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Live reports / 26.07.2017

Jazz à Vienne (Part. 1)

Écouter un concert dans le cadre majestueux du Théâtre antique de Vienne reste un privilège rare surtout quand une programmation éclectique et de qualité est au rendez-vous.

La soirée de lundi 3 juillet était consacrée au souvenir de John Coltrane disparu en juillet 1967 et dont la musique a marqué de façon indélibile le jazz à venir. Compagnon de route du saxophoniste, le saxophoniste ténor Pharoah Sanders, casquette vissée sur la tête et en pantalon de survêtement, fut le premier à rendre hommage au maître. Le temps faisant son effet, son discours a gagné en sérénité ce qu’il a perdu en force éruptive. Mais le son, ample, ferme et généreux reste et sa musique distille toujours une belle énergie.

Lui emboîtant le pas, le saxophoniste soprano Émile Parisien et Jeff Mills, le DJ de Detroit, ont connu les aventures musicales les plus diverses. Mais là, l’expérience était peu courante et même à hauts risques puisque résolument tournée vers la découverte. Se revoyant la balle, ils ont fait revivre, avec une implication totale et un engagement de tous les instants, la musique de Coltrane en puisant dans les recueils “Giants Steps” et “A Love Supreme”. Une occasion pour Émile Parisien de rendre un hommage impromptu à Sidney Bechet. Les deux complices sont sortis vainqueurs de ce vrai défi.

 


© Jules Azelie

 


Émile Parisien © Jules Azelie

 

Puis vînt Archie Shepp et son All Stars de choc dotés d’une section rythmique au parfum intemporel comprenant les excellents Jason Moran (p), Darry Hall (b) et Nasheet Waits (dm). Distribuant le jeu, Archie Shepp a fait jouer ses partenaires parmi lesquels le brillant trompettiste Amir ElSaffar. L’interprétation convaincante de Syeeda’s song flute et de Cousin Mary de l’album mythique “Four For Trane”, comptent parmi les moments forts de la soirée. Sa version de Blues for brother George Jackson a témoigné de son engagement politique exprimé dans le légendaire recueil “Attica Blues”. Invité pour un morceau, le saxophoniste ténor Shabaka Hutchings, dont la prestation au Club de Minuit fut remarquée, a apporté la force et l’énergie de la jeunesse. Enfin, une mention spéciale pour Marion Rampal qui a chanté avec une implication totale Blasé dans la tradition de Jeanne Lee.

 


Archie Shepp © Jules Azelie

 

Le lendemain, les musiciens français étaient à l’honneur. Premier à fouler la scène du Théâtre antique, le pianiste franco-israélien Yaron Herman confiait en conférence de presse vouloir « sortir le jazz de sa tour d’ivoire » en créant ses propres tubes. Poursuivant une démarche éclectique évoquant de multiples références allant de Steve Reich à Keith Jarrett en passant par Britney Spears et Motörhead, il a interprété le répertoire de son dernier album intitulé “Y”. Souhaitons qu’il réussisse dans sa démarche.

Puis vînt Anne Sila et le Magnetic Orchestra (Benoit Thevenot (p), François Gallix (b), Nicolas Serret (dm)). La fréquentation des clubs de jazz new-yorkais et des plateaux de télévision a donné à cette native de Valence le goût de vagabonder entre les genres en prenant des chemins de traverse. Elle aime le jazz, elle adore scatter, ce qu’elle fait avec une énergie naturelle, mais apprécie aussi la pop et la chanteuse Sia. Sa voix s’envole dans les aigus pour un numéro de scat dans Ain’t misbehavin’ puis se pare d’une douceur intimiste dans Demain dès l’aube qui devient poignante lorsque s’exprime la fin douloureuse du magnifique poème de Victor Hugo. Anne Sila n’a pas encore tout dit mais elle montre là qu’elle possède une réelle science de l’interprétation.

 


Yaron Herman © Pierre Corvaizier

 


Anne Silva © Jules Azelie

 

Changement d’ambiance avec Émile Parisien et son complice l’accordéoniste Vincent Peirani, qui ont monté le File Under Zawinul Syndicate avec Linley Marthe (b) et Paco Sery (dm), deux membres historiques du Zawinul Syndicate. Cette initiative, loin d’être dictée par les circonstances, a pris la dimension d’une réussite complète. Les individualités de l’orchestre ont manifesté une cohésion et une complicité de tous les instants au service de compositions issues du répertoire de Weather Report (Cannonball, Gibraltar, Madagascar). Une débauche rythmique parfaitement maîtrisée et les interventions de haute volée des participants ont mis le feu aux poudres en emportant l’adhésion sans réserve du public.

 


Vincent Peirani © Jules Azelie

 

Pour la soirée du mercredi 5 juillet consacrée au jazz vocal, le public est venu en nombre puisqu’il a fallu, pour lui faire place, enlever les chaises du parterre. Diminuée par une bronchite tenace, Stacey Kent a paru un peu en deçà de son niveau habituel. Démarrant sur un mode jazzy, elle a livré de belles versions issues du répertoire de son dernier album (Tenderly, Que reste t-il de nos amours ? Jardin d’hiver), le tout mâtiné de bossa novas livrées sur un ton badin. Manquait à son chant, dont l’élégante douceur fait le charme, une implication qui a laissé le public sur sa fin.

 


Stacy Kent © Jules Azelie

 

Son successeur, Jamie Cullum, a vite repris les choses en main avec une version dynamique de Don’t you know. Tenant une forme physique olympique, le “crooner bondissant” associe des standards du jazz (What a difference a day makes) à des thèmes comme When I get famous sans s’enliser dans une sorte de variété internationale sans âme. Dépensant une énergie incroyable, il saute, quitte le piano pour se précipiter sur le devant de la scène, pousse ses musiciens et n’hésite pas à descendre au milieu du public sous les acclamations des spectateurs ravis. Un beau concert.

Alain Tomas

jazzavienne.com

 


Jamie Cullum © Arthur Viguier