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Live reports / 29.09.2020

John Coltrane’s “Africa / Brass” Revisited, Jazz à la Villette

Grande Halle de La Villette, 11 septembre 2020.

Dans un paysage de musique live dévasté, il a fallu du courage et de l’ingéniosité à l’équipe de Jazz à la Villette pour maintenir son rendez-vous, avec un programme certes réduit, mais plus que présentable, même s’il a été impacté par une série d’annulations de dernières minutes.

Soul Bag n’a pu assister qu’à une soirée – remarquablement organisée, au vu des circonstances –, l’hommage à John Coltrane dirigé par le flûtiste et arrangeur Christophe Dal Sasso, déjà responsable d’une version de “A Love Supreme” en big band avec Lionel Belmondo il y a quelques années. Cette fois-ci, c’est à “Africa / Brass”, le premier album de Coltrane pour Impulse! et son seul disque personnel en big band, qu’il s’attaque, avec un orchestre en forme de all stars de la scène française : Dominique Mandin à la flûte et au saxophone alto, Thomas Savy au saxophone baryton et à la clarinette, Julien Alour et Quentin Ghomari aux trompettes, Jerry Edward et Daniel Zimmermann aux trombones, Pierre de Bethmann au piano, Manu Marchès à la contrebasse,  Karl Jannuska à la batterie et Andy Bérald-Catelo au tambour Ka – qui se répartissent les rôles occupés sur la version originale par, entre autres, Booker Little, Freddie Hubbard, Paul Chambers, Eric Dolphy et le trio Reggie Workman-Elvin Jones-McCoy Tyner, ainsi que trois solistes majeurs aux saxophones : Géraldine Laurent, David El Malek et Sophie Alour. 

Si ce type de projet centré sur le répertoire – surtout un répertoire aussi majeur que celui de Coltrane – peut vite sombrer dans la reconstitution muséale, ce n’est absolument pas le cas du projet de ce soir, qui, en cette période quelque peu anxiogène, se veut une célébration, et c’est d’ailleurs avec un des morceaux les plus ludiques du compositeur, Tunji, dédié au percussionniste Babatunde Olatunji, que s’ouvre le concert, dans une interprétation dynamique portée par le saxophoniste David El Malek et la combinaison entre la batterie Karl Jannuska et le tambour d’Andy Bérald-Catelo, dont la trame rythmique hypnotique se poursuit, derrière le saxophone, après que le reste de l’orchestre se soit tu.

L’orchestre s’attaque ensuite à “Africa / Brass” proprement dit, sans interruption entre les différents morceaux, mais sans respecter l’ordre de parution initial, puisque c’est avec le standard folk Greensleeves, originellement positionné au début de la face 2 du disque, qui ouvre la performance, sur laquelle Sophie Alour et un Pierre de Bethman très inspiré assurent les solos, avant que Géraldine Laurent puis David El Malek occupent les rôles principaux des deux autres morceaux. Les arrangements de Christophe Dal Sasso, qui dirige la plupart du temps derrière son pupitre de flûtiste, mais ne s’octroie aucun solo, évitent à la fois la tentation de la copie carbone et celle du délayage qui plombent souvent ce genre de projet et rendent parfaitement justice à l’écriture de Coltrane. Ils contribuent à propulser les solistes en apesanteur, chacun à leur moment sur chacune des parties de ce qui se révèle être une suite très cohérente. Si l’approche peut-être un peu trop cérébrale de Géraldine Laurent ne me convainc pas tout à fait – mais c’est sans doute une question de goût personnel –, le lyrisme de Sophie Alour et la puissance de David El Malek emportent une adhésion sans réserve, et le public répond d’ailleurs très chaleureusement à chacune des interventions solistes. 

À l’issue de l’interprétation d’“Africa / Brass”, la tension baisse quelque peu avec une version très élégante du standard You don’t know what love is, enregistré par Coltrane sur l’album “Ballads” et porté ici par Sophie Alour, suivi d’un beau Liberia, emprunté à l’album “Coltrane’s Sound”. En final, l’ensemble revient aux séances d’“Africa / Brass” pour Song of the underground railroad, une composition de Coltrane créée lors de ces sessions, mais restée inédite jusqu’aux années 1970. L’arrangement de Christophe Dal Sasso en extrait tout le potentiel de groove, sublimé par un solo impérial de David El Malek. L’ovation debout – dans le respect des distances physiques – d’un public aux anges légitime évidemment un rappel, une belle version de Naima qui souffre peut-être un peu de sa prévisibilité, mais vient conclure élégamment une soirée particulièrement réussie. 

Pendant toute la durée du spectacle – pas loin de deux heures, quand même –, une petite fille assise au premier rang (sans doute six ou sept ans tout au plus) n’a pas cessé de danser assise, de taper dans les mains et d’encourager à grands gestes les musiciens. S’il fallait encore une preuve de la puissance de la musique live, elle était là. 

Texte : Frédéric Adrian
Photos © Jazz à la Villette
Photo d’ouverture : Sophie Alour © Jazz à la Villette

David El Malek
Manu Marchès, Pierre de Bethmann
Thomas Savy
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