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Live reports / 18.06.2025

Jazz sous les Pommiers 2025

Coutances, 27 et 28 mai 2025.

Sous les Pommiers, l’indéboulonnable soirée du mardi convoque cette année deux générations de musiciens représentants des courants protéiformes du blues, ses rhizomes. Une salle Marcel-Hélie comble – la plus grande capacité du festival – accueille une artiste chère à Soul Bag : la Californienne Judith Hill dont le dernier album fête tout juste ses un an (voir chronique dans SB 254) et que notre camarade Frédéric Adrian a vue la veille dans la capitale. 

Pour les connaisseurs, pas de surprise de la voir arriver parée d’une tenue au style sophistiqué (un autre héritage de Prince, peut-être) et accompagné de ses géniteurs, une façon de faire depuis ses premiers pas en solo. Sur scène on retrouve la maman Michiko Hill aux claviers, le papa Pee Wee Hill à la basse… et aussi le bluffant Shadrack Oppong aux baguettes ! Une family affair qui résonne impeccablement avec les premiers titres joués ce soir puisqu’une sorte de medley/mashup en guise d’intro évoque implacablement la musique de Sly Stone, entre autres. 

Judith Hill
Pee Wee Hill, Shadrack Oppong
Michiko Hill

Au funk clinquant, à la soul et au R’n’B qui habille aussi sa musique, Judith Hill laisse entrevoir ce soir une approche plus musclée, plus funk rock. Mythique Gibson SG en bandoulière, le pied alternativement posé sur la pédale wah-wah ou celle de la distorsion selon les besoins, Judith Hill se révèle en vocaliste chevronnée (ça, on le savait), mais surtout en guitariste volubile capable de passer d’une rythmique funk incandescente à des salves nourries de rock et de blues.

Si par le passé j’ai parfois été refroidi par le son des claviers de maman Hill (un peu froids et très eighties), ce soir c’est beaucoup plus chaud et organique. Un choix judicieux qui accentue le côté seventies des titres joués. Basse slappée ou ligne protofunk, papa Hill assure la rythmique avec brio. Quant à Shadrack Oppong, batteur ghanéen passé par Berklee College, c’est littéralement un jeu truffé de bonnes idées et d’une énergie peut-être propre à la jeunesse de ce dernier qui soutient la prestation de Judith Hill dans cette grande salle un peu froide, disons-le.

Judith Hill

Je reconnais quelques anciens titres tels que ce Cry cry cry qui en son temps eut son heure de gloire, mais c’est plutôt le dernier album sur lequel la setlist est construite. Avec ce souffle soul dans le chant de Judith Hill qui bénéficie d’une voix à plusieurs octaves, on est aussi friand des glissades funk rock qui évoqueraient presque Betty Davis (le côté robe fendue joue sûrement).

Le verdict est limpide, l’heure et demie rappel compris qu’a offert la Californienne remplit amplement le “deal”. Rien de renversant, mais une solide prestation où l’on ne s’est pas ennuyé un instant. 

Séquence émotion

Un retour attendu depuis plusieurs années à Coutances était celui de Coco Montoya, dont le dernier passage ici remonte à plus de trente ans aux côtés de John Mayall. À écouter la présentation et à causer avec mes voisins de siège, le moment semble être resté gravé dans les mémoires du festival et du public coutançais.

Visiblement diminué, le guitariste-chanteur de 73 printemps se présente sur scène épaulé de trois musiciens (Jeff Paris aux claviers et à la guitare, Nathan Brown à la basse et Rena Beavers à la batterie). Sans en faire des tonnes, avec une émotion non feinte quand il évoque le passé, la France et ses propres souvenirs du festival, Montoya égrainera durant un peu plus d’une heure de concert une suite de titres finalement sans surprises. Facture blues rock classique, dans l’esprit des Bluesbreakers avec qui il aura œuvré pendant plus d’une décennie.

Coco Montoya
Nathan Brown, Coco Montoya
Jeff Paris

La voix est parfois à la limite du chevrotement et son jeu de guitare encore assez enthousiaste révèle quand même quelques flottements. Mais c’est une fois arrivé à l’heure de concert qu’il révèlera au public avoir de gros soucis de santé l’empêchant d’utiliser sa main droite à 100 %, quand elle n’est pas tout simplement complètement paralysée. L’émotion du public est palpable, celle de Montoya aussi. À la rescousse, Jeff Paris abandonne son orgue très présent pendant le set pour enfiler une Telecaster et offrir une chouette version de Writing on the wall, géniale petite sucrerie country rock à l’accent soulful et chanson-titre du dernier album de Montoya (2023).

Coco Montoya

Ovation de la salle et demande en règle de rappel pour le principe (il aura lieu). À titre perso, on aurait pu en rester là et redire un grand merci à Coco Montoya pour toutes ces années fastes, désormais derrière lui.

Late, late show

Pour terminer la soirée sur une note un peu plus enjouée, on a filé tout droit au Maggic Mirror pour découvrir le nouveau projet du rappeur sud-africain Tumi Molekane (de Tumi & The Volume) qui se présente désormais sous le patronyme de Stogie T.

Stogie T © Stéphane Dubromel
© Stéphane Dubromel
© Stéphane Dubromel

Un live band vif, funky et enthousiaste. Un flow hip-hop et polyglotte, des embruns de soul avec une choriste aussi généreuse vocalement que lumineuse humainement. Après le show quelque peu ronronnant de Montoya, la transition était directe, implacable et la jeunesse de Coutances au rendez-vous de ce dernier concert de ce copieux mardi.

