Charley Crockett & The Blue Drifters, Café de la Danse, Paris
21.09.2023
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C'est peu dire que Tank & The Bangas étaient attendus, tant leur réputation les précède. Auréolés du statut de bêtes de scène ne se refusant aucune excentricité, les huit membres du groupe ont chauffé à blanc le public de Jazz à Vienne, avec leur son organique, puisant leurs influences de toute part. Passant d'une chanson à l'autre du rap au rock, d'une rime à l'autre d'un phrasé chanté à un flow rapide et saccadé, la chanteuse Tarriona Ball a fait partir le show dans toutes les directions, et tant mieux. Haute en couleur, jusque dans les tenues de scène, à faire chavirer un épileptique, la performance du groupe a pris des allures de fête délirante, passant d'un hommage à Kendrick Lamar à une relecture de Nirvana avec une facilité déconcertante.
Tarriona Ball
Albert Allenback
Jelly Joseph
Norman Spence
Habitée d’une tension latente, parfois sombre comme ces « Qui va me sauver ? » répétés plusieurs fois sur fond de pépiements d’oiseaux, et optimiste à l’image du sourire de la chanteuse et de sa déclaration d’amour au public en fin de parcours – « Vous êtes le genre de personnes qui rendent la vie unique » –, le concert s’est joué des contrastes, captivant. Capables de mettre littéralement la fosse à genoux puis de se rouler sur le sol tout en continuant à jouer, Tank and The Bangas n'ont commis qu'un seul impair : celui de quitter la scène trop tôt.
Digger invétéré, sampleur en série et dépositaire d’une vision de la musique noire américaine qui trouve sa richesse dans sa diversité et une forte empreinte hip-hop, Guts, pour son unique date cet été, avait fait les choses en grand. Accompagné du duo de rappeurs new-yorkais Tanya Morgan, puis en deuxième partie de set des ex-Saïan Supa Crew Féfé et Leeroy, le producteur français, soirée rap oblige, a donné un set mettant en avant la technique des MCs et leur appétit pour les stop-timequi claquent, la section de cuivre de Cotonete usant des silences pour mieux exposer les débauches de rimes.
Guts, Wolfgang Valburn
Leeroy, Féfé
Mary May
Les T-shirts portées par les membres du groupe, ornés des visages de Jay-Z, Mos Def et autres Fugees n’y trompent pas : c’était hip-hop, et rien d’autre que hip-hop.
La reformation de Black Star, duo mythique de la scène rap new-yorkaise et auteur d’un unique LP il y a vingt ans tout pile, avait des allures de fantasme. L’apparition de Yasiin Bey alias Mos Def et de Talib Kweli, accompagnés par l’Hypnotic Brass Ensemble, sur la scène de Jazz à Vienne avait donc le charme de ces choses que l’on pensait irréelles. Et s’il a parfois souffert d’une certaine rigidité laissant peu de place à la spontanéité, le concert a réussi à retranscrire l’aspect dépouillé de l’album studio et la complicité que l’on devinait entre les MCs. Pénalisé parfois par des problèmes de son mineur, le phrasé chanté de Mos Def n’a donc eu de cesse de répondre à l'âpreté et la précision de son homologue Talib, rayonnant de charisme. Et si l'on aurait sans doute préféré que l'Hypnotic Brass Ensemble se fende de davantage de solos et prenne plus de place – les moments clés du concert étant à n'en pas douter les versions de Knowledge of self et de Brown skin lady, avec leur groove cotonneux –, reste le plaisir de voir deux rappeurs emblématiques de la scène hip-hop de la fin des années 1990 s'escrimer ensemble sur scène.
Yasiin Bey (Mos Def)
Talib Kweli
Hypnotic Brass Ensemble
En point d’orgue, ces quelques minutes où, entouré de membres du backing band et de Talib Kweli, Mos Def fait une démonstration de flow dans ce qui s’apparentait presque à un cypher. Brooklyn était à Vienne le temps d'une soirée, prouvant que le rap façon Rawkus Records a encore de beaux restes en 2018.
Nicolas Rogès
Photos © Brigitte Charvolin