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Live reports / 12.08.2025

Jazz à Sète 2025

18 et 19 juillet 2025.

L’édition anniversaire des 30 ans du festival Jazz à Sète, né en 1985 de la volonté du guitariste Louis Martinez, qui le dirige toujours, fut véritablement marquante. Un casting de têtes d’affiche, des concerts complets chaque soir, face à un horizon sur mer qui supplante toutes les terrasses avec vue par sa vue terrassante.

La soirée du 18 juillet débuta – bonheur pour les amateurs des musiques chroniquées par Soul Bag – par une revisite par le trio de Christian Sands du tube soul Never too much de Luther Vandross, déclenchant d’emblée une ovation du public. À 36 ans, le pianiste – que Louis Martinez nous dit avoir découvert en 2020 à New York – infusa son set d’un élan vital galvanisant. Brillant, réjouissant. Non seulement le jeune Américain débutait à Sète sa tournée estivale européenne (avant Montreux et Marciac), mais c’était aussi nous dit-il la première fois qu’il jouait avec le batteur Tyson Jackson, exceptionnel dans sa gestuelle soignée jusqu’au bout de ses balais et la souplesse de ses nuances. Le contrebassiste Jonathon Muir-Cotton, servi par la sonorisation, ne fut pas en reste en termes d’investissement sur scène. Après Never too much, le concert embrassa un swing uptempo avec MMC (Mum Making Cheese issu de son dernier album “Embracing Dawn”), Sand dune que Christian Sands avait écrit pour Christian McBride (qui l’avait engagé à l’âge de 20 ans), Strange meadow lark, sa pièce favorite de son professeur Dave Brubeck et enfin Embracing dawn, composition instrumentale aussi chantante qu’une pièce soul : « traverser les obstacles, se souvenir qu’il y a de la lumière », conclut Christian Sands. 

Christian Sands

Le changement de plateau offrait ensuite l’occasion de jeter un œil à l’exposition de Jean-Paul Bocaj, l’artiste montpelliérain concepteur des affiches figuratives du festival depuis 20 ans, dans la salle Tarbouriechau au cœur du Théâtre de la mer qui est en fait un ancien Fort. En seconde partie, dans la nuit noire, le contrebassiste Avishai Cohen – invité pour la cinquième fois précisa Louis Martinez – se produisait en trio, au cours d’une tournée française passant par Vitrolles, Chantilly, Nice. Non pas avec la jeune batteuse flamboyante Roni Kaspi mais avec de jeunes musiciens, Eviatar Slivnik à la batterie et Itay Simhovich au piano. Au caractère rayonnant et communicatif de Christian Sands succéda un concert plus sombre et déroulé sans un mot par Avishai Cohen, suscitant une qualité d’écoute remarquable du public dans les gradins ou assis par terre dans la fosse. Un grand moment de musicalité autant qu’une performance physique d’Avishai Cohen.

Avishai Cohen

Le lendemain, le guitariste électrique suisse Louis Matute, à la tête de son Large Ensemble (Andrew Audiger au piano, Virgile Rosselet à la contrebasse, Nathan Vandenbulcke à la batterie, Zacharie Ksyk à la trompette, Léon Phal au saxophone ténor),exprimait son bonheur d’être programmé à Sète pour la première fois. Leur set, ancré dans un jazz mélodieux et évocateur, mêlait des titres déjà publiés – leur dernier album en date “Small Variations From the Previous Day” est sorti en 2024 – et des titres à paraître dans “Dolce Vita” annoncé pour janvier 2026. Leur musique prit toute sa dimension en live, au-delà de leurs albums pourtant déjà très réussis : chaque pièce donna lieu à une version étirée, avec beaucoup d’espace d’expression pour chacun des musiciens, dont le plaisir fut palpable sur scène. Un vrai régal, partagé par un public unanime.

Louis Matute Large Ensemble

La tête d’affiche de la soirée, le bassiste new-yorkais de 66 ans Marcus Miller arrivait de cinq dates en Italie. À Sète, il se produisait avec Donald Hayes (de Memphis, Tennessee) au saxophone et Russell Gunn à la trompette (de East Saint Louis, Illinois), en première ligne, ainsi que Xavier Gordon aux cinq claviers (originaire d’Atlanta) et Anwar Marshall à la batterie (de Philadelphia), tous deux positionnés sur des estrades surélevées. Devant des fans agglutinés en fosse, l’icône de la basse dont la première fois à Jazz à Sète remonte à 2015, nous présenta ses musiciens. Sans disque récent (“Laid Black” date de 2018, “Afrodeezia” 2015, “Renaissance” 2012), il puisa dans l’ensemble de son répertoire pour dérouler un concert prévu sur presque deux heures, jalonné par ses explications et récits en français : Catembé, une pièce qu’il avait composée pour Miles Davis, Bunny’s dream, composée en hommage à sa belle-mère Mary “Bunny” Hughes décédée il y a six ans, née en Afrique du Sud d’un père missionnaire enseignant dont elle détenait une photo en compagnie d’un Nelson Mandela alors âgé de 17 ans. Le morceau offrit l’un des meilleurs moments du concert avec le face-à-face mélodique entre Donald Hayes et Marcus Miller. Tous deux s’exclamèrent ensuite de joie lorsque les fans collés à la scène les devancèrent pour entonner la mélodie de Detroit, ouvrant une séquence de funk cuivré et de slap.

Marcus Miller

En introduisant ensuite Mr Pastorius – pièce que jouait Miles Davis, composée pour le bassiste légendaire Jaco Pastorius par Marcus Miller – celui-ci souligna une « belle connexion » : East Saint Louis comme ville berceau des deux trompettistes, Miles Davis dans la version originelle et Russell Gunn ici sur le devant de la scène. À l’approche de minuit, Marcus Miller évoqua son voyage en 2012 sur l’Ile de Gorée au Sénégal, symbole de la traite négrière transatlantique, qui lui avait fait ressentir profondément « colère, tristesse, désespoir, peine » : délaissant sa basse électrique pour la clarinette basse, il dédia son interprétation de la pièce Gorée non seulement à ses ancêtres mais « à toutes les personnes qui endurent ces sentiments dans les temps actuels complètement fous ».

Texte : Alice Leclercq
Photos © Patrick Grin