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Live reports / 18.05.2018

Jazz Sous Les Pommiers (Part. 2)

Sous les pommiers, c'est le mardi qu'une soirée officiellement estampillée “blues” est programmée. Mais comme cette année, cela tombe un jour férié, les concerts commencent dès la mi-journée, l'occasion d'apprécier dès midi et demi le beau projet “Body And Blues” du saxophoniste Eric Séva. Ne pas s'attendre, extérieurement, à trop de rugosité ou de déchirements : dans ce dialogue entre jazz et blues, c'est le premier élément qui l'emporte, avec des mélodies et des harmonies soignées et souvent douces qui invitent au voyage. Il n'empêche, quand il est question d'évoquer l'histoire afro-américaine, le propos est parfois douloureux : esclavage, génocide et lynchage reviennent à plusieurs reprises. Présent pour quelques titres, le chanteur Michael Robinson ne fait pas tout à fait oublier l'absence d'Harrison Kennedy, mais il apporte une touche hautement sensible à des textes poignants. Quelques incursions à La Nouvelle-Orléans et une habile citation de What'd I say, et le tour est joué, de bien belle manière. 

 

 

 

 

Le saxophoniste et ethnomusicologue Raphaël Imbert est une tornade et un meneur de troupes. Impossible pour lui de ne pas (beaucoup) parler, pour dire son émotion d'être là, saluer famille et amis présents, mais surtout expliquer sa démarche, longuement, vivement et avec drôlerie. Passionnante recherche autour de l'histoire afro-américaine, là encore. Il raconte le parcours de Paul Robeson, reprend Blue preludecher à Nina Simone, évoque l'inspiration de La Nouvelle-Orléans et du fleuve Mississippi. Deux chanteuses, deux guitaristes : l'attelage est original, encore rehaussé de la participation de la batteure en résidence sous les Pommiers, Anne Pacéo, pour une enthousiasmante bataille de fûts. Une générosité récompensée par une standing ovation unanime et amplement méritée. 

 

 

 

 

Avec Bror Gunnar Jansson, c'est moins simple. Sans doute volontairement désarçonnant, le bluesman suédois se produit seul en scène, sous d'impressionnants jeux de lumière, assis devant une batterie, armé de guitares, aidé de quoi bidouiller ses sons. « C'est trop fort », lancent bientôt quelques spectateurs. Remarque prise en compte, la glace fond un peu, mais l'artiste poursuit sur sa lancée un show désormais bien rodé et qui, à coup sûr, laisse assez froids une majorité de spectateurs. La noirceur de cette heure musicale très personnelle et parfois désarticulée ne peut pas plaire à tout le monde, 

 

 

 

 

 

Avec True Blues, on plonge dans le blues traditionnel du Delta. Corey HarrisAlvin Youngblood Hart et Phil Wiggins sont là pour témoigner de la force de cette musique qui a commencé à être enregistrée il y a près d'un siècle. Absolument pas démonstratifs, ils prennent le temps de présenter leurs morceaux, essentiellement des reprises, et de raconter pourquoi ils y sont attachés. C'est acoustique, simple et intime. Les trois bluesmen ne forcent pas leurs talents, mais l'harmoniciste Phil Wiggins fait preuve d'une belle générosité et d'une émotion palpable. Avec ces messieurs qui vivent leur musique, on ne peut pas se tromper. Des valeurs sûres. (JC)

 

 

 

 

Au Magic Mirror, Dirty Deep, un trio de kids strasbourgeois bien enclin à terminer les festivités du jour avec une décharge d’électricité, nous accueille sans chichis, avec humour, bagout et, de fait, leurs amplis réglés à fond ! Les « trop fort » criés depuis le public du concert précédent font soudainement sourire.

 

 

Casquettes vissées sur la tête, un look à mi-chemin entre rednecks et les skateurs sauvages de la première heure (ceux des 80s, nourris au punk rock et hardcore californien), c'est d'abord l’énergie brute du trio qu'on prend en pleine poire avant le reste. Une attitude rock'n'roll qui colle très bien à leur répertoire concocté avec les ingrédients de base : shuffle, gimmick blues en boucle et voix saturés que soutient une rythmique basse-batterie à réveiller les morts et assommer les vivants. Les compositions de Dirty Deep, avec leurs nombreux ponts, descentes et montés chromatiques, balancent entre gros bazar et efficacité redoutable. Ce qui naturellement autorise un public bien réceptif à, selon l'inspiration, sauter, danser ou hurler ! Une forme et une vision du blues bien éloignées, c'est vrai, des notes cristallines tout en souplesse de Corey Harris et de ses acolytes, mais qui s'inscrivent malgré tout dans cette scène vivace que des labels comme Fat Possum ont su cristalliser depuis dans les années 1990-2000.

 

 

 

 

Si leur prestation au festival Bain de Blues en avril dernier n'a pas converti notre camarade Christophe (Mourot), je l'ai trouvé pour ma part plutôt convaincante (dans son genre). Deux règles à suivre malgré tout si vous croisez la route de ces énergumènes : avoir un sérieux penchant pour les musiques jouées à grand volume et imaginer le fil invisible qui relie le raw bluesd'un R.L. Burnside, l'irrévérence d'un Hasil Hadkins et le feu des Bad Brains. Une fois intégré ces fondamentaux, aucune hésitation à tenter un stage-diving en compagnie de Victor Sbrovazzo (voix, harmonica, guitares), Adam Lanfrey (basse, contrebasse), Geoffrey Sourp (batterie). Mais attention à l'atterrissage, ça pourrait bien être sale et profond ! (JDo)

Texte : Julien Crué et Jules Do Mar
Photos © Jules Do Mar