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Live reports / 19.07.2017

Jazz à Sète (Part. 1 : Ed Motta, Jamie Lidell)

Un feu d'artifice avec un jour d'avance sur le calendrier. Prenant la garde républicaine de court, le festival Jazz à Sète a lancé les hostilités dès le 13 juillet pour une vingt-deuxième édition au casting prometteur. Ne pas se fier au garde-à-vous de la patriote méditerranée en arrière-plan. En ce premier soir un rien venteux, le somptueux Théâtre de la mer a remué, résonné, chaviré et basculé jusqu'à très tard dans la folie, réservant un accueil de choix en ouverture à Ed Motta, artiste brésilien assez rare en France dès que l'on quitte Paris et son bruyant périphérique. Assez rare et donc précieux.

 

 

Sous le regard complice d'un soleil encore chaud, le pianiste-chanteur a entamé, chemise à fleur, sourire au cœur, un set qui avait choisi de revisiter habilement ses deux derniers excellents albums : l'électrique “AOR” et le sculptural “Perpetual Gateways”. C'est d'ailleurs Captain refusal, titre échappé de cet LP sorti l'an passé, qui fait battre les premières pulsations marquées comme il se doit par les Adidas vert-pomme du maître des lieux.  

 

 

Disco, funk, low-tempo jazzy… Le répertoire – en langue anglaise – est solide, et maîtrisé par un groupe aussi brillant que métissé : second clavier au double-passeport (piano à queue et clavinet), bassiste français, guitariste finlandais et batteur néerlandais (Yoran Vroom, sacré roi du shuffle ce soir-là). Pas de cuivres, notons-le. Mais la voix reste d'or, limpide et puissante, parfois joueuse comme avec cet interlude entièrement a cappella où Ed Motta choisit de faire vibrer dans sa gorge, le son d'une guitare ou d'une basse. Les oreilles les plus attentives auront reconnu les accords d'Heartbreaker de Led Zeppelin et de quelques classiques à semelles compensées.

 

 

 

Parfait chef d'orchestre, Ed Motta est visiblement en très (très) grande forme. Et ça s'entend. Volontiers moqueur, il confesse au micro connaître davantage le nom des fromages français (« Le Mont d'Or, my favorite !») que ses propres paroles, pourtant compilées dans un cahier noir à portée de mains de son Fender Rhodes. Tantôt farceur, l'imposant barbu harangue sans cesse la foule, imitant entre chacune de ses prises vocales l'accent et le phrasé d'un tourneur américain un rien caricatural. « Have you got some potatoes in Brazil? », Ed Motta jubile. Après un bon quart d’heure en mode croisière, Le capitaine carioca pilote enfin son public, jusqu'à le faire grimper à bord, sur scène, quand le tempo dépasse sans prévenir les 120 battements par minute. Certains en profitent plus que d'autres : maillot bleu sur le dos floqué du nom de McCartney (Paul, c'était toi ?), le déhanché spectaculaire d'un spectateur capte le regard amusé d'Ed Motta, et de dizaines de smartphones dernier cri. Ils sortiront à nouveau de leurs étuis en fin de set, pour les incontournables selfies qui ont déjà témoigné sur la toile que ce moment valait vraiment la peine d'être vécu. Et immortalisé.

 

 

Été 2005. Jamie Lidell débarque à Jazz à Sète avec la réputation d'un showman que rien ne semble pouvoir arrêter. Sauf la pluie. Un violent orage aura eu raison ce soir-là de sa prestation, pourtant très attendue par les festivaliers. Annulation, désolation. Douze ans plus tard, l'heure de la revanche – triomphale – a sonné pour l'Anglais bondissant, comme libéré, délivré avant d'aborder la seule date française de sa tournée estivale.

 

 

Pied de nez au destin, ou habile calcul d'un homme laissant peu de choses au hasard, c'est avec le titre Multiply, du nom de son premier album signé chez Warp Records, celui qui lança le phénomène, que Jamie Lidell déboule en courant sur la scène d'un Théâtre de la mer à peine remis du passage d'Ed Motta quelques minutes plus tôt. Pas le temps de respirer ou de finir sa barquette méditerranéenne achetée à l’entracte : le public sétois est littéralement emporté par cette tornade venue de Cambridge. 1 500 témoins, et une seule déposition : quel souffle, quelle puissance, quelle énergie ! Un peu trop sans doute pour être contenu sur une même estrade. Excuse toute trouvée par Lidell pour aller serrer quelques mains – tendues – dans des travées copieusement bondées. Le ton est donné.

 

 

Qu'on se le dise : le Britannique expatrié à Nashville Tennessee est partout chez lui. Posant ici un groove survitaminé (superbe relecture façon James Brown de Little bit of feel good). Retouchant là certains de ses classiques avec quelques points d'electro-funk (le très princier When I come back around ), sans manquer de rassurer dans l'intervalle ses fans les plus mainstream (Another day arrivera assez rapidement dans la setlist). Des souvenirs déballés d'un passé discographique assumé, qui complètent parfaitement les autres titres de la soirée, issus de “Building A Beginning”, l'album du renouveau sorti fin 2016, et qui coquine musicalement avec l'une des autres idoles de Lidell, un certain Stevie Wonder.

 

 

Pour soutenir la comparaison, vocalement évidente, l'Anglais aux vestes improbables a remisé les machines et s'est entouré d'un backing band surpuissant, les Royal Pharaohs. Quatre musiciens américains qui sonnent comme quinze, et auxquels Lidell laissera plusieurs fois la vedette lors de longs instrumentaux tonitruants. Entre funk psychédélique, musique religieuse (« They will take you to church! », prévient-il au micro) et nu-soul débridée, le tout commandé du haut de son estrade par la frappe bûcheronne de l'intenable Daru Jones à la batterie. Debout, assis, debout, et de nouveau assis. Pourquoi choisir ? 0 h 26. La lune ne veut pas dormir. Il faut pourtant partir. Le long de la corniche, quelques spectateurs contraints de marcher pour regagner leur hôtel semblent encore étourdis : « Comment il s'appelait déjà ? Incroyable ce type… » Épilogue d'une nuit d'ivresse musicale, consommée visiblement sans modération.

Mathieu Bellisario
Photos © Éric Morère 

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