Montfort Blues Festival 2023
30.11.2023
;
Si les pommiers ne poussent pas au centre de Coutances, les tours de la cathédrale semblent veiller sur les scènes environnantes, celles du Magic Mirror, du square de l’Evêché, du théâtre (600 places) ou de la salle Marcel-Hélie (1 500 places). Des scènes, il y en a d’autres encore pour accueillir huit jours durant une programmation riche, variée, qui ne craint ni les cousinages ni les métissages. Mais qui ne se disperse pas au point de perdre son âme.
Comme chaque année depuis 30 ans, le blues a sa soirée réservée à Coutances, mais l’amateur de notes bleues aux oreilles fureteuses peut trouver matière à plaisir et à découvertes à travers bien d’autres spectacles. Ainsi, dès le premier jour, samedi 28 mai, il pouvait faire une pause à l’église Saint-Nicolas où trois chorales locales unissaient leurs voix au service de gospels traditionnels (Precious Lord, Nobody knows, etc.) interprétés avec détermination et enthousiasme, à défaut d’un swing salvateur. Un swing tumultueux et comme inné lorsqu’il émerge, un peu plus tard, du clavier de Chucho Valdes et des percussions épicées de ses Afro-Cuban Messengers.
Chucho Valdès & The Afro-Cuban Messengers © Pierre-Yves Le Meur
Tard dans la soirée, le blues investissait le jazz club des des Unelles pour une jam session confiée à Thierry Anquetil. Même s’il n’a pas eu la carrière qu’il méritait, le guitariste normand fait partie de l’élite des spécialistes français. L'influence de Freddie King est prégnante dans son jeu de guitare et celle d’Otis Rush dans son chant, mais il sait aussi personnaliser un répertoire éclectique (Sweet little angel, Look on yonder wall, Mary Ann…).
Thierry Anquetil avec Eric Lebeau (b) et Lambert Leduc (g) © Jacques Périn
L’heure de la jam venue, il présenta quelques-uns de ses complices régionaux, comme Marc Loison, guitariste rythmique très sûr et soliste joliment jazz, ou le saxophoniste Gilles Varon, râpeux et low down à souhait. Même si la jam sembla échapper parfois à son animateur, elle eut le mérite d’exposer d’autres individualités comme le batteur Marc Mitou (Midwest), le guitariste Philippe Kerouault ou un saxophoniste alto, émule de Vinson-Jordan, répondant au curieux patronyme de Sweet Screamin’ Jones.
Marc Loison et Thierry Anquetil © Jacques Périn
Bœuf Blues avec Gilles Varon (ts), Marc Mitou (dm), Lambert Leduc (g) et Philippe Kerouault (g) © J. Périn
Consacré aux big bands, fanfares et autres brass bands, le dimanche se voulait festif et rassembleur. Il y réussit sans peine à en juger par les mines ravies des promeneurs du centre-ville. En soirée, la salle Marcel-Hélie accueillait Eddy Louiss, son combo et sa MultiColor Feeling Fanfare, forte de 40 exécutants. Ouvert sur un tempo funky et clôturé sur un rythme de béguine, où l’alto de Daniel Huck pouvait se lâcher, le concert aborda bien des rivages, drivé par l’orgue du leader qu’on entendit dialoguer avec la guitare de Jean-Marie Ecay (Watermelon man), la flûte de Xavier Como ou la surprenante section de violoncelles. Sans négliger la (multi)colorée fanfare, espiègle ou concentrée, mais toujours impressionnante.
Eddy Louiss (orgue) avec Jean-Marie Ecay (g), Daniel Huck (as), Xavier Como (ts)
et un bout de la fanfare © Pierre Yves Le Meur
Temps fort du festival, le spectacle "Gamblin jazze, de Wilde sextete" (quatre représentations à guichets fermés – comme presque tous les concerts d’ailleurs), fut l’occasion d’une belle création (qui connaîtra des prolongements) et d’une belle rencontre. Celle d’un pianiste audacieux et curieux, Laurent de Wide, entouré de ses musiciens (dont un dj aux platines) et d’un comédien, Jacques Gamblin, devenu lui aussi musicien par la magie des mots et des phrases qu’il lit, balance, scande, jette, triture, agence à partir de textes de Hughes (Langston), Sartre, Gerber, Comolli et Carle ou de Wilde. Ça swingue constamment, ça groove souvent et le blues s’insinue comme toujours.
Bien que programmée le mardi, la soirée blues fut une des premières à afficher complet, signe de l’attente du public. C’est précisément à l’heure prévue qu’Eric Bibb s’avança pour un Goin’ down slow à la guitare électro-acoustique avant d’être rejoint par Staffan Astner. L’élégant finger picking de Bibb venant s’insinuer dans le jeu électrique de son compagnon, auteur de plusieurs solos à la fois retenus et incisifs. Eric Bibb eut l’élégance de ne pas se contenter d’illustrer son récent album "Troubadour Live" mais d’aller aussi puiser à d’autres sources de son vaste répertoire. Naviguant avec naturel entre blues et folk, il rendit un bel hommage à Booker White, offrit de belles reprises de Pockets et Walkin’ blues again et revint le temps d’un bis sur Get on board.
Eric Bibb & Staffan Astner © Pierre-Yves Le Meur
Coutances était la seule étape française dans la longue tournée européenne de Charlie Musselwhite dont la décontraction toute sudiste et la bienveillance malicieuse témoignent d’une humanité attachante. C’est un véritable festival d’harmonica blues qu’il offrit, avec une technique magnifique tempérée par un feeling gros comme ça et une expressivité de tous les instants.
Charlie Musselwhite © Pierre-Yves Le Meur
Quel que soit le tempo, il se montra au sommet de son art, du medium I’m a bad boy au rapide Church is out, de lent et majestueux Josephine à l’échevelé It ain’t right. Je vois mal qui pourrait contester à Charlie Musselwhite le titre de meilleur harmoniciste en exercice. Bien servi par la guitare sobre mais au son bien roots de Matt Stubbs (auteur d’un CD sur Blue Bella), c’est surtout le batteur June Core qui m’impressionna. Son jeu, d’une invention de tous les instants, d’une puissance tout en retenue, le place au niveau de batteurs comme Kenny Smith et Willie Hayes.
Sans quitter le degré de l’excellence, mais dans une autre catégorie, il était encore possible de prolonger cette nuit du blues en compagnie de Malted Milk dans un Magic Mirror embrasé par les arrangements au cordeau des cuivres et l’impeccable mise en place de la rythmique. De quoi révéler ou confirmer la classe du groupe et de son leader, Arnaud Fradin, qui présentaient leur nouveau EP 4 titres avec des titres plus anciens, entre blues, soul et funk.
Malted Milk © Jacques Périn
Si, pour moi, le festival s’arrêtait là, il avait sans doute de quoi procurer de belles émotions (Alice Russell, Aldo Romano, Joachim Kühn, Jamie Cullum, Ron Carter…) jusqu’au concert du samedi 4 juin, à minuit, de Fred Wesley & The New JB’s. Belle coda pour ce 30e Jazz sous les pommiers. En attendant le 31e !
Jacques Périn