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Live reports / 13.08.2024

Jazz à Vienne 2024, Nuit du blues

3 juillet 2024.

C’est toujours un moment particulier que d’aller à Jazz à Vienne, ne serait-ce que pour le cadre exceptionnel que le festival propose. L’immense et impressionnant Théâtre antique, bien sûr, mais aussi le square Cybèle dont l’aménagement en terrasses en fait un lieu de rassemblement des plus agréables. Et rassemblement il y a avec une foule importante pour les concerts de l’après-midi et l’émission de radio quotidienne réalisée en direct et en public.

Aimablement invité à co-animer l’émission de cette journée blues du 3 juillet par Jean-Michel Lebreux, animateur principal et pilier de la station régionale C’rock Radio, je ne peux assister au premier concert du jour par Justine Blue, pris par la préparation de ladite émission. J’entends quand même des retours très positifs sur ce concert. Jean-Michel et moi recevons Manu Lanvin, son père Gérard Lanvin, Théo Charaf et Neal Black pour parler du Tribute To Calvin Russell, puis Robert Finley et sa fille Christy Johnson et enfin Shakura S’Aida. Ils ont tous beaucoup de choses à dire mais le temps est compté et il faut les laisser se préparer pour le grand concert du soir.

En attendant, on passe à la musique avec Nirek Mokar & his Boogie Messengers sur la scène Cybèle. Vêtus de noir et blanc, ceux-ci, Claude Braud (saxophone ténor), Stan Noubard Pacha (guitare), Xavier Nicki (contrebasse) et Guillaume Nouaux (batterie), entrent sur scène en même temps que leur leader, lui en habits colorés du plus bel effet. Aucun round d’observation, Nirek et son band démarrent pied au plancher. Piano boogie avec une main gauche solide, chant assuré, saxophone honké sans relâche, solos de guitare élégants, batterie discrètement efficace, contrebasse slappée avec un très beau solo sur Monkey man, jeu de scène débridé des uns et des autres, la musique est joyeuse et le public ne s’y trompe pas, qui tape des pieds et des mains sans discontinuer.

La grande soirée est ouverte par Shakura S’Aida, accompagnée du fidèle Roger Williams à la basse, Aubrey Dale à la batterie, et Tristan Clark et Maurice Gordon aux guitares. Cela fait bien longtemps que Shakura a construit son propre univers musical, elle dit d’ailleurs qu’elle est « une chanteuse », sans mentionner de genre particulier, et c’est cet univers qu’elle incarne, dans la lumière de son regard, son sourire, et ses vêtements blancs. Son chant est puissant, posé sur la musique de son groupe, mélange de blues, jazz et rock, dont les angles semblent arrondis mais attention on peut aussi se faire des bleus en se cognant à ça, comme sur le gros groove de Ain’t got nothing. La reprise de Heart of gold est chantée spontanément par le public, et Clap yo hands and moan, chanson pour les femmes co-écrite avec Keb’ Mo’, est délivrée par Shakura avec une émotion intense et visible. Le final avec Hold on to love est une communion joyeuse.

La réputation de Robert Finley l’a manifestement précédé et c’est une véritable ovation qui l’accueille quand il apparait sur scène, guidé par sa fille Christy Johnson. Le trio qui les accompagne depuis quelques tournées est au taquet avec Liam Hart à la guitare, Ollie Hopkins à la basse, et Charlie Love à la batterie. Pour ceux qui ont vu un concert de Robert ces derniers mois, pas de surprise, l’homme est une figure à regarder avec son chapeau et ses bottes aux couleurs du drapeau américain, son pantalon et sa veste en cuir, sa ceinture à grosse boucle, ses lunettes noires, son sourire permanent, et ses pas de danse gentiment provocatrice. Pas de surprise non plus dans le répertoire, qui s’appuie majoritairement sur le dernier disque “Black Bayou”, mais sans le savoureux Alligator bait. Le respect des horaires va limiter le temps accordé à Christy Johnson au micro, ce qui ne l’empêche pas de livrer une solide interprétation de Take me to the river. Le final sera triomphant avec Make me feel allright. Robert semble le demander pour lui mais nous nous sentons nous-mêmes tous très bien.

Robert Finley

En clôture, Manu Lanvin emmène le Tribute To Calvin Russell, engagé en remplacement de Poppa Chubby qui a dû annuler sa tournée. Que l’on connaisse bien le répertoire du légendaire country-rocker buriné du Texas ou pas, il n’est pas difficile d’apprécier sa musique, d’autant qu’elle est ici reprise par des interprètes doués, sinon passionnés. Manu a rassemblé un impressionnant orchestre avec une configuration de base à claviers, basse, batterie, deuxième guitare, choriste, avec la bonne surprise de voir Claude Langlois à la steel guitar. Manu est lui-même à la guitare et au chant sur les premiers titres où l’on voit aussi Bako Mikaélian à l’harmonica. D’autres acteurs du projet prennent ensuite tour à tour le micro. C’est d’abord David Minster, beau-frère de Calvin Russell et aussi neveu de Vince Taylor, puis Neal Black, suivi de Johnny Gallagher, Gérard Lanvin qui prononce des vers en français, accompagné de Bako Mikaelian à l’harmonica, Théo Charaf, qui chante et joue à la guitare acoustique accompagné du seul Claude Langlois et enfin Beverly Jo Scott. Ce format fait que chacun va à l’essentiel et cela donne de superbes moments comme avec Johnny Gallagher dont la guitare pour le coup concise est diablement efficace, ou Beverly Jo Scott qui ne peut cacher son émotion à la fin de son tour de chant. On regrettera juste que la puissance du son ait quelque peu noyé, en tous cas au pied de la scène, tous les instruments dans un mur sonore. Bako Mikaelian n’a pu être entendu que quand il a accompagné quasi seul Gérard Lanvin, et d’autres instruments, comme les claviers, un accordéon, une mandoline, seront difficilement perceptibles sans parler de la voix de la choriste Mary Reynaud. Il reste l’émotion déjà évoquée, qu’on sent palpable aussi chez Manu qui est décidément un excellent concepteur et meneur de revue.

Le théâtre antique ferme ses portes pour ce soir mais la musique ne s’arrête pas car Nirek Mokar & his Boogie Messengers jouent de nouveau, en after au Club, et leur rhythm & blues & boogie est un excellent baume pour se remettre les oreilles en condition. La qualité musicale, la bonne humeur et l’entrain sont les mêmes que dans l’après-midi et l’écrin du joli petit théâtre fournit l’ambiance que son nom festivalier indique. Le répertoire fait place à quelques nouveaux morceaux par rapport à celui de l’après-midi, et le show se clôt avec un Be my guest festif.

Les rues de Vienne sont calmes à cette heure-ci et on fait attention à ne pas chanter trop fort pour reprendre les meilleurs moments de la journée.

Texte et photos : Christophe Mourot

Manu Lanvin
Claude Braud et Stan Noubard Pacha
Jazz à Viennelive report