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Hommages / 21.02.2025

Jerry Butler (1939-2025)

Avec le décès à l’âge de 85 ans de Jerry Butler, qui était jusque-là le titulaire du numéro un R&B le plus ancien, c’est, autant qu’une des grandes voix de la soul et une personnalité majeure de la musique afro-américaine, un des derniers liens avec les ultimes années du rhythm and blues et les débuts de la soul qui disparaît.

Né à Sunflower dans le Mississippi le 8 décembre 1939, Jerry Butler n’a que 3 ans quand sa famille s’installe à Chicago, dans les HLM des Cabrini-Green Housing Projects. C’est là qu’il rencontre à l’adolescence celui qui sera le partenaire musical de ses premières années, Curtis Mayfield, avec qui il chante à la chorale de l’église et dans différents ensembles gospel avant de rejoindre ensemble les Roosters, un groupe fondé par Sam Gooden et les frères Richard et Arthur Brooks. Rebaptisé les Impressions, l’ensemble décroche un tube énorme dès son premier single, For your precious love, publié sur une marque annexe de Vee-Jay, qu’il a coécrit avec les frères Brooks et qui atteint la 11e place du Hot 100 de Billboard.

The Impressions vers 1958 : (en haut) Jerry Butler, Sam Gooden, Arthur Brooks ; (en bas) Richard Brooks, Curtis Mayfield © DR

Il ne faut que quelques mois à Butler pour décider de se lancer en solo, et il ne tarde pas à décrocher son premier succès sous son nom avec He will break your heart, coécrit avec Mayfield, qui monte jusqu’au sommet du classement R&B et au 3e rang du Hot 100 en 1960. Ce succès, qui fait de lui une des stars du chitlin’ circuit et un des habitués de l’Apollo, n’est que le début d’une longue série de tube qui ne ralentira que plus de deux décennies plus tard, au milieu des années 1980, après de longs séjours chez Vee-Jay, Mercury et Motown.

Surnommé “The Iceman” pour son côté crooner et la décontraction qui ne le quitte jamais, le chanteur s’adapte sans difficulté aux évolutions stylistiques de l’époque et s’inscrit ainsi sans difficulté à la fin des années 1960 dans le son Philadelphia Soul  de Gamble & Huff. Parmi ses plus grands tubes figurent sa version de Moon river, Make it easy on yourself, Only the strong survive, Hey, Western Union man et I wanna do it to you, le dernier de ses titres à entrer dans le Hot 100 en 1976.

Grand amateur de duos – avec Betty Everett, Gene Chandler, Brenda Lee Eager et Thelma Houston en particulier –, il décroche également plusieurs succès dans cette configuration, dont Let it be me avec Betty Everett et Ain’t understanding mellow avec Brenda Lee Eager. Outre sa carrière propre, Butler a soutenu celle de ses collègues, montant en particulier le Chicago Songwriters Workshop qui accueille au début des années 1970 Terry Callier et Larry Wade. Il monte aussi son propre label, Fountain, à la fin des années 1960, et y publie jusqu’au début des années 1980 (avec une interruption au milieu des années 1970) des disques d’Enchantment, Jackie Ross et du groupe Infinity de son frère Billy Butler, qui l’accompagne régulièrement.

S’il n’enregistre que ponctuellement dans les années 1980 et 1990 – “Ice ‘n Hot” pour Fountain, “Time & Faith” pour Ichiban, “Simply Beautiful” pour Valley Vue –, il continue à se produire régulièrement sur le circuit de la nostalgie jusqu’au début des années 2010. Son dernier album, “Brand New Me”, sorti en 2001, est composé de remakes de ses classiques enregistrés à Memphis. Il publie en 2004 son autobiographie, Only the Strong Survive: Memoirs of a Soul Survivor et apparaît en 2002 aux côtés d’autres vétérans dans un documentaire qui emprunte également son nom à cette chanson.

Parallèlement à sa carrière musicale, il s’engage en politique à partir des années 1980, participant à la campagne électorale de Harold Washington, le premier maire afro-américain de Chicago et occupant plusieurs postes électifs municipaux au sein du Cook County Board Commissioner jusqu’à son retrait de la vie politique en 2018, après plus de 30 ans de mandat qui le voient notamment se spécialiser dans les questions de santé et de sécurité. Des problèmes de santé l’avaient contraint ces dernières années à diminuer ses activités, et il n’avait pu assister aux cérémonies organisées en l’honneur de son 85e anniversaire en décembre 2024. 

Texte : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture © DR