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Live reports / 03.08.2014

Keb’ Mo

C'est devant une salle bondée et un public acquis à sa cause que Keb' Mo est venu présenter son nouvel album, “BLUESAmericana”, sur la scène du New Morning à Paris. Une bonne nouvelle n'arrivant jamais seule, Keb' avait convié pour l'occasion (ainsi que pour l'ensemble de sa tournée européenne) trois instrumentistes-choristes aux cv 24 carats : Michael B. Hicks aux claviers (Buddy Guy, Jonny Lang, Steve Jordan…), Stan Sargeant à la basse (Bobby Caldwell, Jazz Crusaders, Dolly Parton…) et Casey Wasner à la batterie (co-producteur de “BLUESAmericana”).

On ne comprend rien à l'art de Keb' Mo tant qu'on ne l'a pas vu en concert. C'est là et nulle part ailleurs que son blues teinté de country, de funk et de pop prend tout son sens. Et si ses disques peuvent sonner surproduits, ou accumuler trop de ballades FMisantes, ses chansons, une fois dépouillées de leurs artifices de production, distillent un charme contre lequel il est bien difficile de résister. D'autant que Keb' Mo, décontracté, tout sourire, avait pris le parti de prendre du bon temps (et d'en donner !), bousculant à sa guise la set-list initialement prévue et s'amusant beaucoup de l'effet de surprise que cela occasionnait chez ses musiciens.

 

 


Keb' Mo, Casey Wasner, Stan Sargeant

 

Nous eûmes donc droit à un programme varié : titres tirés du dernier album, qui trouvent sans problème leur place dans le répertoire (The worst is yet to come, Somebody hurt you, I'm gonna be your man), extraits du fameux premier album Epic (Am I wrong, prise sur un tempo plus lent que la version studio, dans une formule dobro-batterie où Keb' démontra de façon magistrale tous ses talents de rythmicien), l'hymne A brand new America, écrit en 2008 pour célébrer la victoire d'Obama et jouée à la demande d'une admiratrice qu'il fit monter sur scène et qui expliqua combien ce morceau était important à ses yeux.

D'un point de vue stylistique, l'orchestre alterna shuffles, blues binaires syncopés (le fameux “rythme Keb' Mo”, constitué de riffs serpentant autour d'une batterie métronomique), ballades (un peu trop nombreuses à mon goût…), funks relax (mais pas dénués d'intensité), slow blues, ragtimes acoustiques, effluves reggae, refrains accrocheurs à consonances pop…

Keb' Mo est un chanteur prenant, à la belle voix grave et timbrée, légèrement voilée. C'est aussi un guitariste extrêmement fin qui sait varier les plaisirs, alternant guitare électrique jouée au médiator (rythmiques et chorus note à note), finger picking acoustique (sa spécialité) ou dobro slidé. Nous eûmes même droit à un solo d'harmonica (pas mémorable, mais sympathique quand même !), à quelques pas de danse (à 62 ans, on lui donnerait quinze de moins…) et à plusieurs apartés pleins d'humour et de sagesse.

 

 

Car c'est aussi ça que l'on retient de ce concert : la personnalité attachante d'un leader à l'autorité naturelle qui ne ressent jamais le besoin d'appuyer son leadership sur le dos de ses accompagnateurs. Résultat : ses musiciens, tout en lui témoignant beaucoup de respect, exsudent un plaisir de jouer vraiment communicatif. Ils n'hésitent pas à prendre des risques (les accords jazzy de Michael Hicks) ; leur complicité est patente. Et quelle mise en place ! Quelle musicalité ! L'assise du bassiste Stan Sargeant est impressionnante ; les nappes d'orgue de Michael Hicks rougeoient tel le soleil un soir d'été ; quant à Casey Wasner, avec son set limité au strict nécessaire (une caisse claire, une charley, une cymbale et une grosse caisse), il donne une leçon à tous ces batteurs qui pensent que virtuosité rime forcément avec accumulation d'éléments. Il fallait aussi le voir prendre du plaisir à écouter l'interprétation solo donnée par Keb' Mo de A brand new America, les yeux fermés, en train de mimer les paroles et applaudir tel un spectateur à la fin du titre !

 


Stan Sargeant

 


Michael B. Hicks

 

Au final, donc, plus de deux heures d'un concert généreux, bien construit, varié et d'une très haute exigence artistique. Détail révélateur : au moment de quitter des spectateurs en nage après un rappel funky chaud bouillant, ce sont les quatre musiciens qui saluent et se font acclamer par le public. Ensemble. Et c'est amplement mérité.

Ulrick Parfum
Photos © Fouadoulicious