son ancien combo : une soul symphonique d’obédience fin ’60s-début ’70s, saupoudrée d’influences psychés (l’orgue à la Ray Manzarek, les arrangements torves à la Morricone) et sous-tendue de claviers électriques baveux, de guitares qui claquent et de cuivres staxiens. La production expressionniste renforce le caractère dramatique des morceaux, surjouant la reverb ou les saturations vocales, rappelant ces singles Hi dans lesquels Ann Peebles ou Syl Johnson plantaient les vumètres dans le rouge.

Les chansons, pour la plupart en mode mineur, sont somptueuses, toutes entières consacrées au chagrin (I’ll never love again), à l’autodestruction (Smoking and drinking) ou à l’appel au secours (Catch me I’m falling). Mais c’est surtout la voix de Finnigan qui fait de “The Tales People Tell” un très grand album, une voix multiple qui louvoie entre rugosité mâle et falsetto maladif (Since I don’t have you anymore). Une schizophrénie émotionnelle qui ressasse tous les symptômes du dépit amoureux : la beauté dans la souffrance, à l’image de Everytime it rains, bouleversante ode aux cœurs brisés dans laquelle se reconnaîtront ceux qui aiment sans l’être en retour.

Ulrick Parfum

Note : ★★★★★ (Le Pied!)
Label : Colemine
Sortie : 26 avril 2019