Jammin’ Juan 2023
08.12.2023
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Avec les mouvements sociaux des intermittents du spectacle, cette édition 2014 de Jazz à Vienne a connu des moments de tension. Malgré cela, toutes les soirées au théâtre antique se sont déroulées normalement. Et au bilan, le festival n’a pas souffert de la situation avec un résultat aussi bon que l’année dernière, qui était celle des records… Quant aux nuits du blues et de la soul, elles se suivaient. Voici donc nos impressions sur ces deux soirées.
Thomas Schoeffler Jr.
Le temps d’un set découverte d’une trentaine de minutes, Thomas Schoeffler Jr. ouvre donc la nuit du blues le 4 juillet. Et d’emblée, même si le personnage s’avère sympathique, on se demande un peu pourquoi il a été programmé dans le cadre de cette soirée. Non pas à cause de son jeu de guitare et d’harmonica, instruments qu’il maîtrise plutôt bien, mais de son phrasé vocal, saccadé et souvent ultraspeedé, qui n’a rien à voir, mais alors vraiment rien, avec le blues. Les titres s’enchaînent (No more my lord, Some days, Alone and forsaken) et nous laissent penser que l’artiste serait plus à son aise dans le folk celtique… Un sentiment que n’efface pas le boogie final, Day by day.
Tedeschi Trucks Band
Lors de son premier passage au théâtre antique en 2011, le Tedeschi Trucks Band m’avait laissé un goût d’inachevé, le groupe semblant en rodage et manquant de cohésion. Rien de tout cela cette fois, les onze musiciens sont parfaitement en phase et la machine tourne à plein régime, au service d’une musique de haut niveau. Les titres se développent efficacement avec Idle wind, Made up mind, Don’t miss me when I'm gone, Keep on growing, la belle ballade Midnight in Harlem, Bound for glory et The storm, dans une veine qui emprunte souvent au rock sudiste. Car de blues avec cette formation, il n’en est pour ainsi dire pas question, si on excepte une lecture convaincante et particulièrement musclée de The sky is crying par Susan Tedeschi qui prend alors tout à son compte. Pour le reste, la formation repose sur les interventions extrêmement brillantes de Trucks, guitariste au jeu très original et personnel. Mais sur ce point, et malgré son talent manifeste, sachant qu’il évolue dans un groupe de onze musiciens, il prend beaucoup de place et cette succession de solos attendus finit par lasser. Entendons-nous donc bien : ce n’est certes que mon humble avis et c’est de la musique de grande qualité, mais dans le cadre d’une nuit du blues, le choix peut assurément se discuter.
Buddy Guy
Buddy Guy devait ensuite se présenter avec le jeune guitariste prodige Quinn Sullivan (quinze ans), mais ce dernier brille par son absence, sans explication… Comme de coutume, Buddy entame son concert avec Damn right I’ve got the blues. Après cette entrée en matière percutante, il égrène des titres sans réelle surprise, Feel likes rain, I just want to make love to you, Hoochie coochie man, Big leg woman et Hoodoo man blues. Mais contrairement à la plupart de ces récents concerts, il cède moins au cabotinage et passe plus de temps à chanter et à jouer, prouvant au passage qu’il reste crédible à pratiquement soixante-dix-huit ans. Mais après un bain de foule (sous la pluie !) et 74 years young, il retombe dans certains travers et bâcle la fin de son set à coups de reprises prévisibles (Fever, Voodoo child, Rock me, Strange brew…). Ainsi se ferme une nuit du blues qui ne restera pas dans les annales.
Matthew Whitaker
Le lendemain, la nuit de la soul ouvre avec le très jeune (quatorze ans !) Matthew Whitaker, souvent présenté comme le successeur de Stevie Wonder. Premier invité dans le cadre d’une soirée qui commémore les quatre-vingts ans du très fameux Apollo de Harlem, le jeune claviériste aveugle est un incontestable virtuose, mais ce soir-là il s’exprime dans un registre résolument jazz (The cat, Baby be mine, Nova…).
Ben l’Oncle Soul
Retour à la soul avec Ben l’Oncle Soul désormais entouré des membres de Monophonics, venus tout droit de la West Coast et qui donnent une réelle épaisseur à sa musique. Toujours impliqué vocalement et prêt à partager avec le public, Ben profite d’emblée de ce soutien efficace pour s’affirmer, même s’il semble plus à l’aise sur des titres chantés en anglais (Down for you mama, Soulman) que dans notre langue (Petite sœur). Il prend également le temps d’interpréter des titres de son dernier CD dont les ballades So hard to find et Walk the line. Son concert se ponctue de quelques « tours de force » comme You got my back, Carry me et Hallelujah !!! (J'ai tant besoin de toi) qui le conduit lui aussi dans le public. Dans le genre, solide.
Charles Bradley
Changement de dimension avec la Daptone Super Soul Revue qui va nous estomaquer durant 2 h 30. L’arrivée de Charles Bradley et ses Extraordinaires génère la première grande émotion : You put the flame on it, This world is going up in flames, l’énorme ballade Lovin’ you baby, Strictly reserved for you et Why is it so hard prouvent combien il est un des chanteurs les plus poignants de son époque, en outre servi par de superbes textes.
Antibalas
Antibalas apporte ensuite de la variété avec un registre franchement jouissif teinté d’afrobeat. La scène du théâtre antique est en perpétuel mouvement, les musiciens ne nous concèdent aucun temps mort, les formations (Extraordinaires, Sugarman 3, Dap-Kings) changent de personnel sans même que l’on s’en aperçoive, c’est le show à l’américaine sous son meilleur angle.
Sharon Jones
Sharon Jones va ensuite tout emporter sur son passage. Visiblement remise de son cancer (dont elle parle entre les titres), elle arpente inlassablement la scène et harangue l’audience comme à ses plus beaux jours. Tout s’enchaîne comme dans un rêve avec Stranger to my happiness, Now I see, Long time wrong time, Making up and breaking up, Get up and get out, Retreat!… Un final ébouriffant réunit vingt-trois musiciens dont sept cuivres et finit de nous achever. Inoubliable.
Textes : Daniel Léon
Photos nuit du blues : Le Dauphiné/Jean-François Souchet
Photos nuit de la soul : Brigitte Charvolin