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Live reports / 26.04.2013

José James

Qui d'autre pour enlacer le long d'un même groove des bribes de Frank Ocean (Super rich kids), une relecture de Freestyle Fellowship (Park bench people), un medley de Gil Scott-Heron (The bottle, Winter in America…) et un refrain de Nirvana (Lithium) ? Ça, c'était lors du copieux rappel. Avant, José James a enchanté l'Alhambra pendant plus de deux heures.

 


 

Cette aptitude à brasser ce qui l'inspire pour un rendu cohérent, le chanteur à l'inamovible casquette des Yankees ne la doit pas qu'au moelleux de son baryton. Il a des musiciens exceptionnels. Ça chauffe dès qu'ils s'échauffent, et quand ils annoncent l'arrivée du patron en lançant la pulsation sinueuse de It's all over your body, on sait que l'on a affaire à de l'orfèvrerie. Oui, Richard Spaven (batterie) et Solomon Dorsey (basse) n'ont aucun mal à se substituer au glorieux tandem Chris Dave-Pino Palladino. Sur leur gauche, face à deux micros, un pour les solos, un pour sonner comme une section à lui tout seul, le trompettiste Takuya Kuroda sait parfaitement conjuguer finesse et vigueur. Et puis, à l'autre bout de la scène, cerné par trois rangées de touches, se tient un autre as de la note juste. Kris Bowers, 24 ans. Discret et délicat au Rhodes comme à l'orgue, c'est lui que l'on remarque le moins de prime abord. Mais quand vient le temps de Vanguard et que James l'invite à prendre un solo au piano, Bowers se tourne et nous retourne. Dans une cascade de notes qu'il morcelle à une vitesse vertigineuse, il parvient à condenser une dose étourdissante de feeling. Son piano a des ailes.

 


Kris Bowers

 


Richard Spaven

 


Solomon Dorsey

 

À peine le temps de s'en remettre que James annonce un hommage à l'un de ses héros qui va bientôt souffler ses 75 bougies. Ain't no sunshine retentit, brillamment chanté, mais James ne s'en contente pas pour invoquer l'aura de Bill Withers. Le voilà qui bifurque sur Who is he and what is he to you, le voilà qui insère un passage de No diggity, le mégatube de Blackstreet qui sample Grandma's hands, le voilà qui enchaîne sur cet autre chef-d'œuvre de Withers. Là, quand il réitère sa citation de Blackstreet, un murmure s'empare de la salle et s'élève, « Hey yo, hey you, hey yo, hey yo » : les fameux chœurs de ce grand cru R&B de 1996. James, qui se dirigeait vers d'autres rives, l'entend et s'en saisit, galvanisé, pour répliquer en revenant à Ain't no sunshine et sa non moins fameuse succession de “I know, I know” qu'il avait jusque-là éludée. Grand moment. Prolongé juste après par ce qui se fait de mieux en soul à glisser au creux d'une oreille, le très bien nommé Simply beautiful d'Al Green. James s'y accompagne sommairement à la guitare acoustique et, sans chercher à rivaliser côté falsetto, s'appuie sereinement sur la richesse de son timbre.

 

 

Pour refermer cette parenthèse “hommage”, James rappelle Hindi Zahra sur scène pour un Waiting in vain (Bob Marley) qui voit s'enlacer leurs identités vocales, fortes et complémentaires. Car on a oublié de préciser que sitôt la première chanson du concert terminée, James avait convié son invitée surprise à le rejoindre pour recréer l'effervescence de Sword and Gun. Mission accomplie hauts les mains, avec force clappements et avec l'aide d'un Saul Williams jaillissant du public.

Plus tard, James comble une attente de son auditoire en interprétant Come to my door, la belle ballade signée Emilie King, puis offre un autre titre essentiel de son dernier album. Dédié à Ray Charles et Aretha Franklin, Do you feel est un autre sommet de la soirée, tout en retenue, tout en pertinence dans le choix et la restitution des notes. De la part de José James d'abord, d'un impérial Takuya Kuroda ensuite, puis d'un Kris Bowers une fois de plus magistral aux ivoires, pour finir par un surprenant solo de basse que Solomon Dorsey dédouble d'un chant soul habité.

 


José James et Hindi Zahra

 


Takuya Kuroda

 

En dernière partie de rappel, le quintet suspend le temps grâce à un Bird of space qui laisse dialoguer une trompette bouchée et des appels au Marvin Gaye de I want you. Cette coda confirme au moins une chose, que ce soir, peut-être mieux que jamais, José James a pris le temps de partager sa perception de la musique : plurielle, intimiste et en constant mouvement. Et cela se consomme sans modération.

Nicolas Teurnier
Photos © Cutymike