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Live reports / 03.07.2025

Jazz in Aiacciu 2025

28 et 29 juin 2025.

Les pins, les étoiles et le regard – sans doute un peu surpris – de Napoléon : le théâtre de verdure du Casone, situé sur les hauteurs d’Ajaccio un peu à l’écart du centre-ville tout en restant accessible à pied, est tout à fait parfait pour accueillir la riche programmation du Jazz in Aiacciu, sans doute le principal évènement du genre sur l’île, porté par une équipe de passionnés et de bénévoles qui n’oublient pas que la convivialité est aussi un des éléments de la réussite d’un tel projet. 

Les contraintes du quotidien ne me permettent pas d’assister aux deux premières soirées, consacrées respectivement à deux big bands locaux et à un projet “France- Brésil” emmené par Flavia Coelho sous la direction musicale du pianiste Philippe Powell et à la musique cubaine avec Ana Carla Maza et le Royal Quintet de l’historique Chucho Valdés. 

C’est avec la flûtiste Ludivine Issambourg que commence la soirée du vendredi, à l’heure où les températures redevenues clémentes permettent des conditions d’écoute optimale. Depuis la sortie il y a cinq ans de son premier album solo, “Outlaws”, la musicienne s’est imposée comme une des voix majeures de la scène jazz française, et l’arrivée l’année dernière de “Above The Laws” n’a fait que confirmer son statut, qui lui permet d’être largement présente sur les scènes des festivals cet été.

En format resserré (Philippe Bussonnet à la basse, Martin Wangermée à la batterie, le fidèle Nicolas Derand aux claviers, l’ancien Malted Milk Sylvain Fétis au saxophone et Edouard Wallyn au trombone), Issambourg présente en majorité des titres issus du dernier album – même si l’absence de chanteur lui interdit de donner sa version du Angel dust de Gil Scott-Heron beaucoup entendue sur les radios de goût ces derniers temps – et un titre comme Kickin’ your ass tient toutes ses promesses. Le format live permet aux compositions de prendre leur pleine dimension, et les interventions en soliste d’Issambourg s’articulent parfaitement à celles de ses camarades de jeu. Si le public n’est probablement pas majoritairement familier de son répertoire, sa présence scénique et ses présentations à l’humour décalé contribuent à le faire entrer dans la musique, et c’est un peu trop rapidement que se termine l’heure qui lui est allouée.  

Ludivine Issambourg © Ludovic Giffart
© Albert Saladini
© Jazz in Aiacciu

En quelques années, le chanteur cubain Cimafunk – désormais basé à La Nouvelle-Orléans – s’est imposé comme une valeur sûre de la scène des festivals, en France et ailleurs. Malgré un groupe renouvelé par rapport à ses premières visites européennes – seuls les percussionnistes Raul Zapata Suri et Mario Gabriel Mesa Meriño étaient de la partie en 2021, par exemple –, l’ensemble reste une remarquable machine à groove et il ne faut pas plus de quelques chansons au public pour commencer à affluer devant la scène. Le répertoire emprunte largement au dernier album, “Pa Tu Cuerpa” (2024) et puise aussi quelques titres dans les disques précédents. Mais pas la peine de connaître les différents morceaux pour être séduit par l’énergie constante du groupe et de son leader. Le show, sans temps mort, est particulièrement bien construit et, même si certaines ficelles sont un peu grosses, il est impossible d’y résister tant le tout est bien calibré et efficace. Alors qu’approche minuit, une large partie du public est debout et semble déterminer à danser jusqu’au bout de la nuit.

