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Live reports / 30.05.2023

Kahil El’Zabar Quartet, La Dynamo, Pantin

22 mai 2023.

Paru en 2022, l’album “A Time For Healing” gravé avec son quartet a permis à Kahil El’Zabar – qui se prépare à entrer dans sa cinquantième année de carrière – de conquérir un plus large public, avec des ventes plus élevées qu’à son habitude – soit 10 000 exemplaires, d’après lui.

Vétéran depuis les années 1970 de la scène jazz de Chicago, membre éminent de l’Association for the Advancement of Creative Musicians (AACM), le percussionniste, qui a enregistré plusieurs dizaines d’albums sous son nom et avec ses différents ensembles, dont le plus connu est l’Ethnic Heritage Ensemble, semble garder une distance ironique avec cette nouvelle popularité, qui ne l’empêche pas de poursuivre sa carrière à son rythme – un nouvel album de l’Ethnic Heritage Ensemble, “Spirit Gatherer – Tribute To Don Cherry”, est sorti il y a quelques mois. C’est néanmoins “A Time For Healing” qui est au programme ce soir, et deux des trois musiciens qui l’accompagnent, le trompettiste Corey Wilkes et le clavier Justin Dillard – qui porte un beau t-shirt à l’effigie d’Aretha Franklin et joue de son instrument directement posé sur ses genoux ! –, ont participé à l’album, tandis qu’Alex Harding remplace Isaiah Collier au saxophone. Tous trois sont des familiers de la musique de El’Zabar et jouent régulièrement avec lui, et la connivence entre les quatre membres du quartet joue un rôle majeur dans la musique interprétée ce soir. 

Corey Wilkes, Justin Dillard, Kahil El’Zabar, Alex Harding
Kahil El’Zabar

C’est avec le Resolution de John Coltrane – la deuxième partie de “A Love Supreme” – que s’ouvre le concert. El’Zaabar est à la batterie, et le début du titre, pris sur un tempo très rapide, met en avant l’intensité et l’expressivité du jeu de Wilkes et Harding, complété par les cris et vocalisations – non amplifiés – de El’Zabar, avant de se terminer en duo apaisé entre le clavier et la batterie. C’est dans la continuité de cette humeur contemplative que se poursuit le concert avec le morceau-titre de l’album, pour lequel El’Zabar passe à la sanza et les autres musiciens s’emparent de percussions variées. Long de plus de treize minutes sur le disque, la chanson se déploie ici encore plus largement et dépasse largement la vingtaine de minutes, pour un résultat absolument fascinant, qui culmine quand El’Zabar commence à chanter, d’une voix gorgée de soul qui rappelle par moment celle de Terry Callier.

Time IS, un autre titre du disque, poursuit dans la même lancée, avec El’Zabar cette fois-ci au cajón. La richesse et la profondeur des textures qu’il tisse de ses mains, en complémentarité quasiment télépathique avec ses musiciens, qui alternent entre leur instrument principal et des percussions, sont telles que le temps semble comme suspendu dans la salle. El’Zabar revient à la batterie et à un registre plus classiquement jazz pour le final, One world family, extrait de l’album du même nom gravé avec David Murray, avant de se replonger, pour un rappel accueilli aux cris de “merci” de plusieurs spectateurs, dans le répertoire de “A Time For Healing” pour l’hypnotique We’ll get through this, au cours duquel il répète comme un mantra la phrase titre.

 Qu’importe alors s’il faut presser le pas pour ne pas rater le dernier RER : il est exclu de laisser les banalités de la vie quotidienne empiéter sur ce moment de grâce dans lequel toute la salle et les musiciens eux-mêmes semblent pris – le moment où Alex Harding se met à chanter en duo avec El’Zabar semble ainsi impromptu. Quand le concert se termine, après quasiment deux heures de musique, c’est l’impression de sortir d’une parenthèse enchantée, bien loin des réalités d’un lundi soir pantinois, qui prédomine. Le genre de moment qui rappelle pourquoi, malgré tout, il est possible de croire en la musique.

Texte et Photos : Frédéric Adrian


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