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Live reports / 27.10.2020

Jazz sur Seine, Soirée Showcases, Paris

13 octobre 2020.

Au milieu des rumeurs – finalement confirmées dès le lendemain – de couvre-feu, la traditionnelle soirée showcases du festival Jazz sur Seine faisait figure de dernier bal sur le pont du Titanic. Organisée dans quatre lieux de la rue des Lombards (le Baiser Salé, le Duc des Lombards, le Sunset et le Sunside), la soirée propose un panorama de la scène jazz française par le biais d’une série de courts concerts, d’une quarantaine de minutes théoriquement – mais les horaires ne sont pas du tout respectés –, qui se suivent dans chacun des clubs, soit un total de 16 propositions musicales sur la soirée mêlant talents confirmés et découvertes, de la chanteuse Véronique Hermann Sambin au pianiste Noé Huchard. Impossible, sauf à pratiquer l’écoute par échantillon, de tout entendre, d’autant que les conditions d’hygiène et de sécurité particulières compliquent les déplacements entre salles – ce qui n’est pas plus mal pour garantir la qualité de l’écoute ! 

En ouverture, le saxophone tellurique et lumineux (au sens propre comme au figuré) de Guillaume Perret, plus habitué aux salles de musiques actuelles qu’à l’ambiance feutrée des clubs, fait trembler les murs de la cave du Sunset et frémir quelques trop chastes oreilles. Accompagné des musiciens de l’album (Martin Wangermée à la batterie, Julien Herné à la basse et aux machines, Yessaï Karapetian aux claviers), Perret – qui pratique aussi les machines – présente le répertoire de son disque “A Certain Trip” : ambiance électrique, énergie rock, textures électro, rythmiques funk, le tout combiné à une écriture sophistiquée – immanquable influence de Mulatu Astatke dans les mélodies, par exemple – et à un sax volontiers hurleur, mais qui sait aussi s’adoucir. Après trois bons quart d’heures de bruit et de fureur, la proposition d’un dernier titre plus calme, quitte à bouleverser les horaires de la soirée, est accueillie avec enthousiasme par un public très impliqué, et vient clore en finesse une prestation réellement remarquable, qui confirme la place éminente acquise par Guillaume Perret au sein d’une scène jazz en plein renouveau.

Le contraste aurait difficilement pu être plus grand – au plan musical, et non qualitatif – avec ce qui suit, à savoir Abraham Réunion, le trio familial qui réunit Zacharie, Cynthia et Clélya Abraham, trois habitués des scènes jazz et soul parisiennes, respectivement à la contrebasse, au chant et au piano, renforcés par le batteur et “frère adoptif” Tilo Bertholo. C’est en effet dans un registre quasi-exclusivement acoustique – quelques boucles sur la voix –, que se produit l’ensemble, qui présente ici un premier album partagé paru – mauvaise idée ! – au début du mois de mars. Le répertoire, aux influences caraïbes discrètes, est léger et séduisant, plutôt sophistiqué dans l’écriture et souvent chanté sans parole, et l’ensemble s’écoute avec plaisir, même si quelques ruptures de ton seraient peut-être les bienvenues. 

Les contraintes de temps et la difficulté à accéder au Duc des Lombards (en jauge réduite) m’interdisent d’entendre le début du set de la chanteuse Isabel Sörling, une habituée des projets à mi-chemin entre musique contemporaine et jazz, mais, de ce que j’en ai entendu, sa musique me semble fort éloignée des centres d’intérêts de Soul Bag. Grégory Privat, qui lui succède en format trio (Michel Alibo à la basse, à nouveau Tilo Bertholo à batterie), refuse les clichés : initialement repéré en tant que pianiste, il a ajouté le chant à ses compétences, et ses évidentes influences caribéennes – il est né en Martinique, et son père a fait partie du groupe Malavoi – sont traitées par le prisme du jazz, dans un registre qui évoque ce que faisait George Duke avec les musiques brésiliennes tout en évitant à peu près les travers qui plombent bien souvent les démarches “fusion”. Très impliqué dans sa musique – y compris physiquement : il ne semble pas capable de rester assis sur son tabouret de piano ! –, il bénéficie de l’appui d’une rythmique particulièrement stimulante, avec la basse volubile du vétéran tout-terrain Michel Alibo, remplaçant de luxe du titulaire habituel du poste, et la batterie explosive de Tilo Bertholo, bien plus extraverti ici qu’avec Abraham Reunion.

Malgré l’heure tardive, le résultat, qui emprunte au répertoire de son dernier album, “Soley”, est assez irrésistible et vient apporter un beau point final à une soirée très réussie, qui a permis d’oublier pendant quelques heures la situation catastrophique dans laquelle se trouve le milieu de la musique live depuis plusieurs mois.

Texte : Frédéric Adrian

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