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Brèves / 24.11.2014

Jimmy Ruffin, 1936-2104

Disons le tout de suite : Jimmy Ruffin, décédé ce 17 novembre dans un hôpital de Las Vegas, n’était pas le chanteur le plus marquant de l’histoire de la Motown. Il n’était même pas le meilleur chanteur de sa propre famille, l’honneur allant de façon évidente à son jeune frère David, la grande voix des Temptations des années 1960. Cela ne l’empêchera cependant pas de graver en 1966 ce que certains considèrent comme la plus grande chanson jamais publiée par le label de Berry Gordy, What becomes of the brokenhearted, qui s’ouvre par l’une des strophes les plus déchirantes de toute l’histoire de la soul : « As I walk this land of broken dreams, I have visions of many things. But happiness is just an illusion, Filled with sadness and confusion. » Si Ruffin n’est pas l’auteur de ces mots – la chanson est des auteurs maison William Weatherspoon, Paul Riser et James Dean -, c’est son interprétation tout en pathos retenu qui en fait la force expressive. Faute de trouver une autre chanson de cette qualité, il ne renouvellera jamais tout à fait l’exploit, mais le reste de sa carrière ne manque pas de charme.


En 1968. © : collection Gilles Pétard

Né le 7 mai 1936 à Collinsville, une petite ville du Mississippi, Jimmy Ruffin fait ses débuts sur disque en 1961 pour Miracle, une sous-marque de Motown, mais un séjour à l’armée interrompt son début de carrière. De retour en 1964, il fait partie des candidats sérieux pour rejoindre les Temptations et prendre la place du fondateur Elbridge Bryant. C’est néanmoins David qui finira par intégrer le groupe, peu de temps avant que celui-ci décroche son premier vrai tube. Jimmy Ruffin dira toujours que c’est lui qui a suggéré de confier la place à son frère, même si cette version des faits est contestée par certains témoins. Pendant que David poursuit sa trajectoire vers la célébrité, Jimmy enregistre une série de 45-tours sans grand succès pour Soul, une autre sous-marque de Motown. Le succès de What becomes of the brokenhearted, sorti courant 1966, change tout : la chanson, originellement écrite pour les Spinners, atteint la septième place du Hot 100 de Billboard, la sixième du classement R&B, la dixième du classement britannique et devient un classique immédiat. Rééditée en 1974, elle se place cette fois en quatrième position dans le classement britannique, et sa reprise par Joan Osborne est un des grands moments du documentaire Standing in the Shadows of Motown.  Les disques suivants de Ruffin, I've passed this way before et Gonna give her all the love I've got, rencontrent également le succès, mais la volonté de Motown de reproduire à l’infini la formule de What becomes of the brokenhearted finit par lasser le public américain, indépendamment de la réussite artistique de ces titres. Cela ne l’empêche pas de garder une popularité particulière auprès du public britannique qui l’accueille à trois reprises dans son Top 10  entre 1968 et 1970 avec les très réussis Farewell is a lonely sound, I'll say forever my love et It's wonderful (To be loved by you).


Vers 1970. © : collection Gilles Pétard

Après trois albums personnels passés à peu près inaperçus du public américain, il partage avec David, sous le nom des Ruffin Brothers, un disque plutôt raté, « I Am My Brother's Keeper », dont le succès reste modeste, et finit par quitter Motown. Différents singles pour Atco, Polydor, Chess et Epic restent confidentiels dans les années 1970, alors que Motown réédite régulièrement ses titres de la décennie précédente pour un public britannique qui lui reste fidèle. Produit par Robin Gibb des Bee Gees, l’album « Sunrise » lui permet de décrocher un nouveau tube en 1980 avec Hold On (To My Love), qui atteint la dixième place du Hot 100 de Billboard et la septième du classement britannique. Dans les années 1980, Jimmy Ruffin s’installe en Grande-Bretagne où il se produit régulièrement (notamment dans le cadre des tournées Dancing in the streets dont il partage souvent l’affiche avec Martha Reeves et Edwin Starr) et enregistre occasionnellement, seul ou avec d’autres dont Paul Weller, Heaven 17, Ruby Turner ou Brenda Holloway. Il prend une retraite plus que méritée au début des années 2000, se contentant ensuite d’apparitions très ponctuelles. Comme pour son collègue Edwin Starr, on ne peut que regretter que les promoteurs français n’aient pas profité de sa présence à quelques heures de train pour le présenter régulièrement au public… Parue en 2004 (mais encore disponible), une « Ultimate Motown Collection » retrace son parcours en 48 titres et se termine sur une version inédite de What becomes of the brokenhearted ouverte par un long monologue parlé…
Frédéric Adrian