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Live reports / 19.03.2024

Joy Oladokun, Badaboum, Paris, 2024

25 février 2024.

Elle a gagné un coup de projecteur l’été dernier, lorsqu’elle faisait les premières parties de la tournée du désormais célèbre Noah Kahan, nouvelle star de la country et idole de la gen z qui découvre le genre. Bien qu’elle partage avec lui deux titres, qui cumulent plusieurs dizaines de millions d’écoutes sur les plateformes, elle n’atteint pas encore la même audience : c’est dans un Badaboum qui n’affiche pas complet qu’on attend Joy Oladokun ce soir. Et quelle erreur pour tous les absents, tant ce concert a été la parfaite éclaircie qui manquait à ce dimanche pluvieux.

Keeping the light on est le premier titre du set. La version acoustique fonctionne bien – étonnamment, se surprend-on à penser, tant cette chanson qui figure sur son dernier album “Proof Of Life” (2023) marque l’incursion de l’Américaine dans une pop indé assez produite, plus éloignée de ses tout premiers morceaux. D’entrée de jeu, le ton est donné : forcée de se concentrer sur l’essentiel – deux guitares qu’elle alterne et une pédale loop – par impossibilité de tourner avec tout son groupe, c’est seule qu’elle vient défendre ce dernier LP. Quand elle se retourne brièvement, on aperçoit l’illustration de Bambi – oui, celui du dessin animé – qui orne le dos de sa veste. On le comprend bien, la soirée sera placée sous le signe de la douceur et de la tendresse.

Les titres qui suivent sont issus de “Proof Of Life“”et de “In Defense Of My Own Happiness” (2021), mais pas de son premier album, le soulful “Carry” (2016), dont les compositions sobres auraient  pourtant pu trouver leur place ce soir.

Sweet symphony a des sonorités moins country en live – dû à l’absence de Chris Stapleton, qui figure sur la version studio –, mais reste l’un des titres les plus marquants de la soirée, comme il l’était déjà sur “Proof Of Life”. Une belle ode à l’amour, universelle et nécessaire : Joy dit plusieurs fois au cours du set à quel point elle a pu se sentir seule, dans sa jeunesse, au lycée ou dans l’industrie musicale, en tant que lesbienne et noire. Nombre de ses textes les plus graves appuient cela, ce soir comme dans ses albums. Alors on savoure ceux qui sont pleinement des témoignages de joie. Les accords arpégés qui ponctuent le refrain et les paroles qui disent l’envie d’être « ensemble dans les hauts et les bas » nous permettent également d’entendre sa seconde guitare, une Fender qui se fait plus rare ce soir. Cette dernière accompagne aussi Sorry isn’t good enough, un titre aux accents blues et à la guitare nerveuse, qui se voit amputé de son dernier couplet lorsque l’Américaine oublie les paroles de sa composition. La prestation est jusque-là si réussie que le public ne lui en tient pas rigueur.

On est un instant surpris lorsque l’on réalise que les derniers accords de Smoke – « une chanson qui parle d’à quel point j’aime fumer de la weed », explique-t-elle – deviennent peu à peu les premières notes de Rocketman. Le tube d’Elton John figure sur la setlist de presque toutes les dates de cette tournée européenne. Chanté par Joy, l’homme spatial se fait planant, suspendu. Il fallait y penser. 

Au cours du set, Joy Oladokun empreinte plusieurs fois les mots des autres, à chaque fois en traçant un lien, qui peut surprendre, mais fait toujours sens, entre ce qu’aborde sa chanson et le titre qu’elle reprend. Avec Bad blood, issu de “In Defense Of My Own Happiness”, elle rappelle son refus du fatalisme. « Bad blood don’t run through my veins », répète-t-elle, avec l’effort certain de quelqu’un qui veut se convaincre soi-même de ce qu’il dit : personne n’est maudit par le sort.  La chanson s’enchaîne avec surprise dans la salle ! la reprise de la chanson de Taylor Swift, Anti-hero. Le single et sa chanteuse ont beau avoir été partout cette dernière année, on jurerait alors que le titre de la superstar pop a été écrit par Joy elle-même, tant Anti-hero semble répondre à la chanson précédente. Une fois encore, le texte est sublimé par cette reprise acoustique et se révèle une ballade pleine d’insécurité et de doutes de soi. Tout oppose les deux chanteuses américaines, semble-t-il. Mais l’espace de cinq minutes, Joy Oladokun réussit la prouesse de nous faire oublier cet écart en rappelant simplement la force des textes les siens comme ceux des autres. Nashville (la capitale du Tennessee qu’elles habitent toutes les deux) for the win

C’est à nouveau un titre de son troisième LP dont elle entremêle les paroles avec celles d’une reprise. Sunday, qui évoque sa difficile et douloureuse relation avec la religion, gagne un troisième couplet avec une greffe d’Hallelujah. Un choix sensé, mais qui est visiblement fait sur le moment « c’est comme un cours d’impro », rigole-t-elle à la fin de ce moment qui montre bien que les influences d’Oladokun sont multiples et viennent aussi, bien sûr, des grands noms de la folk nord-américaine. 

Joy Oladokun écrit et compose pour elle, et pour celle qu’elle a été : c’est une certaine nécessité, une urgence, presque, que l’on ressent tout au long du set. Et qu’elle partage lors des nombreux moments où elle échange directement avec le public eh oui, il faut bien occuper tous les inévitables accordages. L’Américaine révèle alors un humour qui transparaît finalement assez peu dans ses textes, mais permet ainsi d’équilibrer avec des titres plutôt mélancoliques, voire carrément déchirants. Ils font mouche, et on croit voir quelques yeux briller sur Blink twice ou Breathe again les nôtres aussi ? Personne ne le saura. 

Somehow amorce une fin de set plus enjouée (« Life can change with the weather / Oh, somehow, things just get better »), plus pop aussi. We’re all gonna die, dont la mélodie égayée contraste avec les paroles, semble tout droit sorti d’un album du groupe de rock alternatif Weezer c’est Joy Oladokun elle-même qui le dit, et on remarque effectivement les similitudes.

Mais déjà est annoncé le dernier morceau de la soirée. Une soirée où elle a honoré ceux et celles qui l’influencent et chanté fièrement qui elle est, sans rien omettre de ses parts d’ombre ni de ses douleurs passées. L’optimiste Look up clôture plus d’une heure quarante d’un moment précieux et rare. Conclusion de ce Living Proof Tour : Joy Oladokun est bien vivante, (presque) heureuse, et prête à conquérir les scènes et les cœurs. C’est en tout cas ce qu’on lui souhaite.

Texte et photos : Kiessée Domart-N’Sondé

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