Cimafunk © Albert Saladini
© Albert Saladini
© Jazz in Aiacciu

La soirée du samedi est aussi placée sous le signe du groove. C’est à Fred Wesley, accompagné de ses New JB’s, qu’il appartient d’ouvrir le programme. Longtemps stable, la composition des New JB’s a évoluée ces dernières années, suite en particulier au décès du guitariste Reggie Ward fin 2024. Quelques anciens comme le trompettiste Gary Winters, le clavier Peter Madsen ou le bassiste Wayne Dolphin – tous présents depuis les années 1990 – sont encore de la partie, complétés par quelques nouveaux qui ne sont pas exactement des débutants : le batteur Bryan Morris, accompagnateur notamment de Kenny Neal, le saxophoniste Charles McNeal, entendu en particulier avec Wee Willie Walker, Rad., Boz Scaggs, Lenny Williams ou Taj Mahal, et le guitariste Bruno Speight, membre fondateur du S.O.S. Band et souvent vu avec Maceo Parker. Quant au leader, les conséquences de l’âge – il fête ses 82 ans quelques jours plus tard – semblent à peu près l’épargner, au moins en ce qui concerne la musique. Certes la démarche est hésitante – il joue désormais assis et se contentera de quelques dandinements en fin de concert – et le souffle parfois un peu court, mais l’inspiration est toujours là et chacune de ses interventions solo est un régal. 

Fred Wesley & The New J.B.’s © Albert Saladini
© Albert Saladini
© Albert Saladini
© Ludovic Giffart

JB’s originaux, New JB’s, Horny Horns ou carrière solo, l’ensemble des étapes de l’incroyable carrière de Wesley est revisité dans le répertoire de la soirée, mêlant les tubes – Breaking bread, Pass the peas, Gimme some more, Doing it to death, traités en medley avec quelques notes de Cold sweat pour le même prix – et les classiques comme Damn right I’m somebody et Fourplay avec quelques titres plus obscurs comme Same beat et le plus récent Funk for your ass. Wesley n’a jamais fait mystère du fait que, plus qu’au funk qui a fait sa carrière, c’est au jazz qu’allait son cœur, et c’est probablement sa programmation dans un festival de jazz qui l’a convaincu de glisser dans sa setlist le Moanin’ de Bobby Timmons. Sans surprise, c’est sur son seul tube personnel, l’irrésistible House party, que se termine le show – oui, le petit sketch sur le fait de devoir arrêter tôt parce qu’il doit aller bosser le lendemain est toujours là ! Mais le public réclame et obtient un rappel, pour lequel Wesley et ses acolytes – au sein desquels Bruno Speight se fait particulièrement remarquer, même s’il joue lui aussi assis – s’attaquent avec efficacité au Chameleon d’Herbie Hancock. 

À peine le temps de se remettre de nos émotions, et c’est le groupe de Seun Kuti qui s’installe. Lorsqu’il a commencé à se faire remarquer du public international, dans le courant des années 2000, c’est avec les anciens musiciens de son père que le plus jeune fils de Fela Kuti se présentait. Bien qu’il ait conservé le nom d’Egypt 80, la composition de l’ensemble a changé et l’orchestre comprend aujourd’hui essentiellement des musiciens français issus en particulier des Frères Smith, piliers de longue date de la scène afro-groove parisienne. C’est d’ailleurs avec un morceau du groupe, No waiting, que commence le concert, avant l’arrivée de la vedette de la soirée. De la fratrie Kuti, Seun a toujours été celui qui s’inscrivait le plus directement dans la continuité de l’héritage paternel, et c’est avec deux titres empruntés à celui-ci, Dog eat dog et Every thing, qu’il entame son show avant de passer à son répertoire personnel dans l’esprit. Les contraintes du transport du lendemain matin m’interdisent de rester jusqu’au bout du show, mais ce que j’en entends suffit à me convaincre que Seun Kuti n’a rien perdu à l’évolution de son orchestre, tant les jeunes musiciens qui l’accompagnent sont en osmose avec leur leader. Le public suit volontiers et se lève en masse pour danser, et l’apparition impromptue de Ludivine Issambourg pour un solo sur T.O.P. est un bonus très apprécié ! 

Seun Kuti © Albert Saladini
© Jazz in Aiacciu
© Albert Saladini

Programmation impeccable, accessible sans céder aux sirènes de la variété de bas étage, ambiance conviviale et cadre optimal,  Jazz in Aiacciu a tout pour s’imposer dans le paysage festivalier estival.

Texte : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture : Seun Kuti et Ludivine Issambourg © Albert Saladini

© Albert Saladini
© Albert Saladini