Deuxième round 

Ça commence au théâtre de Coutances en début de soirée avec Rogê, le protégé de Tom Brenneck dont les récents disques sur Diamond West ont su trouver un nouveau public. Et un peu plus tard dans ce Magic Mirror tout boisé avec Bab L’ Blues, jeune combo franco-anglo-marocain fusionnant desert blues, rock musclé et musiques gnaoua. Un combo qu’on avait découvert avec joie aux Primeurs de Massy il y a quelques années. Bref, une soirée placée sous le signe des “global grooves”.

Samba, soul, funk : le tiercé gagnant  

Théâtre complet depuis plusieurs semaines pour la venue de Rogê, swingant et truculent chanteur-guitariste brésilien. Cette légende des nuits carioca est devenue en un seul album publié outre-Atlantique un petit phénomène pour les fans de cette samba gorgée de soul en version originale. Ces mêmes grooves lusophones hier magnifiés par les illustres Jorge Ben, Gilberto Gil, Chico Buarque, Bebeto, Joao Bosco, Marcos Valle et autres gratteurs de cordes capables de beaucoup avec peu de moyens. Et c’est d’ailleurs comme ça que Rogê et seulement deux acolytes (Stephan San Juan à la batterie, Mattheus Alcantara à la basse) ont offert au public coutançais un show amplement à la hauteur de nos attentes.

C’est le titre Camara qui ouvre les hostilités avec sa longue intro instrumentale qui se mue en douce et swingante samba. À l’issue de ce premier jet, présentations sont faites dans un français approximatif qui amuse tout le monde. Les premiers mots de Rogê et les vibrations du deuxième et du troisième titre font mouche, instantanément. On comprend rapidement qu’on a devant nous un type qui est non seulement rodé à la scène et au public quel qu’il soit, mais qui “crève aussi l’écran” en tant que vocaliste et guitariste.

Rogê
Mattheus Alcantara, Rogê, Stephan San Juan
Mattheus Alcantara, Rogê

Une agilité vocale et instrumentale qui nous avait séduits sur disque c’est vrai, mais on cause là d’enregistrement studios, chapeauté par le boss de Menehan Street Band, arrangé par un cador brésilien de l’âge d’or (Arthur Verrocaï). Hors ce soir à Coutances, ils ne sont que trois sur scène pour réinterpréter avec feeling et une approche perméable du groove des titres que l’on connaît sous des formes beaucoup plus charnues. Rogê, muni d’une 6 cordes classique qui semble avoir quelques heures de route, chante, danse, joue avec le public comme avec ses partenaires. Un trio chez qui tout semble spontané, d’une fluidité et d’une facilité déconcertante qui fait chavirer le théâtre entier, jusqu’au point d’entonner un truc aussi improvisé que swinguant, prétexte à déclamer des phrases en français (sans queue ni tête) pour le clin d’œil.

Mattheus Alcantara, Rogê

On est bluffé par l’apparente simplicité des compos, leur musicalité et par le charme malicieux de ce Brésilien tout en sourire communicatif. On tape du pied, des mains, sur ses cuisses, on fredonne, on tente un refrain à voix haute. Une émouvante bossa se fond en samba fédératrice et libératrice et voilà qu’on remue sur son siège faute de pouvoir vraiment danser dans ce théâtre… Pas de doute sur la légende qui entoure cette figure du quartier de Lappa à Rio (il réside aujourd’hui à LA) où il avait la réputation d’être un musicien habitué à emmener son auditoire jusqu’au petit matin. Sa prestation à Jazz sous les Pommiers n’aura pas été jusque-là, mais cette standing ovation bruyante et chantante en fin de rappel en dit long sur son passage dans la ville normande.

Rock the casbah

Changement de lieu, petite pause et direction le cadre boisé du Magic Mirror pour la suite des opérations avec Bab L’ Bluz et ses grooves hybrides. La petite scène presque au ras du sol où le quartet se positionne est remplie de trucs peu communs : rack d’effets, claviers, percussions en tout genre et cette sorte de double guitare électrique. Un instrument qui intrigue, non conventionnel, entre cigar-box et une facétie d’artisan-luthier (en fait une sorte de mandole orientale à 8 cordes couplée à un guembri-awisha).

Bab L’ Bluz

Si le public semble un peu frileux à s’approcher du premier rang, l’invitation de l’élégante Yousra Mansour, fougueuse guitariste d’une trentaine d’année et brillante vocaliste capable d’arabesques sidérantes allège rapidement l’atmosphère et décloisonne en quelques titres une audience qui se révèle soudainement moins rigide. Mais ce ne sont pas seulement les causeries de la frontwoman sur l’état de la planète, des libertés, de la nécessité du vivre ensemble et de lutter pour tout ça qui réchauffent ce Magic Mirror pourtant abondamment rempli. La sonorité mate d’une ligne de basse jouée sur le guembri couplée aux rythmiques entraînantes du batteur comme à ces instruments traditionnels typiques d’Afrique du nord et plus précisément du Maroc (flute, karkaba, bendir) y est aussi pour beaucoup.

Tourbillons électriques et pulsations sauvages assumées évoquent définitivement un axe d’influences majeur se situant entre Hendrix, Led Zep et Nass El Ghiwane. Mais au fil de ce show réussi bien qu’un peu décousu parfois, c’est aussi au rock et au blues touareg qu’on pense. Bien que les compositions soient plus vibrantes et électriques que le standard habituel et délicieusement répétitif de Tinariwen et autres représentants des cultures tamasheq auxquels Bab L’ Bluz rend aussi hommage, le fil conducteur passe aussi par là-bas. Du bocage humide de Normandie au sable brûlant du désert nord-africain, il n’y avait donc qu’un ou deux pas à faire ce soir. Merci Jazz sous les Pommiers !

Texte et photos (sauf mention) : Julien D.