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Interviews / 07.03.2020

Kaz Hawkins, par la force du chant

En duo, avec son groupe ou avec son spectacle hommage à Etta James, la chanteuse irlandaise Kaz Hawkins s’est rapidement imposée comme une présence régulière sur les scènes blues françaises. Désormais installée en France, et alors qu’elle entame une tournée, retour sur un parcours marqué par la détermination d’une artiste qui n’a pas l’intention de renoncer à son indépendance d’esprit.

Quels sont vos premiers souvenirs musicaux ?

Je crois que c’était les Eagles, leur musique passait toujours à la maison le week-end, et j’aimais leurs harmonies vocales. J’apprenais les différentes parties dans ma tête, et ensuite je les chantais en écoutant le disque et en me regardant dans le miroir avec ma brosse à cheveux comme toutes les petites filles. C’était une bonne façon d’échapper à la folie de l’Irlande. 

Comment avez-vous découvert vos propres talents musicaux ?

Ma Grand-mère m’a emmenée à une audition pour la télévision quand j’avais 12 ans, où j’ai chanté Once I had a secret love de Doris Day. Le directeur musical lui a dit de me faire écouter Etta James, et elle m’a trouvé une cassette sur laquelle Etta chantait St Louis Blues [Etta James a enregistré le titre de WC Handy sur son album de 1974, “Come A Little Closer”]. Je ne le savais pas à ce moment-là mais cela allait déterminer mon futur dans la musique. Il a fallu attendre 2010, quand mon propriétaire m’a offert une vieille guitare acoustique Tanglewood, pour que j’apprenne quelques accords. J’ai alors été capable de transformer mon journal en chansons. J’avais aussi écrit des poèmes en secret, et c’est de là que mes premières chansons sont venues. 

Pendant deux décennies, vous avez chanté dans des groupes de reprises. Quels sont vos souvenirs de cette période ?

Les groupes de reprises étaient une nécessité mais c’est un piège dans lequel il est facile de tomber. Je jouais dans des clubs durs, où se produisaient des bagarres et des descentes de polices, donc il fallait être solide pour supporter ça. Une fois, j’étais en train de charger le matériel dans mon van quand une bagarre a éclaté devant le bar où j’avais joué. C’est devenu tellement violent que j’ai été balancée sous le van et que j’ai dû y rester jusqu’à ce que la police intervienne. Mon partenaire m’a pris entre quatre yeux et m’a dit : « Tu vaux mieux que ça. » Alors j’ai arrêté ces concerts de reprises. C’est la meilleure décision que nous ayons prise, car elle m’a permis de me concentrer à 100 % sur ma propre musique. Je n’ai pas vraiment choisi le blues en tant que genre. J’aime le feeling du blues, mais ce que je joue n’est certainement pas du blues en douze mesures. En fait, la plupart de mes chansons ne sont pas vraiment des blues, je suis une autrice-compositrice-interprète avant tout. J’ai seulement vécu le blues et je suppose que ça s’entend dans ma musique.

© Albane de Roffignac

“J’ai perdu ma maison pour financer mon premier album.”

Kaz Hawkins

Vous avez autopublié vos trois albums. Est-ce que l’indépendance était un choix ou la conséquence de l’état du business musical ?

J’ai commencé en tant qu’indépendante parce que personne ne me connaissait et, comme j’étais plus âgée, il n’y avait pas l’aide à laquelle les jeunes ont accès aujourd’hui. Je pensais qu’un contrat avec une maison de disques était impossible ! Depuis, j’ai décliné différentes propositions de maisons de disques. Je crois que les choses arrivent quand elles le doivent, mais pour l’instant, j’apprécie d’être indépendante, surtout maintenant que j’ai une super équipe à On The Road Again. Cela veut dire que je peux plus me concentrer sur l’aspect créatif, et ils me soutiennent là-dessus. J’ai perdu ma maison pour financer mon premier album, “Get Ready”, je suis devenue sans abri et j’ai fini par vivre dans mon van et chez des amis. La plupart des gens pensaient que j’étais folle et me disaient de retourner dans les groupes de reprises pour payer les factures, mais j’ai continué à me battre. Je ne peux plus écouter ce disque, mais je suis fière d’avoir fait le sacrifice, cela m’a permis d’arriver où je suis. Je vais bientôt enregistrer mon quatrième disque, qui sortira en France en 2021, et j’ai conscience des pièges et des erreurs que j’ai fait auparavant. 

L’année dernière, vous avez présenté un spectacle hommage à Etta James au Cognac Blues Passions, que vous interprétez maintenant régulièrement. Qu’est-ce qui vous a inspiré pour créer ce show ?

J’ai toujours rêvé de créer un spectacle en souvenir d’Etta James, et quand Michel Rolland [directeur du festival Cognac Blues Passions] m’a proposé de monter un spectacle neuf pour Cognac, j’ai tout de suite su que c’est ce que je voulais faire. Michel m’a donné carte blanche et j’ai été très touchée de sa confiance. La vie d’Etta a de nombreux points communs avec la mienne. J’ai vu et ressenti sa souffrance quand elle chantait. Même si j’étais très jeune, je connaissais cette sombre douleur. Elle était drôle, excentrique, forte mais vulnérable. C’est un honneur de contribuer à célébrer ce que ‘elle a apporté au monde de la musique. 

© Frédéric David

“La vie d’Etta James a de nombreux points communs avec la mienne.”

Vous êtes désormais installée en France… Est-ce que le public ici est différent de celui de votre pays d‘origine ?

Très différent, en effet. Le Royaume-Uni et l’Irlande se battent pour que les salles de concerts survivent, tandis qu’en France la musique, la culture et les arts sont plus soutenus, ce qui fait que plus de gens viennent au spectacle. C’est peut-être un cliché de dire que la passion des Français est unique, mais c’est la réalité et c’est important pour une artiste comme moi. Je me souviens de mon premier public français, quand j’ai joué en duo au [festival] Blues autour du Zinc. Je n’oublierai jamais tout l’amour que j’ai reçu ! Quand je joue en France, j’ai l’impression d’être à la maison, je peux me laisser aller sans être embarrassée par ce que je fais sur scène. Il y a beaucoup de confiance entre nous et surtout tellement d’amour. C’est pour ça que j’ai déménagé ici. Je suis très honorée que les Français m’aient fait une place dans leur cœur. J’adore l’humour français : en tant qu’Irlandaise, j’aime rire, faire des blagues et m’amuser, le monde est tellement triste parfois, donc quand je commence à rire avec mes fans français, impossible de nous arrêter ! Ils ont été si patients avec mes efforts pour apprendre la langue, donc je suis impatiente de pouvoir leur parler en français depuis la scène ! 

Propos recueillis par Frédéric Adrian en février 2020.
Photo d’ouverture © Frédéric David

Concerts
• 7 mars : Festival Coup of Blues, Cholet
• 8 mars : (en duo) Saint-Agathon
• 14 mars : Festival Jazz à Toute Heure, St-Remy-lès-Chevreuse
• 3 avril : Lac In Blue Festival, Annecy
• 24 avril : Beautiful Swamp Blues Festival, Calais
• 15 juillet : Cahors Blues Festival

Etta JamesFrédéric AdrianFrédéric DavidKaz Hawkins