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Hommages / 03.05.2025

Joe Louis Walker (1949-2025)

S’il n’a lancé sa carrière discographique que tardivement, alors qu’il était déjà largement trentenaire, toute la vie et le parcours de Joe Louis Walker ont été marqués par le blues, dont il a été un des principaux porte-étendard au cours des années 1980 et 1990.

Né à San Francisco le jour de Noël 1949, Louis Joseph Walker Jr. – surnommé Joe Louis dès l’enfance par sa sœur en clin d’œil au boxeur – grandit entouré de musique et commence la guitare dès l’âge de 8 ans. Mis à la porte du domicile familial à l’âge de 16 ans, il ne tarde pas à se faire une réputation locale, sous la houlette en particulier de Fillmore Slim, et intègre le house band du Eli’s Mile High Club d’Oakland. Par le biais du pianiste John Cramer avec lequel il monte un duo sur le modèle  de Leroy Carr et Scrapper Blackwell, il fait la connaissance de Mike Bloomfield, qui devient son mentor et avec qui il vit jusqu’au décès de celui-ci, tant à Chicago qu’en Californie.

Il passe également quelque temps au Canada. Par l’intermédiaire de Bloomfield, il a l’occasion d’accompagner Charlie Musselwhite et d’enregistrer une démo avec Cramer pour le label Buddah, sans suite. Il fait ses débuts discographiques en 1972, à la guitare lead sur la chanson Nurse your nerves, en face B d’un single (Lady in red en face A) du groupe soul local Chain Reaction, mais décide au milieu de la décennie de s’éloigner des excès du monde du blues en reprenant ses études et en intégrant en 1975 un ensemble gospel, les Spiritual Corinthians, qui grave en 1980 l’album “God Will Provide” et lui permet de se produire largement sur le circuit gospel, où il croise notamment un Raphael Saadiq débutant. 

Orly, août 1988 © DR / Soul Bag Archives

Une prestation au Jazz Fest de La Nouvelle-Orléans le convainc de se replonger dans le blues et il monte son propre groupe, the Boss Talkers, avec le bassiste Henry Oden, un vétéran de la scène de San Francisco. Repéré par le producteur Bruce Bromberg, qui travaille notamment avec Phillip Walker et Robert Cray, il signe avec son label, Hightone Records, et y publie en 1986 son premier album, “Cold Is The Night”, coproiduit par Bromberg et Dennis Walker. Le succès du disque fait de lui une des figures de proue du “blues boom” des années 1980, lui permettant de tourner internationalement dès la fin de la décennie. Deux albums studio suivent en 1988 et 1989, “The Gift” et “Blue Soul”, suivis d’un “Live At Slim’s” en deux volumes.

Il fait ses premiers pas de producteur en 1988 pour l’album “Always Hot” d’Otis Grand & The Dancekings, début d’une association au long cours avec le guitariste né au Liban, et multiplie les apparitions sur les disques des autres, de Little Charlie And The Nightcats à Branford Marsalis. En 1989, il est un des invités du concert d’investiture de George Bush père, à la même affiche que Stevie Ray Vaughan, Delbert McClinton, Albert Collins, Koko Taylor et Bo Diddley notamment. Reconnaissance symbolique majeure, il est, avec Robert Cray, le seul artiste de la jeune génération à apparaître aux côtés de légendes comme John Lee Hooker, Etta James, Buddy Guy ou Albert Collins sur le “Blues Summit” de B.B. King qui sort en 1993. 

Matt Murphy, Joe Louis Walker, Billy Branch, Villeneuve-sur-Lot, 1999 © Brigitte Charvolin
Matt Murphy, Joe Louis Walker, Billy Branch, New Morning, Paris, juillet 1999 © Vincent Schrepfer

L’année précédente, il avait rejoint le label Verve et l’étiquette “Gitanes Jazz Productions”, dont son album “Blues Survivor”, coproduit avec John Snyder, est une des premières références avec des disques de Lucky Peterson, Johnny Copeland et Big Daddy Kinsey. Le soutien du label contribue au développement de sa visibilité et il tourne régulièrement en France et en Europe, apparaissant en particulier au festival de Montreux en 1994. Jusqu’en 1999, il sort avec succès quasiment un album par an pour le label, et collabore avec plusieurs de ses autres artistes, dont les vétérans James Cotton et Robert Lockwood Jr.

Il apparaît également sur les disques d’autres collègues, comme Deacon Jones, Paris Slim, Shemekia Copeland, Peter Green et Johnny Lang, et devient un habitué des disques “hommages” all stars très populaires à l’époque, mettant sa patte sur des morceaux d’Otis Blackwell, de Robert Johnson ou des Rolling Stones. L’ambitieux “Great Guitars” en 1997 le voit croiser le fer avec l’élite de l’instrument, de Scotty Moore à Otis Rush en passant par Taj Mahal et Buddy Guy, et donne lieu à une tournée avec Otis Grand et Ike Turner qui passe notamment par la Cigale le temps d’une prestation mémorable. Il s’offre également deux ans plus tard une tournée acoustique en trio avec Matt Murphy et Billy Branch, qui ne donne pas lieu à un disque. Il fait la couverture de Soul Bag à l’automne 1996 et y est interviewé ensuite dans nos numéros 156, 193 et 221. 

New Morning, Paris, 2016 © J-M Rock’n’Blues
New Morning, Paris, 2016 © J-M Rock’n’Blues

La décennie suivante est plus compliquée pour Joe Louis Walker, miné par des problèmes personnels et des soucis de santé qui impactent en particulier ses prestations scéniques parfois erratiques. Avec la fin de l’aventure Verve, il alterne entre différents labels de plus petite taille –  Evidence, Telarc, JSP, Provogue, Stony Plain – avec une direction artistique aléatoire et une alternance entre réussites (“Guitar Brothers” avec Otis Grand) et catastrophes. La signature avec Alligator au début des années 2010 ne produit pas non plus les effets escomptés, à coups de blues rock générique bien éloigné des subtilités de ses débuts, et les enregistrements suivants pour Cleopatra sont à peine moins embarrassants. Il faut attendre 2023 et “Weight Of The World”, produit par Eric Corne pour son label Forty Below pour voir un certain retour d’inspiration sur ce qui restera comme son dernier album, près de 40 ans après ses débuts discographiques sous son nom.

Malgré des problèmes de santé récurrents, Joe Louis Walker continue à tourner régulièrement, se produisant dans les festivals français en 2023 et 2024 (Jazz à Vienne, Montpellier, Cahors, Megève, Meyreuil…). S’il n’a sans doute pas eu la carrière que ses disques des années 1980 et 1990 pouvaient laisser espérer, Joe Louis Walker est resté fidèle toute sa vie à une éthique du blues personnelle, qu’il revendiquait ainsi dans une interview de 2016 : « J’avais besoin de me faire une place. J’ai vraiment de la chance que tous les labels, producteurs et directeurs de maisons de disques avec lesquels j’ai travaillé m’aient laissé être moi-même. […] En vieillissant, j’ai pu faire mon propre truc, et j’en suis reconnaissant. Willie Dixon m’a dit un jour qu’il valait mieux proposer une mauvaise version de moi que de donner une bonne version des autres. Je n’oublierai jamais ça. »

Texte : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture © Michael Weintrob

Topic Records, Londres © Stewart Allison